De retour de Syrie, Marc Fromager dénonce la fureur iconoclaste des djihadistes

Paris, 05.09.2015 (cath.ch-apic) De retour des villes syriennes de Homs, Yabroud et Maaloula – où il s’est rendu fin août avec Mgr Dominique Rey, évêque du diocèse de Fréjus-Toulon – Marc Fromager dénonce la «fureur iconoclaste» des djihadistes.

A cath.ch, le directeur pour la France de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en détresse» (AED) confie qu’en Syrie, toute la population, aussi bien musulmane que chrétienne, essaie de partir, tant le pays est devenu un enfer.

Si en 1920 quelque 30% de la population syrienne était de confession chrétienne, les chrétiens étaient, avant la guerre qui a débuté en 2011, encore environ 8%, sur une population totale de plus de 22 millions d’habitants, en grande majorité musulmans sunnites. Aujourd’hui, 4 millions de Syriens sont réfugiés dans les pays limitrophes, à savoir le Liban, la Jordanie, la Turquie et l’Irak, et près de 8 millions sont déplacés à l’intérieur de la Syrie.

Près de 40% des chrétiens de Syrie ont déjà quitté le pays

«A l’heure actuelle, près de 40% des chrétiens de Syrie – une des plus anciennes communautés chrétiennes du Moyen-Orient – ont déjà quitté le pays», relève Marc Fromager. Qui précise qu’il ne faut pas voir ce conflit comme une guerre de religion islamo-chrétienne, car avant la guerre, la coexistence entre musulmans et chrétiens était très bonne en Syrie. Si les sunnites sont près de 75% de la population syrienne, tous ne sont pas favorables aux insurgés, qui sont bien loin d’avoir le soutien de la majorité de la population.

Marc Fromager, qui est depuis 18 ans au service d’AED, dont bientôt 10 ans comme directeur d’AED pour la France, s’est rendu avec Mgr Dominique Rey au sein d’une délégation de 5 personnes dans les zones reconquises par l’armée gouvernementale syrienne. Après un vol vers Beyrouth, la délégation s’est rendue à Damas par la route. Elle a ensuite visité les villes de Homs, Yabroud et Maaloula, en zone gouvernementale. Ces localités étaient entièrement ou en partie tombées un temps aux mains des rebelles djihadistes.

Les terroristes islamiques profanent les lieux saints chrétiens

«Dans ces endroits récupérés par le gouvernement, encore marqués par des destructions parfois massives, la population revient peu à peu. Les rues sont déblayées des gravats et on a déjà commencé la reconstruction, mais cela va prendre beaucoup de temps….», témoigne Marc Fromager, qui s’était déjà rendu en Syrie. Mais cela, c’était avant la guerre! A Maaloula, l’une des perles de l’îlot chrétien du Qalamoun, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Damas, où est encore parlé l’araméen, la langue de Jésus, la délégation a rencontré les familles de trois chrétiens exécutés par les djihadistes du Front Al-Nosra. Ils s’étaient emparés de cette bourgade chrétienne de 3’000 à 4’000 habitants en septembre 2013.

Les terroristes du Front Al-Nosra – qui ont été chassés de Maaloula par l’armée syrienne le 14 avril 2014 – ont commis de graves déprédations aux lieux saints chrétiens dans ce gros bourg. Ils ont notamment profané le monastère grec-catholique de Mar Sarkis, construit en l’honneur des saints Serge et Bacchus, et le monastère des sœurs grecques-orthodoxes de Mar Takla (sainte Thècle).

«Partout dans la ville, ils se sont acharnés sur les icônes, qu’ils ont volées, brûlées, piétinées. Celles qui n’ont pas été détruites ont été mutilées: les djihadistes leur ont crevé les yeux, effacé les visages… tout un symbole!»

Avec les familles des martyrs de Maaloula

A Maaloula, témoigne Marc Fromager, le 7 septembre 2013, les terroristes islamiques ont exécuté devant les yeux de leurs parents trois chrétiens grecs catholiques qui avaient refusé de se convertir à l’islam.

«Ils ont abattu Michel, son neveu Sarkis et son cousin Antoine, dans une cour. C’est là que nous avons prié avec leur famille». Le diocèse grec-catholique melkite de Homs, Hama et Yabroud va mener le procès de béatification, «car ces trois hommes ont été exécutés explicitement en haine de la foi».

Le plus préoccupant, souligne-t-il, c’est l’attitude d’un certain nombre de membres de la minorité musulmane vivant dans ce village chrétien: «Ils ont préparé l’arrivée des djihadistes et ont participé avec eux à la prise du bourg. C’étaient des voisins qui s’en sont pris aux chrétiens, puis ils sont partis lors de la fuite des djihadistes. La plupart ne sont pas rentrés, et il y a de toute façon une perte de confiance. Les chrétiens ont beaucoup de mal à oublier cette traîtrise…»

A Homs, la délégation a également été témoin des efforts de reconstruction dans une ville qui a subi d’immenses destructions. Après l’évacuation le 9 mai 2014 des derniers rebelles qui y étaient assiégés depuis plus de deux ans, la Vieille Ville de Homs dévastée par la guerre, avec son cœur historique aux nombreuses églises chrétiennes, veut revivre.

