Prédicateur : Abbé Stephan Guggenbühl, avec des confirmands
Date : 17 février 2013
Lieu : Eglise St-Maurice, Appenzell
Type : tv
Les trois jeunes qui se préparent à la confirmation viennent de nous indiquer les tentations diaboliques auxquelles Jésus a été soumis en son temps. Je vous demande maintenant : connaissez-vous des tentations semblables dans votre entourage?
Confirmand : Oui, bien sûr. Nous voyons la publicité souvent accrocheuse pour acheter pratiquement tout : « Tu dois absolument avoir ce qui est tendance, à la mode, car sans ça tu te coupes des gens, tu n’es quand même pas stupide, le shopping est cool… » Et soit dit en passant : l’argent facile promet une vie insouciante et plein de luxe.
Confirmand : Aujourd’hui, on cherche partout la superstar, le super talent, le top modèle. Tout doit cool, méga, hit et être au top. Partout et toujours on doit être au sommet, montrer sa puissance et sa force, on veut dominer et briller, et même parfois bluffer – et enfin, et ce n’est pas la moindre des choses, rire et se moquer des perdants, des faibles et des mauviettes.
Confirmand : Nous entendons aussi les slogans séduisants des grands de la société, de la politique et de l’économie. Nous connaissons les potins souvent cools des stars de cinéma, des médias, de la scène musicale, du sport. Et beaucoup se laissent convaincre par les radotages au bistrot, là où l’alcool, la nicotine et le tabagisme favorisent encore davantage les tentations.
Curé : Lorsque les tentations sont détectées de manière claire et sans ambiguïté, comme vous venez de le faire, vous devez supposer que personne n’est assez stupide pour y succomber.
Le perfide est justement que beaucoup d’arguments du séducteur sont tout à fait compréhensibles et semblent raisonnables. Pourquoi je devrais renoncer à une vie plus confortable, pourquoi ne pas croire aux promesses, puisqu’elles proviennent toutes de gens qui ont réussi… Je ne pourrai pas lâcher ma tête et les suivre sans hésiter ?
Même le diable, dans l’évangile d’aujourd’hui, plaide de façon tout à fait raisonnable, ce qu’il dit semble sensé… Pourquoi Jésus ne serait-il pas d’accord et ne lui montrerait pas sa grandeur ?…
Et le point culminant de l’effronterie du diable, c’est d’utiliser le verset d’un psaume et de s’en moquer en disant: «Il donnera à ses anges l’ordre de te garder. Ils te porteront sur leurs mains de peur que ton pied ne heurte une pierre.»
A y regarder de plus près, cependant, on se rend vite compte que beaucoup de tentations sont finalement liées à nous-mêmes; par exemple, quand on emploie des arguments séduisants comme: «Ça m’est donc égal, ça ne fait rien, je m’en fiche, les autres le font aussi, ça ira de toute façon…»
Une des plus grandes tentations est bien la fuite dans l’indifférence et la paresse, aussi longtemps que tout va bien pour moi, je peux me laisser aller. Détourner le regard, hausser les épaules avec indifférence, simplement ne pas vouloir voir et tout banaliser, tout cela ouvre la voie aux séductions. Ainsi je peux projeter le mal loin de moi, à l’extérieur, et je peux m’en distancier avec élégance.
Tout d’abord, ça fait du bien de constater que Jésus se tient sur le même terrain que nous, les humains.
De toute évidence, il connaît aussi les besoins physiques et matériels des humains. Il doit faire face aux mêmes tentations venant du monde.
Il est surprenant de constater, cependant, que Jésus affronte le tentateur très calmement, il ne le chasse pas de sa route. Jésus ne le diabolise pas et ne le maudit pas.
Il réagit de manière factuelle et lucide, il ne veut pas faire une démonstration de puissance ou résoudre les problèmes avec des trucs divins… Son désir ne le tire pas vers la richesse matérielle, la puissance économique, politique, religieuse ou un besoin de protection divine. Les réponses de Jésus sont courtes, simples et claires, il ne cite que l’Ecriture: «Tu ne serviras que Dieu seul».
