Homélie du 12 mai 2013

Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 12 mai 2013
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

Au Moyen Age, les artistes – poètes et musiciens – avaient souvent recours à un procédé de composition qui aujourd’hui ferait se courroucer les sociétés de droits d’auteur : le « contrafactum », que l’on pourrait traduire par « contrefaçon », « imitation », voire (mais ce serait un anachronisme) par « pastiche » ou « plagiat ». Ainsi un troubadour pouvait-il mettre sur une mélodie des paroles qu’il avait trouvées chez un poète ou bien un musicien d’Église s’approprier la mélodie d’une chanson qu’il avait entendue dans les rues, composée par un autre. Dans l’un et l’autre cas c’était rendre hommage au poète ou au compositeur que l’on copiait ou imitait.

En quelque sorte il en va de même pour notre vie de disciples du Christ. Comment en effet pourrions-nous inventer de toutes pièces notre existence chrétienne ? Celle-ci ne peut être qu’une imitation de la vie de Jésus, du moins un essai d’imitation. « Qu’aurait fait le Christ à ma place ? » : c’est la question que de nombreux spirituels nous invitent à laisser résonner en nous au fil des situations qui nous posent problème. Dans l’épreuve, l’adversité, l’échec, la maladie, la persécution, l’incompréhension de nos proches ou encore quand une décision importante doit être prise.

Le lectionnaire du Temps pascal nous donne à lire les Actes des Apôtres, lesquels ne sont pas autre chose que les paroles et les actes des premières communautés chrétiennes, tout attentives à imiter leur Seigneur dans les circonstances et les temps qui étaient les leurs, à se conformer à « tout ce que Jésus a fait et enseigné depuis le commencement, jusqu’au jour où il fut enlevé au ciel après avoir, dans l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis » (Ac 1, 2) – pour citer l’incipit du livre des Actes. « Se conformer », disais-je, parce qu’il s’agit bien de laisser l’Évangile donner forme à notre vie, la dynamiser, la ressusciter. Et, quand nous nous y essayons, alors nous mesurons que se produit en nous une « métamorphose », une lente transformation de notre être pour qu’il adopte ce style de vie unique – j’allais dire « inimitable » ! – cette manière de traverser le monde qui appartient au Christ. « lui qui a passé en faisant le bien » (Ac 10, 38).

La geste d’Etienne, racontée en Ac 7, traite d’une telle métamorphose ou comment le disciple ne fait rien d’autre qu’imiter son Maître et se conformer à son Évangile. « Seigneur Jésus, reçois mon esprit … ne leur compte pas ce péché. » (Ac 7 59-60). Le génie du christianisme se résume dans le pardon des péchés qui affligent notre humanité. Acte du Christ qui en Croix s’écrie : « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Lc 23, 34). Acte du disciple, qui en est comme le troubadour et qui, dans une situation extrême, ne peut qu’imiter son Seigneur, ne rien dire qui ne vienne de Lui et proférer le seul chant qui convienne en de telle circonstance : s’en remettre totalement à Dieu et remettre ses bourreaux à Celui-là seul qui peut pardonner. Car bien sûr, en dernier recours, le pardon reste toujours l’œuvre de Dieu en nous-mêmes. Pardonner c’est laisser le pardon du Christ, pardon accordé à toute l’humanité, s’accomplir en nous, se concrétiser dans ma propre vie.

Or un tel acte – acte du Christ, acte du Christ en ceux et celles qui se réclament de lui –est éminemment évangélisateur. Il résume le passage de Jésus sur terre : repris et imité par ses disciples, il ouvre le cœur de ceux qui perçoivent le génie d’un tel geste et donne de reconnaître qui est Jésus. La présence de Saul au martyre d’Etienne est ici pleine de sens. Pleine de sens également aujourd’hui l’épreuve que traversent les communautés chrétiennes du Proche et du Moyen Orient. « En ce moment, il y a beaucoup, beaucoup de chrétiens qui souffrent de persécutions dans beaucoup de pays » – commentait le pape François, ajoutant : « Lorsqu’une personne connaît vraiment le Christ et croit en lui, elle ne peut s’empêcher de communiquer cette expérience. Et si elle rencontre des incompréhensions ou des adversités, elle répond comme le Christ, avec l’amour et avec la force de la vérité ».

« Ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi » (Jn 17, 24). Le lieu où le Christ nous veut aujourd’hui est celui du pardon. N’oublions pas que le Christ de la Résurrection se laisse reconnaître dans le pardon qu’il accorde aux disciples qui l’on lâché durant sa Passion, et que le pardon demeure pour les chrétiens d’aujourd’hui le lieu privilégié de la reconnaissance : reconnaître le Christ en ceux et celles qui l’imitent dans l’attente de sa venue. « Voici que je viens sans tarder, et j’apporte avec moi le salaire que je vais donner à chacun selon ce qu’il aura fait. » (Ap 22, 12).»

7e dimanche de Pâques

Lectures bibliques : Actes 7, 55-60; Apocalypse 22, 12-14.16-20; Jean 17, 20-26

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