IRAQ: Rencontre avec le Père Georges Casmoussa,

APIC – Interview

vice-rédacteur en chef de la « Pensée chrétienne »

Le cri du coeur d’une prêtre catholique irakien :

« Nous appartenons au même genre humain que vous! »

Jacques Berset, Agence APIC

« Aidez-nous à vivre en paix, à vivre mieux, nous appartenons au même genre

humain que vous! ». Avec sa voix douce mais persuasive, dans un français riche de nuances et quasiment sans accent, le Père Georges Casmoussa, qui

nous accueille dans son église de Mar Thomas, à Mossoul, interpelle la

conscience des chrétiens occidentaux afin qu’ils soient sensibles à la détresse de la population irakienne soumise à l’embargo de l’ONU, « parce que

c’est la vie d’un peuple qui est en jeu, des enfants meurent ici tous les

jours faute de médicaments! ».

Deuxième ville de l’Iraq, située à quelque 400 km au Nord-Ouest de Bagdad, à une trentaine de kilomètres des montagnes du Kurdistan, Mossoul est

une belle cité campée sur les rives du Tigre, à côté des ruines de l’ancienne Ninive. Mais pour les chrétiens d’Iraq, c’est une ville chargée de

symboles. Mossoul en effet est considérée comme le berceau du christianisme

en Mésopotamie, la source du christianisme dans ce pays situé entre Tigre

et Euphrate. La ville compte quatre communautés: les syriens catholiques,

les syriens orthodoxes (jacobites), les chaldéens catholiques, les assyriens (nestoriens) et une poignée d’arméniens orthodoxes ainsi qu’une église latine sans communauté. Mossoul compte entre 60 et 70’000 chrétiens et

quatre évêques, un pour chacune des principales communautés.

Quand on parle de Mossoul, on doit également mentionner les villages

chrétiens des environs, dont l’évangélisation remonte, selon la tradition

locale, à l’Apôtre Saint Thomas. Il y a notamment Qaraquoch (18’000 fidèles

syro-catholiques), Qaramles (5’000 fidèles chaldéens) et Bartala (8’000 fidèles syro-orthodoxes ou jacobites), situés à quelque 30 kilomètres à l’Est

de la ville. Dans cette région, dans la famille et au village, on parle encore le « surath », le syriaque ou ancien araméen, qui était la langue du

Christ. Certains habitants parlant cette langue minoritaire en Irak ne se

considèrent pas comme arabes : « Nous sommes des Araméens, les vrais descendants des Assyriens ». Il faut encore citer Tall Kayf, au Nord-Est de Mossoul, une ville qui compte environ 10’000 chrétiens chaldéens et assyriens.

Le Père Casmoussa est tout heureux de notre intérêt pour les chrétiens

d’Iraq, un pays où, toutes confessions confondues, ils représentent environ

4 à 5 % de la population, soit plus de 700’000 chrétiens. Mais déplore-til, la présence de cette minorité en Mésopotamie est menacée par l’émigration : « C’est notre grand problème, parce qu’il y a vraiment beaucoup de

chrétiens qui ont quitté le pays; il y en a à Amman, en Syrie, en Turquie,

au Liban. Surtout des jeunes; ils ont passé 10 ans, 12 ans à l’armée; ils

veulent donc fuir cet état de guerre et refaire leur vie ailleurs ».

Des départs pas vraiment motivés ?

« Malheureusement, poursuit-il, les conditions d’émigration sont maintenant les pires de notre histoire. Parce qu’économiquement, c’est une catastrophe, politiquement, personne ne veut leur ouvrir la porte, il n’y a pas

de visas. En ce qui concerne l’Eglise en Iraq, c’est un appauvrissement que

nous subissons avec beaucoup de peine, et je dis clairement que ces départs

ne sont pas toujours vraiment motivés; ils relèvent certainement dans beaucoup de cas de l’égoïsme. Nombreux sont ceux qui raisonnent à courte vue.