Les terroristes avaient piégé la cathédrale

«Les rebelles avaient transformé le sous-sol de la cathédrale grecque-catholique Notre-Dame-de-la-Paix en hôpital de campagne bien équipé. Ils ont systématiquement saccagé les icônes et détruit l’iconostase. Quand, affamés et encerclés, les djihadistes assiégés par l’armée ont pu quitter la ville de Homs, après négociations avec les autorités syriennes, ils ont piégé la cathédrale.

Ils ont laissé une bombe à retardement, qui, en explosant quelques jours plus tard, a éventré le bâtiment. Ils voulaient faire un carnage. Mgr Jean-Abdo Arbach, l’archevêque grec-melkite catholique, se trouvait peu de temps auparavant dans l’église…»

Dans le quartier de Bustan al-Diwan, la délégation a visité la Résidence des Jésuites, où les rebelles ont assassiné le Père Frans van der Lugt, un jésuite néerlandais âgé de 75 ans, qui voulait partager jusqu’au bout, dans des conditions extrêmement difficiles, la souffrance des quelques familles chrétiennes et musulmanes restées sur place depuis le début du conflit. Ce prêtre amoureux de la Syrie a été abattu, le lundi matin 7 avril 2014, dans le jardin, qui abrite désormais sa tombe.

Jumelage entre le diocèse de Fréjus-Toulon et celui de Homs, Hama et Yabroud

Ce voyage avait notamment pour but de préparer le jumelage entre le diocèse de Fréjus-Toulon et celui de Homs, Hama et Yabroud. Il sera scellé en novembre prochain, lors de la venue dans le département du Var de Mgr Jean-Abdo Arbach.

«Une telle visite est importante, car on ne peut pas parler des chrétiens d’Orient, vouloir les aider et leur exprimer notre proximité sans, de temps à autre, mouiller notre chemise et aller à leur rencontre. C’est d’autant plus important lorsque, comme en Syrie, ils ont l’impression de recevoir toute la violence du monde et de servir de boucs émissaires sacrifiés sur l’autel d’intérêts obscurs. Les terroristes de Daech ou ‘Etat islamique’ continuent de semer la terreur en Syrie, où leur mission reste le renversement du régime de Bachar al-Assad. Les Saoudiens, les Qataris et les Turcs sont d’accord avec ce dessein, et malheureusement la France aussi», assène Marc Fromager. Le directeur d’AED France l’explique dans son livre «Guerres, pétrole et radicalisme – les chrétiens d’Orient pris en étau», paru en août 2015 à Paris, aux éditions Salvator. JB


Encadré

Les Occidentaux montrés du doigt pour leur soutien aux rebelles

Centré sur la Syrie et l’Irak, l’ouvrage de Marc Fromager propose un décryptage unique des enjeux religieux, énergétiques et politiques qui déchirent cette région du monde, en pointant du doigt les différentes responsabilités locales et occidentales, y compris françaises. Il dénonce sans ambages dans son livre «la complicité au moins passive avec les pétromonarchies qui ont, pour une part, déclenché et continuent à alimenter le chaos moyen-oriental». Il écrit que l’Occident – les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France essentiellement – participe aussi à l’armement et au financement des djihadistes dans le nord-est syrien, ce qui contribue à faire durer la guerre. «Même si le financement provient davantage de la Péninsule, l’armement – et on est passé à de l’armement lourd – ainsi que les formateurs militaires sont fournis par l’Occident». Marc Fromager explique qu’entre rebelles soi-disant modérés, qui sont aidés par les Occidentaux, et les plus radicaux des islamistes, il y a une telle porosité qu'»il est bien possible, voire probable, que notre aide apportée aux rebelles syriens finisse en partie dans les mains de l’Etat islamique que nous sommes censés combattre».

Loin du «politiquement correct» que véhiculent les grands médias occidentaux quand ils parlent de cette région du monde, le directeur de l’AED France affirme que la crise au Moyen-Orient est le produit combiné de responsabilités locales (enjeux énergétiques, lutte entre l’Arabie Saoudite et l’Iran, radicalisation de l’islam) et étrangères (ingérences occidentales). Dans ce contexte, toute la population souffre mais pour les chrétiens, c’est encore pire: leur simple survie sur les terres qui ont vu naître le christianisme est en jeu.

«Depuis plus de quatre ans, les Syriens savent que les rebelles sont pour la plupart des mercenaires étrangers, financés et armés par l’étranger. Quand allons-nous, y compris la France, enfin changer de politique au Moyen-Orient ?», insiste le directeur de l’AED France. (apic/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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