Collégiale de Berne: Emouvante célébration en mémoire du génocide arménien

Berne, 25.09.2015 (cath.ch-apic) Venu tout exprès du Liban, le catholicos Aram 1er Kechichian était l’hôte d’honneur de la célébration nationale du centenaire du génocide des Arméniens de l’Empire ottoman, qui s’est déroulée à la collégiale de Berne le 25 septembre 2015.

Le chef de l’Eglise apostolique arménienne de Cilicie a rappelé que ce génocide avait été planifié et qu’il a été mis en pratique systématiquement. «Nous ne l’oublierons jamais!», a-t-il martelé.

La commémoration empreinte d’émotion a été l’occasion pour Aram 1er d’exprimer la vive gratitude du peuple arménien pour l’engagement de la Suisse en faveur des Arméniens. Il a rappelé le rôle, au siècle passé, de personnalités engagées pour la cause arménienne, comme le diacre appenzellois Jakob Künzler. Missionnaire en Turquie, il fut témoin oculaire du génocide perpétré dans l’Empire ottoman par le régime des «Jeunes Turcs». Il n’a pas oublié non plus le pasteur vaudois Antony Krafft-Bonnard, qui se voua corps et âme au soutien des Arméniens persécutés, voyant en cette action «une mission sacrée confiée par Dieu».

Les jeunes Suisses peuvent être fiers de leurs pères

Les volontaires suisses ont rempli cette mission dans une période très critique de l’histoire du peuple arménien, souvent dans des conditions extrêmement dangereuses, tout d’abord en Turquie, puis en Syrie, au Liban et en Grèce, a-t-il souligné. «Les jeunes de Suisse peuvent être fiers de ce que leurs parents et grands-parents ont fait pour les Arméniens».

Invité par la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), le chef de l’Eglise apostolique arménienne de Cilicie a dit à l’assemblée sa grande reconnaissance envers la Suisse. Il a souligné que la population dans son ensemble – qu’elle soit protestante, catholique, chrétienne ou non chrétienne – a participé à toutes les initiatives et activités destinées à venir en aide au peuple arménien. Elle continue de se mobiliser depuis plus d’un siècle en faveur des victimes du génocide et de leurs descendants et pour que justice leur soit rendue.

En 1895 déjà, lors des premiers massacres dans l’Empire ottoman, les médias séculiers et religieux à Genève, Lausanne et Neuchâtel ont lancé des campagnes de récolte de fonds, tandis qu’une manifestation avait lieu en 1896 à Lausanne, débouchant sur un programme d’aide aux victimes. En 1915, les protestations populaires trouvèrent un écho auprès d’hommes politiques suisses comme Gustave Ador, futur président de la Confédération, a-t-il rappelé. Suite au massacre des Arméniens, il protesta officiellement contre l’action des Turcs.

Les Suisses qui ont aidé les survivants du génocide sont des «justes»

Saluant le catholicos de Cilicie, le président de la FEPS Gottfried Locher a relevé que les histoires des peuples suisse et arménien se sont rejointes voilà plus de cent ans dans des circonstances tragiques. «Si aujourd’hui vous visitez la Suisse, c’est que le destin tragique qui a frappé le peuple arménien et d’autres peuples à l’époque a aussi vu des fleurs d’espérance et de solidarité pousser, que nous ne voulons et ne devons pas oublier».

«Le dialogue œcuménique nous a appris et montré ce cadeau qui consiste à pouvoir offrir à l’autre tradition des trésors de sa tradition propre. Nous savons l’importance des ‘saints’ et des ‘martyrs’ dans la tradition de l’Eglise apostolique arménienne. Nous découvrons avec émotion que pour vous, les témoins suisses qui ont aidé les survivants du génocide à retrouver un avenir sont aussi des ‘justes’. En fait, votre visite et votre souhait de leur rendre hommage ici en Suisse nous permet de redécouvrir un pan oublié de notre histoire, en fait un pan complètement ignoré», a lancé le président de la FEPS.

Il s’est alors demandé pourquoi cet énorme élan de solidarité en Suisse au tournant du 20e siècle en faveur des Arméniens «a pareillement disparu dans l’oubli». Gottfried Locher a estimé que l’exemple de Jakob Künzler peut être une source d’inspiration pour aujourd’hui: dans les orphelinats et maisons qu’il dirigeait au Moyen-Orient, le missionnaire insistait pour que l’on réserve environ 1/3 des places pour des orphelins musulmans.

Le vivre ensemble et le respect mutuel ne sont pas des acquis

«Le vivre ensemble et le respect mutuel s’apprennent et ne peuvent être, chez nous non plus, considérés comme définitivement acquis. La tragédie actuellement en cours en Irak et en Syrie nous le rappelle. Là aussi, suivons l’exemple de ceux qui nous ont précédés, afin de faire de notre société, en Suisse, une société où il fait bon vivre ensemble. Les Eglises de Suisse, tous les responsables des religions en Suisse ont ici une responsabilité vis-à-vis de leurs membres».

