Homélie du 03 février 2013

Prédicateur : Abbé Olivier Humbert
Date : 03 février 2013
Lieu : Eglie de la Visitation, Meyrin
Type : radio

DIMANCHE DE L’APOSTOLAT DES LAICS

Il y a quelques années maintenant, je me trouvais dans un kiosque à journaux, tout près de Genève. J’étais en train de regarder distraitement les titres des magazines. A côté de moi, il y avait un jeune garçon, qui pouvait avoir environ 10 ans, qui feuilletait une revue qui parlait de Jésus. C’est alors qu’une vendeuse qui semblait le connaître, l’interpelle et lui dit tout de go : « Pourquoi regardes-tu çà ? De toute façon, Jésus, c’est périmé ».

Eh bien, il me semble que cette vendeuse, par ailleurs sympathique, posait ce jour-là sans le savoir une question absolument fondamentale : « Peut-on encore suivre le Christ aujourd’hui, ou bien le Christ est-il d’une certaine manière, périmé ? ». On appelle périmé, je le rappelle, ce qui n’est plus valable, désuet, dépassé. Avec les acquis, parfois considérables, de la science, de la médecine, de la psychologie, de la pensée positive, de l’aide humanitaire, ou que sais-je encore, qu’avons-nous encore à dire, qu’avons-nous encore à proposer ? C’est une question que le monde a bien le droit de nous poser, et nous devons nous aussi nous la poser pour pouvoir y répondre. Quel sens ça a, à quoi ça rime de suivre le Christ aujourd’hui ? Nous sommes dans un monde où tout va très vite, ce qui semble vrai un jour ne l’est plus forcément le lendemain. La vie est difficile pour beaucoup, on ne peut pas se payer de mots. Avons-nous encore une bonne nouvelle à annoncer, ou devrions-nous faire nos valises et laisser la place à d’autres prophètes plus performants, plus modernes que nous ? Comment apprendre à reconnaître la présence du Christ dans notre monde ?

Pour y répondre, il me semble que le mieux est d’observer Jésus. Ce qui me frappe dans l’attitude de Jésus, c’est qu’il n’entre jamais en concurrence avec les autres, il ne cherche pas à les empêcher de vivre, mais il suit son chemin, sans dévier de sa route. Il est venu, comme Luc nous le rappelle, accomplir une parole, une promesse de vie pour tous, et spécialement pour ceux qui souffrent. Et il le fait de manière fulgurante. J’aime bien cette remarque de ce merveilleux poète qu’est Christian Bobin dans son ouvrage : « Le Christ aux coquelicots » : « Quand la vérité entre dans un cœur, elle est comme une petite fille qui, entrant dans une pièce, fait aussitôt paraître vieux tout ce qui s’y trouve ! ». C’est bien ce qui se passe à la synagogue de Nazareth lors de la venue de Jésus, j’allais dire dans sa paroisse. Tout le monde est sous le charme, le miel coule de ses lèvres, c’est un délice de l’entendre, un vrai bonheur, quoi ! On pourrait l’écouter pendant des heures, et d’ailleurs on l’écoute pendant des heures ! Et on se demande comment c’est possible, d’où ça lui vient, alors qu’on le connaît depuis si longtemps, trente ans déjà, on sait très bien qui il est, il est le fils du Joseph.

Et là, assez curieusement, alors que rien ne semblait l’annoncer, au contraire, ça va tourner au vinaigre. Pourquoi ? Parce que Jésus sent bien que derrière leur admiration il y a une ambiguïté, un quiproquo, et il va les lever. Quelle sorte de quiproquo ? C’est qu’il n’est pas celui qu’on attend ! On attend de lui qu’il fasse ses preuves, alors que lui n’a rien à prouver, il n’est pas venu pour être populaire, ni pour flatter les habitants de son village, de son pays ou même de sa religion. Et pour bien le souligner, Jésus, dans son intervention, va faire mention de quatre personnes, deux prophètes et deux païens ! Deux contestataires, Elie et Elisée, et deux misérables, le mot n’est pas trop fort, une veuve cananéenne et un lépreux syrien. Pas un seul homme de l’establishment, quel scandale ! Mais deux personnes qui ont énormément souffert : de la faim pour l’une, de la maladie pour l’autre, de l’isolement pour les deux. Ces deux païens n’avaient même pas la consolation de la foi. La veuve sera nourrie par Elie. Le lépreux sera libéré de son mal par Elisée. Mais surtout, tous deux, à travers la visite des prophètes, reçoivent une visite du ciel. Ils ont été secourus, pris en charge par un Dieu d’amour. C’est dans cette ligne que Jésus s’inscrit : celle d’un Dieu qui nous surprend toujours, d’un Dieu qui ne cesse de faire du neuf là où on attendrait qu’il vienne confirmer nos idées toutes faites, d’un Dieu qui nous précède et nous invite à sortir de nos ornières. D’un Dieu surtout, qui va à la rencontre du plus démuni et du plus faible parce que c’est de ce côté là que son cœur penche.