Ils pensent qu’en passant la frontière, ils vont trouver des communautés et

des associations qui vont les recevoir; mais il n’y a personne pour les accueillir. Ils dépensent leur argent, ils sont laissés à eux-mêmes, puis ont

besoin de demander l’aide des autres ».

Partir, concède le Père Casmoussa, c’est très humain : « Je ne dis pas

que tout le monde doit être apôtre et missionnaire. Si j’emploie le mot

égoïsme, il faut l’élargir un peu dans le sens où ils n’ont pas vu plus

loin que leur intérêt direct et immédiat. Parce que je suis sûr que s’ils

avaient vu comment ils sont traités dans les camps en Syrie ou en Turquie

et comment toutes les portes leur sont fermées en Occident, ils n’auraient

pas fait ces démarches maintenant. Je sais et j’admets aussi que le brouillard qui nous entoure ne leur laisse pas le temps de réfléchir avec clarté

à ce qu’ils doivent faire. On craint toujours d’être enrôlé par l’armée

pour des actions militaires et on ne peut pas avoir totalement confiance

qu’il n’y aura plus de guerre dans ce pays ou dans les environs ».

Un sentiment d’insécurité toujours présent

Ainsi, le sentiment d’insécurité est toujours présent. Mais si le Père

Casmoussa reste dans son pays, « c’est d’abord par conviction, ensuite en

raison de ma fonction de prêtre, parce que c’est mon pays, c’est ma terre.

Je ne suis pas importé d’ailleurs. On doit supporter les souffrances pour

les dépasser, parce que nos pères en ont déjà endurées beaucoup d’autres.

Je ne peux cependant pas exiger la même chose de tous ces jeunes qui ont

déjà passé 5, 10 voire 12 ans dans l’armée avec toutes les difficultés que

cela comporte. Ils ont vu la mort des dizaines de fois les hanter de près.

Nous avons aussi des prisonniers de guerre qui sont rentrés après 8 ou 10

ans passés dans les camps là-bas en Iran; il y a beaucoup d’autres qui ne

sont pas encore rentrés d’Iran. De ceux-là, personne ne parle. L’opinion

publique est tenue en alerte pour quelques otages occidentaux au Liban,

mais personne ne parle du sort des milliers de jeunes Irakiens encore retenus en Iran; il y parmi eux également des chrétiens ».

Les chrétiens ne subissent pas vraiment de discriminations

Même si quelques uns rentrent, souvent très déçus, la plupart de ceux

qui ont quitté l’Iraq ne reviennent pas, relève Georges Casmoussa, membre

de la Communauté sacerdotale des prêtres du Christ-Roi de Mossoul. « Pour

nous, c’est un appauvrissement, parce que s’il y a de la souffrance, c’est

pour tout le peuple irakien, ce n’est pas seulement pour les chrétiens ». Et

de considérer comme inacceptable que certains chrétiens affirment être maltraités ou avoir des difficultés sérieuses uniquement parce qu’ils sont

chrétiens.

« Je l’affirme à l’étranger, je l’affirme à l’intérieur : il n’y a pas de

discriminations contre les chrétiens dans le sens où vous l’entendez, dans

la presse occidentale. On est une minorité, et une petite minorité se sent

toujours lésée dans ses droits; les chrétiens se sentent parfois comme des

citoyens de seconde zone. Moi, je ne soutiendrais pas ce point de vue ». Le

Père Casmoussa, vice-rédacteur en chef d’ »Al-Fikr Al-Masihi », « La pensée

chrétienne », un mensuel tirant à 8’000 exemplaires et destiné aux diverses

dénominations chrétiennes, et qui compte même 200 abonnés musulmans,

souligne qu’il sait de quoi il parle.

