Prédicateur : Georges Savoy, diacre
Date : 30 décembre 2012
Lieu : Eglise St-Laurent, Charmey
Type : radio
Chers amis, frères et sœurs de Jésus, mes frères et mes sœurs par conséquent,
Sainte famille ! Sainte famille ! Que c’est beau la sainte famille !
N’admirons pas trop ! Ca pourrait trop nous engager.
Il y a deux types de modèles. Des modèles inaccessibles. Ceux qui nous laissent à notre médiocrité et nous dissuadent d’oser même entreprendre un changement personnel en vue de les imiter. Des modèles accessibles, qui sont à notre portée, parce qu’ils reflètent notre vie, assument les difficultés de nos vies. Ces modèles-là nous mettent en chemin. La Sainte Famille est-elle un modèle accessible ?
Il semble que non.
Voyez plutôt !
Il y a entre les personnes de cette famille, dite Sainte – et elle l’est, l’Eglise nous l’affirme – des distances objectivement intolérables pour tout homme, toute femme et tout enfant normalement constitués. Or nous sommes normalement constitués.
Regardons les personnages de cette bien curieuse histoire racontée pour nous par Luc aujourd’hui : L’histoire de Jésus perdu par ses parents, retrouvé après trois jours en situation inattendue. Il est assis au milieu des docteurs de la Loi. Il les écoute, leur pose des questions et répond à certaines des leurs.
Premier personnage :
Un père, Joseph, qui, peu avant de commencer sa nouvelle vie de famille, est désigné comme l’époux promis, alors même que sa fiancée attend un enfant qui n’est pas de lui. Comment accueillir chez lui Marie enceinte par les œuvres d’un autre que lui ? Distance de l’infidélité – c’est ainsi que Joseph reçoit la nouvelle de la grossese de Marie – qui sépare un homme et une femme qui voudraient se promettre fidélité précisément pour la vie.
Deuxième personnage :
Un père, le père réel celui-là, désigné par l’Ange à Marie, peu avant son mariage, comme le Très-Haut envoyant sur elle son Esprit-Saint fécond. Comment Marie peut-elle imaginer que ce Dieu Très-Haut, c’est-à-dire celui qui est infiniment lointain, puisse rejoindre sa petitesse de jeune fille du petit village de Nazareth ? La distance entre ce Père et cette épouse qu’il s’est choisie est objectivement insurmontable, réellement infranchissable. Ne faudrait-il pas que, pour qu’une telle épousaille se réalise, que Dieu cesse d’être Dieu. Dieu est le Très-Haut. Et non pas le Très-Bas, que je sache.
Troisième personnage :
Une mère partagée entre l’amour de Dieu pour elle, son amour à elle pour lui et son amour pour Joseph, son fiancé ? Dieu ne lui demande-t-il pas de se tenir en quelque sorte à distance de Joseph ? Difficile pour Marie ! Difficile pour Joseph !
Quatrième personnage :
Un fils, Jésus, dont nous faisons mémoire de ses douze ans aujourd’hui, qui revendique devant ses parents affolés, une paternité autre que celle de son père Joseph.
Ne le saviez-vous pas ? C’est chez mon Père que je dois être.
Quels parents pourraient accepter un tel discours d’un enfant qui en fait vient de manquer aux règles élémentaires de la vie en famille ? Régles qui consistent en ceci : Un enfant se doit de suivre ses parents, et ce, surtout quand il y a déplacements de foule. Pour le moins distante, l’attitude de Jésus vis-à-vis de ses parents !
Non seulement ce modèle familial est inaccessible – il n’y a que cette famille au monde pour accueillir le Fils de Dieu – , mais en plus il n’est pas souhaitable de s’y conformer, à cause de toutes ces distances.
Pourtant notre foi en Eglise nous dit qu’il y a là un enseignement, un modèle.
Où le modèle ? Où la sainteté du modèle?
Une lecture attentive de Luc va nous aider à répondre à cette question.
Les parents sont stupéfaits. Joseph – c’est son habitude, dans le texte biblique tout au moins – ne dit rien. Marie pose une question et dit sa souffrance et celle de son mari.
Mon enfant, pourquoi nous as tu fait cela ? Vois comme nous avons souffert, ton père et moi.
