Prédicateur : Chanoine François Roten
Date : 30 septembre 2012
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio
« Madame, Monsieur, pour vous, rien que pour vous, nous avons sélectionné l’offre exclusive suivante. »
Mes sœurs, mes frères,
Nos boîtes aux lettres sont remplies de tels messages publicitaires, d’offres exclusives (ou qui en donnent l’impression), d’offres VIP, d’invitations à des ventes privées réservés à quelques initiés triés sur le volet…
Car les publicistes l’ont bien compris : on peut vendre à des êtres humains qui aiment à être considérés spécialement, à se sentir quelqu’un de particulier, hors de la masse ; on peut vendre à des gens qui ont besoin de se savoir différents des autres.
Rien de nouveau sous le soleil puisque déjà du temps du Christ, le groupe des apôtres a les mêmes travers humains. Ayant reçu de Jésus la mission d’aller chasser les démons, les disciples supportent mal de voir un étranger à leur groupe avoir le même succès en exorcisme… N’ont-ils pas été formés et envoyés, eux, spécialement par Jésus ? L’exclusivité de l’exorcisme n’appartient-elle pas uniquement à ceux qui ont été mandatés par Jésus ? A ce petit groupe choisi de disciples pas comme les autres ? Rien qu’à eux, exclusivement ?
Dimanche dernier, nous avons été témoins du fait que les disciples, sur la route de Jérusalem, discutaient pour savoir lequel d’entre eux était le plus grand. Cette semaine, nous entendons saint Jean s’indigner de voir que ce qu’il pensait être une exclusivité apostolique ne l’est pas.
Nous restons toujours aux mêmes préoccupations de préséance, de prestige, de volonté de puissance… Si la semaine dernière la peur de la concurrence était interne au groupe des apôtres (« qui est le plus grand parmi nous ? »), cette fois la concurrence vient de l’extérieur. De ceux qui agissent hors du groupe des apôtres, au nom de Jésus, mais non mandatés par lui.
Il est intéressant de noter l’adjectif possessif utilisé par saint Jean qui se fait le porte-parole des douze dans cette affaire : cet homme, « n’est pas de ceux qui nous suivent ». Jean ne dit pas « ceux qui te suivent » mais bien ceux qui nous suivent. Pour lui, il semblerait que l’on ne peut réaliser des prodiges et des guérisons au nom du Christ que dans la mesure où l’on est explicitement chrétien, où l’on fait partie du groupe défini de ceux qui accompagnent Jésus.
Pourtant saint Jean devrait bien se souvenir que, quelques temps auparavant, les disciples n’avaient pas réussi à chasser certains démons et qu’il avait fallu l’intervention de Jésus en personne pour y parvenir. Appartenir au groupe ne suffit donc pas ; ce n’est pas le seul critère de réussite… Devant l’insuccès de ses apôtres, Jésus avait précisé que certaines sortes de démons ne pouvaient être vaincus que par la prière, c’est-à-dire non par l’appartenance à un groupe mandaté par Jésus-Christ, mais par une relation intime personnelle avec Dieu.
C’est tout le secret du cœur qui est là en jeu, ce cœur de chaque homme que Dieu connaît pleinement, mais dont les autres êtres humains ne peuvent qu’ignorer les pensées. Aussi « Ne jugez pas pour ne pas être jugés »…
Revenons à saint Jean. Lorsque ce dernier veut empêcher la concurrence étrangère, il agit par lui-même, sans demander à Jésus ce qu’il convient de faire, car il se sent concerné lui aussi : il défend ses prérogatives autant que celles de Jésus !
Et Jésus, à nouveau, invite ses disciples à faire un pas, à prendre de la hauteur dans leurs considérations et leurs jugements : il les met en garde contre l’intolérance et la volonté de puissance, de domination. Lui qui avait expliqué qu’il convenait d’accueillir un enfant comme s’il était le Christ en personne, il demande à nouveau de n’exclure personne, de ne juger personne. « Qui n’est pas contre nous est pour nous».
Car l’Esprit de Dieu souffle où il veut, comme il veut, quant il veut.
Et donc être pour Jésus, agir pour lui, exige du croyant d’adopter une attitude d’ouverture permanente à l’action de l’Esprit qui est à l’œuvre dans le cœur de tout homme, de toute femme de bonne volonté. Il convient de toujours cherche à discerner dans le visage de notre prochain le visage de Dieu, de développer une largeur de vue, de cœur et d’esprit qui nous ouvre à l’accueil constant de la Divinité.
C’est un art difficile, car il exige une disponibilité de tout instant, car on ne sait jamais où et comment l’Esprit va se manifester.
La tentation est grande de penser avoir la main sur l’Esprit Saint, de penser que l’Esprit est réservé aux baptisés, ou aux pratiquants réguliers, ou à tel groupe, telle communauté, tel ministère au sein de l’Eglise.
L’évangile de ce jour nous met en garde contre tout sectarisme, car nous n’avons pas nécessairement l’Esprit avec nous parce que nous sommes chrétiens, mais bien parce que nous sommes des femmes et des hommes aimés de Dieu. L’Esprit Saint est donné à tous, il n’est pas réservé à quelques privilégiés. C’est sa présence au cœur de l’homme qui confère sa dignité à l’homme, une dignité telle qu’elle passe avant tout, car elle nous relie déjà au salut, tant l’amour de Dieu veut le bien de tous.
Voilà pourquoi il nous faut tout faire pour ne pas ternir nos âmes, pour ne pas être entraînés vers la terre. Alors que la Vie de Dieu est déjà en nous, nous sommes invités à rester des veilleurs vigilants dont les cœurs ne sont pas obnubilés par l’amas d’argent et les plaisirs du monde, par un esprit enfermé dans ses certitudes, ses prérogatives et ses habitudes (cf. lettre de Jacques).
Comme le Seigneur fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes (Matthieu 5,45), il nous faut, mes frères, mes sœurs, apprendre à voir avec la largeur de vue qui est celle de Dieu.»
26e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Nombres 11, 25-29; Jacques 5, 1-6; Marc 9, 38-48