Il admet certes qu’il y a des difficultés sérieuses, mais pas de mauvais

traitements ou de discriminations. Mais, concède-t-il, « nous sommes effectivement une communauté représentant une minorité qui vit sous l’oeil d’une

majorité écrasante et qui, ma foi, se sent toujours la plus forte. Je ne

sais toutefois pas quels seraient les droits de ces mêmes chrétiens, en

tant qu’Arabes, s’ils étaient aux Etats-Unis ou en France. Est-ce qu’ils

auraient tous les droits qu’ont les Français qui ont la carte d’identité

française par exemple? »

Il y a toujours divers motifs pour quitter son pays, note-t-il : le facteur économique – aujourd’hui, avec l’embargo, des enfants meurent faute de

médicaments et on ne peut même plus nourrir sa propre famille – et le facteur sécurité. « Si l’on prend les chrétiens qui, depuis 1962, quittent les

villages du nord de l’Iraq, dans le Kurdistan, il faut en effet, souligner

que cette région n’a plus jamais vécu normalement et en paix. Donc les gens

du pays, surtout les chrétiens qui avaient des parents ou des relations

dans les villes, à Mossoul, à Bagdad ou à l’étranger – USA, Canada, Australie -, ont quitté leurs villages et se sont installés ailleurs pour trouver

du travail ». Dans d’autres cas, des villages chrétiens, comme des villages

kurdes d’ailleurs, ont été rasés parce qu’ils se situaient dans des zones

militaires et de combat entre les « peshemergas » kurdes de Mollah Moustafa

Barzani et les troupes de Bagdad. La population de ces zones a été forcée

de trouver refuge dans les villes.

« Même si l’émigration touche 5 à 10 % de membres de la communauté chrétienne d’Iraq, c’est déjà beaucoup, c’est beaucoup trop! », souligne G. Casmoussa, même si dans l’immédiat cette perte de substance ne menace peutêtre pas la présence chrétienne en Mésopotamie. Mais, avance-t-il, si les

conditions de voyage étaient tout à fait normales, c’est-à-dire si les gens

pouvaient aller là où ils voulaient, recevoir des visas, s’ils pouvaient

sortir tout l’argent qu’ils voudraient, ce serait une vraie catastrophe,

une hémorragie ! »

« On voit des familles entières qui ont tout emporté et s’en sont allées

en Jordanie, poursuit-il. Ils attendent alors là-bas depuis 7 ou 8 mois. La

majorité de ceux qui sont à Amman sont des chrétiens. Et le pourcentage des

chrétiens qui quittent est beaucoup plus grand que celui des musulmans,

parce qu’étant une minorité, le peu qui sort, ça fait beaucoup. Et les

chrétiens qui ont des parents et des relations à l’étranger sont, psychologiquement parlant, plus portés à émigrer. Parce que là encore de fausses

idées sont répandues: ils pensent qu’en Amérique, en Occident, en Australie, les gens sont chrétiens et vont les recevoir, leurs enfant seront

alors éduqués chrétiennement et ils pourront vivre tranquilles, chrétiens

entre chrétiens ».

Le Père Casmoussa lui-même témoigne de ce qu’il a vu au Liban : « Personne là-bas ne reçoit la demande des Irakiens. J’ai vu dans quelles mauvaises

conditions ils vivent, dans des bâtiments démolis, bombardés durant la

guerre libanaise, sans électricité, sans fenêtres, sans portes, avec de

l’humidité partout. Ils habitent là, entassés, ils attendent le salut ».

Dans son appel aux chrétiens d’Occident, le Père Casmoussa déplore que

les pays du tiers-monde ne soient considérés que comme des marchés à conquérir en temps de paix et de terrains d’expérimentation d’armes nouvelles

en temps de guerre : « Cette logique est inhumaine, je ne parle pas d’abord

comme prêtre, mais comme être humain… Est-ce qu’un homme Irakien vaut

moins qu’un Américain ? » Et de conclure de façon sybilline : « On meurt parfois pour des causes inconnues; de toute façon, mourir sous les bombardements alliés ou sur la frontière avec l’Iran, c’est la même chose. N’y a-til pas d’autres moyens pour se faire comprendre que la guerre ? » (apic/be)

webmaster@kath.ch

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/apic-interview-16/