Comme c’est le cas au sein de beaucoup de couples, notons-le au passage, l’épouse dit la souffrance de son mari qui souffre en silence. Mais ce n’est pas là, proablement, qu’il faut chercher un modèle.
Ils ne comprennent pas. Pour nous cela paraît simple, nous savons ce qu’il adviendra de Jésus. Pour eux, Marie et Joseph, ce n’est pas le cas. Ils souffrent. Marie, elle, dans cette incompréhension, garde néanmoins l’événement dans son cœur, c’est-à-dire dans son intimité la plus profonde.
Et Jésus, dans l’histoire, comment réagit-il ? Il descend à Nazareth avec eux, cette fois – il aurait bien pu le faire tout de suite – et il leur est soumis. Ce qui ne l’empêche pas de grandir en grâce et en sagesse, sous le regard de Dieu et des hommes.
Où donc le modèle ? Où donc la sainteté du modèle ?
Il l’est, le modèle, elle l’est, la sainteté, dans toutes ces distances constatées entre les personnages de cette histoire. Et notamment, fondamentalement dans la distance qui constitue le rapport de Dieu avec sa création, avec toutes ses créatures.
Et s’il y a modèle dans la Sainte Famille, c’est dans la façon qu’elle a de gérer en famille ces distances, la Sainte Famille.
Enfants que nous avons tous été et que nous restons vis-à-vis de nos parents vivants ou morts, mais vous aussi les enfants d’aujourd’hui, sachons qu’il y a une sainte façon de quitter son père et sa mère. Celle qui consiste à poser à vos parents les vraies questions, tout en leur restant soumis. C’est la façon de Jésus, Dieu-Fils.
Nous tous, les parents d’aujourd’hui, sachons que toutes séparations, toutes distances, celles qui s’installent entre nous, mari et époux, celles qui s’installent entre nous et nos enfants, sont autant d’espaces offerts au renouvellement du respect mutuel, qui est la tonalité privilégiée de l’amour. C’est de cette façon que Marie et Joseph vivent leur relation entre eux et avec Jésus.
Parents qui avez perdu un enfant, croyez – et que personne ne dise que la foi est facile – , croyez que la séparation de la mort, dont Marie fera l’expérience, est encore cet espace offert au renouvellement de votre relation avec lui, au renouvellement de sa relation avec vous. Vous n’en avez pas fini avec lui, ni lui avec vous. Il y a marge pour un progrès relationnel pacifiant.
Pourquoi est-elle sainte, cette façon de vivre dans la famille les inévitables distances, les inévitables séparations ? Parce que c’est la façon de procéder de Dieu Père vis-à-vis de Jésus. A peine l’a-t-il engendré qu’il le livre à la fragilité d’une famille d’adoption, qui n’a pour richesse que la foi de ses parents.
Et pour vivre en famille cette sainteté, il n’est pas nécessaire – ni suffisant d’ailleurs – que la famille soit normale, comme on dit de façon irréfléchie, c’est-à-dire constituée selon les lois de l’état et de l’Eglise. Cette sainteté est tout autant la santé possible des familles décomposées ou recomposées. Elle est une ressource pour les enfants aimés, comme pour les mal aimés, pour les enfants entourés de parents qui s’aiment et vivent encore ensemble comme pour les enfants abandonnés, pour les enfants adoptés et leurs parents comme pour les enfants en orphelinat.
Pourquoi est-il si universel ce modèle familial ? Parce que Dieu est Dieu et ne veut en perdre aucun. Parce que Dieu, le Très-Haut, le tout autre, le tout lointain s’est fait le Très-Bas, le tout semblable et le tout proche. Sans jamais s’imposer. Sans obliger ni contraindre.
C’est parce qu’il est le plus lointain tant il est grand, que, se faisant proche et petit, il peut nous aimer d’un amour qui libère.
C’est parce qu’il est le plus lointain tant il est grand, que, nous faisant proche de lui, nous pouvons l’aimer en toute liberté du cœur.
Nos familles sont le creuset de cet amour mutuel.
Dimanche de la Sainte Famille
Lectures bibliques : 1 Samuel 1, 20-28; 1 Jean 3, 1-2, 21-24; Luc 2, 41-52