Homélie du 18 août 2013

Prédicateur : Père Guy Musy
Date : 18 août 2013
Lieu : Carmel du Pâquier
Type : radio

« Je suis venu apporter un feu sur la terre. Comme je voudrais qu’il soit allumé ! » (Luc 12,49)

Encore une de ces paroles de Jésus éparses et solitaires. Luc est le seul des quatre évangélistes à la retenir et à nous la proposer.

Evidemment, on ne peut que faire confiance aux spécialistes de la Bible qu nous disent que le feu dont il est ici question est le feu de la colère Dieu. Le feu du ciel qui réduisit en cendres Sodome et Gomorrhe et qui aurait dû anéantir ces Samaritains qui refusaient de recevoir Jésus et ses disciples. Image terrifiante qui évoque notre enfer, aux flammes dévorantes et éternelles.

Alors, me voilà condamné à me faire l’avocat du diable et de ses thuriféraires incendiaires ? Que Dieu m’en garde ! Si je veux être fidèle à l’esprit de l’évangile, ce n’est pas d’enfer dont j’ai à parler, de feu destructeur et dévastateur, mais de jugement. Autrement dit, de cette nécessaire prise de position face à Jésus. L’évangile n’est pas à l’eau de rose, ni rédigé pour les mauviettes. Pas plus qu’il est conte de fées pour endormir les enfants sages. Non. Mais il est une parole forte, une parole de feu, qui traverse notre cœur, comme une épée tranchante et qui peut faire mal. Il arrive même que ce « glaive de douleurs », comme le suggère la Lettre aux Hébreux que nous venons d’entendre, nous demande de « résister jusqu’au sang ».

Revenons donc à ce feu que Jésus a hâte d’allumer ? Un feu qui a bien d’autres propriétés que celle de faire bouillir les damnés. Le feu ? Une image polyvalente dans la Bible, pour symboliser notre condition de croyant. J’en dénote trois aspects.

Tout d›abord, le feu est symbole de vigueur, d’éclat, de force qui réveille les endormis, les assoupis, les tièdes, les résignés et les assagis. Il les met sur le chemin de l’action, sur les chemins d’une nouvelle vie. Vous pensez bien sûr au feu de Pentecôte, feu de l’Esprit qui mit sur les routes de la mission universelle une poignée d’hommes apeurés. Il n’est même pas besoin d’être scout pour chanter dans la fraternité d›un campement nocturne: « O feu, joli feu, ton ardeur nous réjouit ! » . N’est-ce pas aussi l’occasion de reprendre le chant de François d’Assise : « Louez sois-tu mon Seigneur pour notre frère le feu ! Par lui tu illumines la nuit. Il est beau et agréable à voir, indomptable et fort. » Indomptables et forts aussi ceux dont le cœur est brûlé par l’Esprit.

Une autre image du feu reprise en christianisme est celle du foyer. Un mot qui signifie aussi bien la maison que le feu qui la chauffe et l’illumine. Un foyer dont il faut entretenir la flamme pour que la chaleur et la lumière ne se perdent pas. Un feu ravi aux dieux selon la légende de Prométhée pour assurer la survie des humains. Le christianisme occidental a retenu et développé cette image, notamment dans la tradition provençale de la bûche de Noël. Elle se consume lentement dans une cheminée qui rassembler dans une chaleureuse proximité ceux qui se préparent à fêter Noël.

Enfin, le feu, dans la Bible, est aussi symbole de purification. Revient souvent l’image de l’or fin obtenu au terme d’une fusion prolongée à très hauts degrés pour en éliminer toutes les impuretés. Passer par le feu, signifie passer par l’épreuve, physique et morale pour se retrouver dans la pureté de son être profond, pour être accessible à son Dieu. Souvenez-vous du buisson ardent du Sinaï, limite infranchissable qui démarquait le domaine du divin. L’homme n’y a accès que si son cœur se laisse purifier.

Une flamme qui excite, réchauffe et purifie : voilà donc le feu que Jésus a hâte d’allumer. Mais, pouvons-nous aller plus loin et nous approprier ces symboles ? J’ai quelques raisons de le croire.

Tout d’abord, n’avons-nous pas besoin d’une nouvelle flambée d’Esprit-Saint pour réveiller notre zèle et nous remettre en marche ? Voici bien des années un supérieur religieux implorait l’Esprit de venir mettre le feu au bois mort de sa communauté ankylosée. Le bois ne manquait pas ; les vocations étaient alors nombreuses, mais endormies dans le formalisme et le confort. Du bois mort ! La prière de ce supérieur rejoignait celle de Jésus, impatient de voir s’embraser la terre entière. J’imagine que notre pape François ne prie pas autrement. Plus d’un milliards de baptisés, trois millions de jeunes à Rio : cela devrait faire un beau feu de Pentecôte pour «renouveler la face de la terre » ! Alors, qu’attendons-nous pour réanimer la flamme reçue au jour de notre baptême ? L’avons-nous étouffée ?

Que deviennent aussi nos foyers spirituels ? Nos paroisses, nos communautés, nos familles, nos Eglises ? Sont-elles chaleureuses ou glaciales, conviviales ou mortifères ? Sont-elles des lieux où il fait bon vivre, comme autour de la cheminée quand se consumait la bûche de Noël ? Bien sûr, l’isolement, la solitude… Je pense aux pensionnaires de nos EMS. Mais il est d’autres déserts de glace. Qui viendra réchauffer les humains qui ont été parqués sur ces banquises gelées? Qui transformera nos mouroirs en foyers lumineux, là où les yeux des aînés rayonnent de la joie des enfants qui trottinent autour d’eux ?

« Vaste programme », dites-vous, résignés ou désabusés. Mais personne ne prétend qu’on le réalisera sans peine, sans purification, sans passer par le feu ! Faut-il attendre la crise pour nous réveiller ? Il vaut mieux prendre les devants et nous laisser brûler par l’Esprit. Même… à petit feu !»

20e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Jérémie 38, 4-6.8-10; Hébreux 12, 1-4; Luc 12, 49-53

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