Homélie du 03 mars 2013

Prédicateur : Père Bernard Bonvin
Date : 03 mars 2013
Lieu : Collégiale Saint-Laurent, Estavayer-le-Lac
Type : radio

Dieu, dans la première lecture de ce dimanche, sollicitait Moïse pour une mission : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte […] Je suis descendu pour le délivrer … Tu diras au peuple d’Israël : « Je suis » m’a envoyé …» À Moïse désemparé, il répond en quatre mots : « Je suis avec toi » Il est aussi avec chacun/chacune de nous, mais comment s’y prend-il ?

Généralement les malheurs du monde, à la une des médias, soulèvent autant de questions que d’indignation : s’agissant du tremblement de terre d’Haïti en janvier 2010, m’a frappé le propos d’un évêque, sans doute largement partagé, tant nous sidère une telle catastrophe :

« Toute personne qui croit en Dieu et qui essaye de vivre de cette foi ne peut pas ne pas être touchée au cœur par le malheur qui détruit et par la malédiction qui touche votre pays. Tous s’interrogent : « Où es-tu Seigneur ? Que fais-tu Seigneur ? « [1]»

Dans nos quotidiens, c’est la loi du donnant-donnant qui régit la plupart de nos relations : la rétribution immédiate semble aller de soi. Mais comment l’évangile de ce jour envisage-t-il nos rapports avec Dieu ? En scène, deux faits divers tragiques, et une petite parabole. Premier fait : alors que Jésus prêche, surviennent des gens qui évoquent l’affaire des Galiléens que Pilate avait fait massacrer pendant qu’ils offraient un sacrifice. Ces victimes étaient-elles punies en raison de leur faute, demande-t-on à Jésus ? Non, répond-il et il renchérit en évoquant un deuxième fait aussi dramatique : mais non plus dans la Galilée suspecte de contamination païenne, mais à Jérusalem, où la chute de la tour de Siloë a causé la mort de dix-huit personnes. Fallait-il que ces victimes aient été particulièrement coupables ? « Eh bien non, martèle Jésus, et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière. »

À la différence de ses disciples, Jésus n’appelle pas le feu du ciel sur les Samaritains qui l’accueillent mal. Il nie toute intervention de Dieu dans le processus qui va du péché à la mort. Le péché nous sclérose, tue en pactisant avec la mort de l’autre et avec notre propre mort mais ce n’est pas Dieu qui va nous faire périr ; c’est nous qui allons à notre perte.

Un autre évêque considère de toute autre manière la catastrophe d’Haïti : il réfute le lien entre les malheurs et malédiction divine. Je le cite :

« Comment croire en Dieu quand la poussière a le dernier mot ? […] Curieusement, c’est nous qui pensons cela. Nous, pour qui le drame reste à distance, […] pour qui le souci du lendemain n’est pas la première urgence. Au contraire, dans les ruines [de Port-au-Prince], les survivants incarcérés, les rescapés, les familles endeuillées, […] tous ou presque, prient, […] présentent à son regard les cadavres des êtres aimés. Quel philosophe athée, […] quel sceptique oserait se moquer de ces prières ? Chacun sait bien que s’il était sous ces ruines, il ne pourrait peut-être pas retenir ces appels, même si par une autre part de soi, il les jugerait absurdes. […] L’homme, sous la menace de la mort, n’a pas besoin de se justifier pour chercher la bouffée d’air frais qui lui manque. […] Où est Dieu dans les ruines d’Haïti ? […] Il est à Haïti comme sur le Golgotha, dans le silence et le mystère, dans le cri de l’homme qui refuse de laisser à la mort le dernier mot. »

Dans l’évangile Jésus nous prémunit de la tentation d’impliquer le bras de Dieu dans les malheurs humains, quels qu’ils soient. Croyants ou non, avec notre liberté si fragile, nous sommes égaux devant la vie et la mort qui peut survenir brusquement et sans avertir. Par la foi, nous nous remettons dans la main du Créateur notre Père, quoi qu’il advienne. Se convertir, en grec metanoien, c’est plus que faire demi-tour, c’est changer d’esprit : se retourner vers Dieu dans la vie telle qu’elle va.

« Convertissez-vous », répète Jésus, qui ne considère pas l’origine du malheur, mais l’avenir des vivants. Devant les drames qui déchirent le monde, ne demeurons ni simples spectateurs, ni dénonciateurs indignés. De quel droit dénoncer le mal du monde, si dans mon quotidien, je ne suis pas au service de la vie ; si elle s’étiole autour de moi, parfois même à cause de moi ? Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez, non pas nécessairement de mort physique, mais de cette mort qu’est l’éloignement de Dieu.

A juste titre, nous n’acceptons plus de voir partout péché et punition, et nous nous réjouissons de nous libérer de ce qui nous culpabilise de manière indue. Est-ce à dire que le péché n’a plus de consistance ? Un ami prêtre écrivait : « Je connais au moins deux malheurs dont je voudrais qu’on délivre notre monde : celui de croire que nous avons trop péché pour être encore pardonnés, et celui d’imaginer que le péché n’existe plus. Deux attitudes qui insinuent le même blasphème : le Christ est mort pour rien. »

C’est sagesse de nous accueillir dans nos faiblesses : c’est courageux de nous réjouir de l’exigeante et merveilleuse responsabilité d’une liberté qui fait notre dignité inaliénable, malgré ses fragilités.

La petite parabole du figuier nous rappelle la douce patience d’un vigneron. Celui de cet évangile, nous l’identifions aussitôt : « Je suis la vigne et mon Père est le vigneron… Je suis la vigne, et vous les sarments. » Le vigneron creuse, aère les racines, enrichit la terre, émonde les sarments. Il s’agit de soins et non de saccage. La taille n’affecte le cep que pour le rendre plus fécond.

C’est peut-être un figuier au beau feuillage mais sans fruit qui irrite ce Maître : il ne se satisfait pas de la seule belle apparence. Si nous lui appartenons, laissons-le œuvrer, à savoir approfondir notre vie intérieure, aérer notre cœur dans le silence : nous exposer ainsi au soleil de Dieu ne nous clôt pas sur nous, mais nous prépare à offrir des figues au passant assoiffé.

Le Dieu qui veut que nous portions du fruit est celui qui a dit un jour à Moïse et le répète aujourd’hui : « J’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte… » Porter du fruit pour la vie du monde, c’est l’appel que la Parole de Dieu nous adresse. Défi immense que je ne vais pas assumer, porter et gérer seul : ce n’est pas de moi seul que relève le devoir de vivre de vie, c’est de Lui-avec-moi, c’est de Moi-avec-Lui. « Je suis avec toi… Va ! »

[1] LA CROIX, 31 janvier 2010

3e dimanche de Carême

Lectures bibliques : Exode 3, 1-8a.13-15 ; 1 Corinthiens 10, 1-6.10-12 ; Luc 13, 1-9

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