Alors pourquoi la colère de ces braves gens de Nazareth ? Parce que sans doute, ils pensaient, de bonne foi, avoir un droit prioritaire, ils s’étaient quand même déplacés pour lui ! Ils avaient bien droit, pensaient-ils, à un signe particulier de préférence! Déjà qu’il était allé à Capharnaüm avant de venir chez eux ! Et là Jésus leur rappelle que l’accueil du prophète ne peut pas être conditionnel. Alors bien sûr, ça dérange ! Et ils vont sortir de leurs gonds, jusqu’à vouloir le tuer. Sont-ils plus méchants que d’autres ? Mais non ! Christian Bobin, encore lui, affirme : « Aujourd’hui, les gens sont occupés à tuer Dieu. C’est une occupation à plein temps ».

Alors demandons-nous si nous ne sommes pas un peu comme eux. Quand voulons-nous tuer Dieu, tuer la Bonne nouvelle ? Chaque fois que nous préférons écouter les sirènes mortifères du succès, de la facilité, de l’illusion, de la partialité, de l’exclusion, plutôt que de recevoir la parole exigeante de vie, cette parole qui nous réveille, qui nous lave le cœur, qui nous fait vibrer, qui nous rend heureux, tout simplement parce qu’elle est vraie.

« Mais Jésus, passant au milieu d’eux, allait son chemin ». Rien ni personne ne peut l’arrêter. Jésus a la force en lui. De même, lorsque Dieu envoie le prophète Jérémie, il commence par le rendre fort, inébranlable : « Je fais de toi aujourd’hui une ville fortifiée, une colonne de fer, un rempart de bronze pour faire face à tout le pays ». Cette force que Dieu donne et qui permet de témoigner en vérité, la demandons-nous suffisamment, la puisons-nous assez dans sa Parole ? C’est cette même force qui a permis à Jésus de tenir bon dans l’épreuve, et d’aller son chemin jusqu’à la Croix et surtout jusqu’à la Résurrection.

Alors, la Bonne nouvelle est-elle périmée ? A nous de répondre à cette question, pas tellement par des paroles, c’est facile de parler, et on est dans un monde où il y a déjà tellement de paroles inutiles. Souvent, aujourd’hui il est préférable de se taire, de ne pas trop la ramener comme on dit. Répondre pas tellement par des paroles donc, mais plutôt en choisissant de suivre le Christ sur ce chemin d’humilité, en partageant comme lui les souffrances, les incertitudes et les obscurités de notre monde, mais aussi ses richesses et ses valeurs authentiques, jusqu’à faire l’expérience de la Résurrection. Vous me permettrez de citer une dernière fois Christian Bobin : « Ressuscité par ton souffle, mon cœur connait une fièvre à rendre jaloux les feuillages des arbres, comme si le temps n’était qu’une brûlure de l’âme ».

En cette année qui est aussi ne l’oublions pas, l’année de la foi, 50 ans après le Concile Vatican II, laissons-nous saisir par cette même fièvre, soyons témoins ensemble de l’amour infini du Christ, cet amour qui trouve sa joie dans ce qui est vrai, comme le dit saint Paul. Et rendons-le vivant pour notre monde en suivant son chemin de résurrection et de vie. Amen.»

4e dimanche du temps ordinaire et dimanche de l’Apostolat des laïcs

Lectures bibliques : Jérémie 1, 4-5, 17-19;1 Corinthiens 12, 31 – 13,13; Luc 4, 21-30

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