Jésus applique ce que le séjour au désert lui a appris. Les trois attaques mesquines du diable ne le touchent quasiment pas et ne le provoquent presque pas. La vraie tentation, Jésus l’a éprouvée bien davantage dans les situations extrêmes vécues durant ses 40 jours.
Là, dans l’éloignement du monde, dehors dans la solitude, dans un lieu – comme on dit parfois – abandonné de Dieu – il a eu faim durant 40 jours. Qu’a-t-il vécu vraiment ? Un éloignement de Dieu ? Un profond désir de Dieu, une aspiration au divin, la certitude de Dieu ? comme nous le connaissons par d’autres figures religieuses et mystiques ? Nous ne le savons pas.
Parce que lorsque l’homme est entièrement tourné en lui-même, alors se produit souvent la rupture, la transformation, là, il retourne à son Dieu. Dans le désert, nous apprenons à connaître Jésus dans son humanité la plus profonde, mais aussi dans la retenue et l’élan vers Dieu. Peut-être est-ce ce que les Arabes disent dans un proverbe : «Le désert est le jardin, où Dieu va en promenade».
Les 40 jours doivent être compris, bien sûr, comme un symbole. Cette période est citée 82 fois dans la Bible. Ces jours ont valeur de test, d’étape de développement, de préparation d’un nouveau départ. Le déluge dura 40 jours, le peuple hébreu a passé 40 ans dans le désert… 40 représente simplement une période suffisamment longue, mais nécessaire pour qu’une personne vivre un éclaircissement, un processus de mise en vérité de sa propre existence.
Sur ce chemin, Jésus, rempli du Saint Esprit, est conduit, dans l’évangile de Marc on dit même qu’il a été poussé par l’Esprit.
Jésus ne prend ce chemin comme un héros combattant ou comme un marginal au souffle ésotérique. Il y va en confiance dans les pas de Dieu. Après avoir passé ce temps, il se passe des choses importantes. Pour Jésus, cela a été la préparation ultime pour tout ce qui a suivi dans les années de sa vie publique.
Si nous voulons résister aux tentations quotidiennes, nous devons, ou mieux dit, nous pouvons prendre le même chemin que Jésus.
Notre traversée du désert commence lorsque nous commençons à regarder notre propre vie, à prendre du temps pour considérer nos activités. C’est alors que commencent le questionnement et la recherche… Avec une loupe je peux examiner ma propre vie et mon propre monde avec leurs forces et leurs faiblesses, ses déceptions, mais je vois enfin plus clair. Alors surgissent aussi les doutes, les peurs et les contradictions, la lutte interne entre mes arguments et les émotions commence et dans un tel tumulte chaotique du séducteur s’installe en moi souvent un jeu facile qui dit : à quoi servent tous tes efforts, ça ne mène à rien, pourquoi tu te démènes ainsi ? Mais, comme Jésus faisant confiance à l’Esprit de Dieu, il faudra considérer ces formules creuses et ces excuses boiteuses. En sortant du désert, la personne revient dans la vie quotidienne renforcée et mûrie.
Concrètement cela peut signifier : j’enlève la saleté de mes yeux, de mes oreilles, je ne suis pas naïf, pas stupide, je considère tout mon quotidien à travers ce filtre du désert.
Alors j’entends ma voix intérieure et je me confronte à des arguments souvent contradictoires. J’essaie de surmonter les craintes et les sentiments de découragement et je veux puiser la force de résister aux séductions de ce monde séduisant, ce qui me conduit à une vie pleine de sens et qui a le goût de l’Esprit.
Peut-être que je vais faire durant ce temps de Carême, de manière consciente, quelques pas vers la liberté, je regarde autour de moi attentivement, je prends une profonde respiration et je laisse mon esprit vagabonder. Ou alors, je me prends un temps de silence, de méditation, et peut-être aussi de prière.
40 jours de carême sont devant nous. Faisons-en des jours de désert!
Lectures bibliques : Deutéronome 26, 4-10; Romains 10, 8-13; Luc 4, 1-13