Prédicateur : Abbé Patrick Werth
Date : 11 novembre 2012
Lieu : Eglise Sainte-Marie, Bienne
Type : radio
« Charité bien ordonnée commence par soi-même » dit le bon sens populaire. On peut donc en déduire que la veuve que nous découvrons dans l’évangile d’aujourd’hui n’est pas raisonnable. On peut aussi en déduire que Jésus lui-même n’est pas raisonnable. Et c’est juste. Le simple bon sens n’est vraiment pas le souci principal de Jésus. Lui aimerait nous entraîner plus loin, parfois beaucoup plus loin que là où nous aimerions aller. Si la méditation sur un texte biblique ne s’arrête pas à une petite leçon de morale, où donc Jésus aimerait-il nous amener aujourd’hui ?
Beaucoup d’entre nous sommes probablement effrayés des formes que peut prendre l’individualisme contemporain. Passe encore que chacun fasse ce qu’il veut. Mais non seulement chacun veut faire ce qu’il veut, chacun veut encore être compris et accepté. Très peu de personnes réalisent l’importance d’être contrariées, dérangées. C’est pourtant bien ce que Jésus fait avec nous. Il est assis au bord du chemin sur lequel nous passons tout stressés comme toujours et soudain, il nous dit quelque chose. Il nous dit quelque chose qui nous oblige à une réaction, ne serait-ce que parce que la plupart d’entre nous allons au moins le regarder, ne serait-ce que parce que le regard de la plupart d’entre nous va être dévié.
En quoi Jésus veut-il dévier le regard d’incompréhension que nous portons sur l’attitude déraisonnable de cette veuve ? Quel est le ressort de l’attitude de cette femme pauvre ? Est-ce que ça pourrait être la générosité ? Et quand la générosité est authentique – et c’est bien là-dessus que Jésus insiste – qu’est-ce que c’est d’autre, sinon une ouverture aux autres ? A une société individualiste où chacun a tendance à se refermer sur ses envies, Jésus propose peut-être de lui demander où elle va.
L’Eglise a donné au 32e dimanche du temps ordinaire – comme ce dimanche s’appelle de manière fort peu poétique -, l’Eglise lui a donné une couleur – et je ne choisis pas le mot par hasard -, l’Eglise en a fait le Dimanche des peuples et le Dimanche des peuples, c’est toujours aussi une réflexion sur l’immigration.
Il n’est pas question ici de sous-estimer les problèmes qu’une petite partie des immigrés cause à l’ensemble de la population. Mais il n’est pas non plus question ici de sous-estimer tout ce que les immigrés ont donné et donnent encore à ce pays.
Au-delà des habitudes de vie des immigrés qui dérangent parfois et parfois même beaucoup, nous devons découvrir l’essentiel. Et c’est quoi cet essentiel ? Cet essentiel, c’est la pulsion de vie qui prend sa source dans la vie de famille, dans la vie de groupe et souvent aussi – notre communauté biennoise en est un bon exemple – dans la vie de foi.
Même si cela ne convient pas à la majorité des habitants de ce pays, la chance que nous offrent les immigrés, c’est qu’ils nous interrogent – à la suite de Jésus – sur notre conception de la vie. Où allons-nous ? Est-ce que le but de la vie est d’avoir le moins d’enfants et d’obligations possibles, mais le plus possible d’objets et de loisirs. Est-ce que le but de la vie, c’est d’être pris pour un extraterrestre quand on salue une personne seule dans la rue où à une table de café ? Est-ce que le but de la vie est que chacun marche ou mange en regardant droit devant lui, ni à droite ni à gauche ? Est-ce que le but de la vie est de finir très âgé et très solitaire ? Est-ce que c’est ça le but de la vie ? Est-ce que c’est ça le modèle que nous avons à offrir ?
Je ne suis pas naïf. Je sais bien qu’il y a un lien entre le niveau de vie et les habitudes. Je sais bien que partout où la richesse augmente, le nombre d’enfants diminue. Je suis aussi parfaitement conscient qu’un pays riche attire les immigrés. Mais il en a toujours été ainsi. Et d’ailleurs comment pourrions-nous vivre aussi confortablement sans les immigrés d’hier et d’aujourd’hui ?
A la suite de Jésus, le but n’est pas de faire la morale, mais de se poser des questions qu’on ne se poserait pas si quelqu’un ne nous bousculait pas. Et ces questions s’adressent à chacun d’entre nous. Elles ne s’adressent pas qu’aux Suisses d’origine, elles s’adressent aussi aux immigrés. Eux aussi sont invités à comprendre que ce pays de vieille tradition est fait de gens très différents, qu’il s’est bâti lentement, avec beaucoup de travail et que son équilibre tient à la recherche continuelle et difficile du consensus.
Mon père est né en 1929 en Allemagne. Il n’a pas fait la guerre, mais il l’a vécue. A vingt ans, il est venu en Suisse, il s’y est marié et y a bâti toute sa vie. Il a été – et moi à sa suite – un Suisse passionné. C’est parce que j’aime ce pays qu’à la suite du Christ j’aimerais qu’il reste un lieu vivant et respectueux de gens différents. Et cela, vivant et respectueux, nous n’y arriverons qu’ensemble : Suisses de longue date, immigrés de tous horizons et de toutes époques. Amen»
32e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : 1 Rois 17, 10-16; Hébreux 9, 24-28; Marc 12, 38-44