Prédicateur : Chanoine Jean-Claude Crivelli
Date : 02 décembre 2012
Lieu : Institut La Pelouse, Bex
Type : radio
Je suis un adepte de Apple. La convivialité des Mac et de l’IPhone me convient bien. Ce qui me chagrine un peu, c’est que, chez Apple, vous recevez sans cesse des mises à jour. Comme je tiens à « être in », je reste à l’affût des mises à jour. Ma grande peur existentielle, ce serait de les manquer, de ne plus être à jour. Parce que, moi, je suis moderne.
Moderne. Le mot est lâché. Mais savez-vous qu’il est susceptible de plusieurs sens ? Aux yeux du philosophe, et dans un sens négatif, être moderne c’est être à la remorque de son temps, adhérer au mouvement perpétuel des choses, suivre la mode, se laisser séduire par la nouveauté et par l’éphémère : ce moderne-là est pris par le vertige du temps qui passe. Les « signes dans le soleil, la lune et les étoiles » – dont parle Jésus dans l’évangile de notre dimanche – l’affolent. Cette modernité-là ne peut que nous angoisser.
Or « moderne » peut prendre un sens éminemment positif. Ici je me réfère aux philosophes des Lumières (Kant, Hegel) et à un certain nombre de penseurs du XXe siècle – dont Michel Foucault et Hanna Arendt. Et vous verrez que cette philosophie rejoint celle de l’Évangile, quand ce dernier nous parle des signes des temps.
Être moderne a quelque chose à voir avec l’injonction de Jésus : « Tenez-vous sur vos gardes … restez éveillés et priez en tout temps : ainsi vous serez jugés dignes d’échapper à tout ce qui doit arriver ». Voir notre ch. 21 en saint Luc, où Jésus nous avertit de ne pas nous laisser égarer par les faux messies, les gourous à la mode.
Est moderne, celui qui reste éveillé. Particulièrement dans les périodes de crise, comme celle qui nous assaille actuellement, crise de l’économie, crise de l’éducation et de la transmission des valeurs, crise dans l’Église, … Dans de telles circonstances l’homme moderne est celui qui fait usage de son entendement. Et ici je pense à la devise de Kant Sapere aude qu’on peut traduire par « Aie le courage de te servir de ton entendement ». Aie le courage de penser, de t’interroger sur les temps qui sont les nôtres, de prendre position, de te situer par rapport au mouvement perpétuel du monde. Tâche de ressaisir ce qu’il y d’éternel dans le moment présent (cf. Michel Foucault). Réfléchis un peu, sinon tu risques d’être avalé dans le flux des moments qui passent. « Tenez-vous sur vos gardes de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans la débauche, l’ivrognerie et les soucis de la vie », nous avertit Jésus (Lc 21, 34). Ici notre foi rencontre la raison. Les disciples du Christ que nous sommes peuvent dialoguer avec les hommes et les femmes qui, sans nécessairement partager notre croyance, demeurent lucides et critiques en période de crise, appréhendent cette dernière comme une chance dont il faut partir et repartir. Benoît XVI revient souvent sur le dialogue entre la foi et la raison ; d’où son idée de créer un « Parvis des Gentils ».
Au IIe siècle déjà saint Justin écrivait : Jésus Christ est le Logos souverain auquel tout le genre humain participe. Ceux qui ont vécu selon le Logos sont chrétiens, quoiqu’ils aient été réputés athées : tels ont été, chez les Grecs, Socrate et Héraclite et quelques autres.
Apologie I, 46, 2-3
En ce dimanche où les Écritures nous invitent à scruter les signes des temps – la 1ère lecture déjà éveillait notre attention : « En ces jours-là, en ce temps-là, je ferai naître chez David un Germe de justice » – comment ne pas rappeler le regard que le concile Vatican II portait sur le monde ?
Mû par la foi, se sachant conduit par l’Esprit du Seigneur qui remplit l’univers, le Peuple de Dieu s’efforce de discerner dans les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, auxquels il participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d’une lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation intégrale de l’homme, orientant ainsi l’esprit vers des solutions pleinement humaines.
Gaudium et spes 11
Scruter les signes des temps, voilà bien, pour les disciples que nous sommes, une manière de rester vigilants. De cette vigilance qui ne cesse d’être confortée par notre confiance en la présence inaliénable du Christ. Notre raison d’hommes et de femmes « modernes » ainsi que notre foi de disciples nous donnent l’audace d’interpréter les événements de notre monde. Les signes des temps deviennent alors signes de la foi, du moins signes avant-coureurs de cette justice promise par Dieu (cf 1ère lecture).
Dans les temps qui sont les nôtres tant d’espaces de dialogue sont à développer avec nos contemporains. J’en citerai quelques uns dans la liste dressée par le président du Conseil pontifical pour la culture, le cardinal Gianfranco Ravasi[1] :
Dialogue sur les questions fondamentales : vie et mort, bien et mal, amour et douleur, vérité et mensonge, transcendant et sacré, l’art, le souffle
Dialogue sur ce qu’il est raisonnable de croire, sur la spiritualité des non-croyants
Dialogue sur la rationalité moderne, le sécularisme et la foi
Dialogue sur les valeurs morales communes
Face aux montées des fondamentalismes, des dérives sectaires, des violences idéologiques entretenues, dialoguer, veiller ensemble, écouter et être philosophe dans une commune recherche de sagesse
Voici 50 ans déjà, méditant sur les profonds changements dans la vie des hommes, le concile Vatican II explique que le monde d’aujourd’hui se situe dans « un nouvel âge de l’histoire humaine » (GS 54) et qu’ainsi nous sont offertes les conditions d’y faire entendre la nouveauté de l’Évangile. Puissions-nous traverser ce monde-là dans la joie et l’espérance !
[1] Voir la chronique de Gianfranco Ravasi dans Revue d’éthique et de théologie morale n. 268.»1er dimanche de l’Avent – Année de la foi
Lectures bibliques : Jérémie 33, 14-16; 1 Thessaloniciens 3, 12 – 4, 2; Luc 21, 25-28, 34-36