La cérémonie s’est déroulée en présence de l’évêque de Saint-Gall, Mgr Markus Büchel, président de la Conférence des évêques suisses (CES), de représentants des communautés arméniennes de Suisse, de l’Eglise catholique chrétienne, d’une dizaine de membres du groupe parlementaire Suisse–Arménie (GPArm), de la Communauté de travail des Eglises chrétiennes en Suisse, de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI), du Conseil suisse des religions, de la Fondation Armenofas et de descendants et membres de la famille de Jakob Künzler. JB


Encadré

La présidence de la FEPS et de la CES à Beyrouth pour la défense de la liberté religieuse

Lors de la célébration de vendredi 25 septembre à la collégiale de Berne, Gottfried Locher président de la FEPS, a révélé que les présidences de la Conférence des évêques suisses et de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse se rendront «à la fin de l’automne» à Beyrouth «pour rendre hommage et soutenir tous ceux qui luttent pour le respect de la liberté religieuse».

Les Eglises en Suisse veulent ainsi «prendre au sérieux leur responsabilité œcuménique» en s’engageant activement pour la défense de cette liberté religieuse et la protection des victimes de l’extrémisme. Et de rappeler que «des terroristes contrôlent une grande partie de la Syrie et de l’Irak et y détruisent toute trace de civilisation, de cultures millénaires et de cohabitation multiculturelle et pluri-religieuse».

Gottfried Locher a souligné à cette occasion que les chrétiens sont devenus le groupe religieux le plus attaqué et le plus persécuté, «la plupart du temps pour des raisons qui n›ont rien à voir avec la foi, mais avec la situation économique ou les problèmes sociaux du pays, ou parce qu’ils sont rendus responsables des politiques de grandes puissances occidentales». JB


Encadré

Jakob Künzler et le pasteur vaudois Antony Krafft-Bonnard honorés

Au service de la majorité de la diaspora arménienne dans le monde, Aram 1er, dont le siège se trouve à Antélias, près de Beyrouth, séjourne en Suisse du 24 au 26 septembre. Il participe ce samedi à la cérémonie de commémoration à Walzenhausen, d’où est originaire Jakob Künzler, en présence des autorités communales, des autorités fédérales, du groupe parlementaire Suisse–Arménie, du Conseil de la FEPS, des responsables de l’Eglise protestante des deux Appenzell, des paroisses arméniennes de Suisse, des descendants de la famille de Jakob Künzler et de la Fondation Armenofas.

Jakob Künzler (1871–1949) est né à Hundwil et est originaire de Walzenhausen (AR). Il a travaillé durant des années comme infirmier à Urfa, au sud-est de la Turquie. En raison de leur engagement, Jakob Künzler et sa femme Elisabeth furent surnommés «hairig et mayrig» (papa et maman en langue arménienne) par les nombreux orphelins du génocide. Jakob Künzler sauva plusieurs milliers d’orphelins rescapés du génocide perpétré par les partisans du mouvement «Jeune Turc» qui exterminèrent les deux tiers des Arméniens de Turquie lors de la répression contre les chrétiens, rappelle la FEPS.

Jeudi 24 septembre, Aram 1er s’était rendu à Begnins (VD), pour une cérémonie de commémoration dans ce lieu où fut fondé en 1921 le premier orphelinat arménien en Suisse par le pasteur vaudois Antony Krafft-Bonnard. Né en 1869 à Aigle, ce pasteur vaudois consacra sa vie à la défense des Arméniens. JB


Encadré

Suisse-Arménie : 100 ans de solidarité

En 1896, le peuple suisse remet au Conseil fédéral une pétition munie de plus de 450’000 signatures qui demande l’intervention de la Suisse suite au massacre de milliers d’Arméniens dans l’Empire ottoman. Les Eglises et paroisses suisses ont soutenu les Arméniens dans l’est de la Turquie depuis le début des persécutions. Plusieurs d’entre elles ont été très actives dans l’accueil de centaines de réfugiés arméniens en Suisse romande après le génocide. En 1922 et 1924, le Conseil fédéral plaide la cause du peuple arménien devant la Société des Nations.

Depuis longtemps déjà, le Conseil de la FEPS, en accord avec le Conseil œcuménique des Eglises (COE) et la Conférence des Eglises européennes (KEK), soutient les efforts visant à la reconnaissance officielle du génocide arménien. Le Conseil de la FEPS a notamment publié un Mémorandum en 2003, conjointement avec la Conférence des évêques suisses, peu avant que le Conseil national approuve la reconnaissance du génocide arménien.

Aujourd’hui encore, des liens d’entraide sont maintenus en faveur de descendants de réfugiés arméniens, en particulier en Grèce au travers de la Fondation Armenofas, dans laquelle siègent deux représentants de la FEPS. Le génocide a touché également la population assyrienne de la Turquie de l’époque, mais ce dernier n’a pas obtenu jusqu’à ce jour la même reconnaissance politique. La FEPS est en contact régulier avec des organisations de défense des intérêts assyriens et s’engage dans la défense de leurs droits, comme dans le cas du Monastère Mor Gabriel, dans l’est de la Turquie. (apic/com/feps/be)

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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