Prédicateur : Abbé Marc-Louis Passera
Date : 30 octobre 2011
Lieu : Eglise de Chêne-Bourg, GE
Type : radio
31e dimanche du temps ordinaire
Ces paroles, c’est à nous qu’elles s’adressent aujourd’hui. A nous qui « devons accepter sans regret, sans retour, la fin des chrétientés. C’est à dire, qui devons partir de l’évangile, de la personne, de la liberté, comme les chrétiens des premiers siècles » (CLEMENT, Olivier, La révolte de l’Esprit, Paris, 1979, p. 193). C’est un véritable défi, mais c’est aussi une chance extraordinaire, qu’il nous faut saisir sans oublier que nous n’avons « qu’un seul maître, le Christ » et que « nous sommes tous frères ».
En effet, qu’est-ce que Jésus reproche aux scribes et aux pharisiens ? Non pas ce qu’ils disent, mais de dire et de ne pas faire (Mt 23,3). Non pas leur connaissance de la Torah et de la tradition d’Israël, mais leur manière de s’en servir pour se mettre en avant. Non pas d’être des points de repère au milieu du peuple croyant, mais d’imposer de pesants fardeaux qu’eux-mêmes ne veulent pas remuer du doigt (Mt 23,4).
Autant de dangers qui menacent aussi nos communautés.
Par sept fois, Jésus dira : « Malheureux êtes-vous, scribes et pharisiens hypocrites ». Et ces paroles c’est pour nous qu’elles retentissent aujourd’hui, pour que nous ne nous enfermions pas à notre tour dans ce malheur.
Alors, qu’est-ce qui a manqué ?
La réponse, je crois que nous pouvons la donner de nous-mêmes en partant de notre expérience de croyants et en retournant la question : qu’est-ce qui nous a aidés, qu’est-ce qui nous a fait avancer dans la foi ?
Ce sont probablement ces témoins crédibles qui nous ont montré quelque chose du visage du Seigneur. C’est peut-être un climat favorable dans lequel nous avons évolué et où nous avons perçu qu’il était là, présence discrète, mais fidèle. Pour certains, ce fut une rencontre inattendue avec lui dans un moment fort de la vie où il a fallu faire face et décider pour le futur.
Pour chacun, c’est une histoire toute personnelle, mais toujours une rencontre avec lui. Et dès lors, nous sommes passés de la découverte à l’émerveillement, de l’écoute à la confiance, de la fréquentation à la disponibilité. Petit à petit, il est devenu beaucoup plus qu’une référence, beaucoup plus que quelqu’un pour qui on a de l’estime et dont on partage les idées, nous avons saisi qu’il est le Seigneur.
« Voici que je me tiens à la porte et je frappe -dit le Seigneur – si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je prendrai le repas avec lui et lui avec moi ». (Ap 3, 20).
A l’attitude que l’on devine austère et distante des scribes et des Pharisiens, le Christ oppose celle de la convivialité, de l’être avec, du repas partagé. C’est bien l’être avec le Seigneur qui est au cœur de notre foi et de notre vie. C’est bien lui qui est notre joie.
Devenir disciples du Christ, voilà bien la grande aventure de notre vie. J’aime la petite phrase glissée par Ignace d’Antioche dans la lettre qu’il adresse aux Romains. Alors que déjà âgé, il est en chemin vers le martyre, il écrit : « C’est maintenant que je commence à être disciple » (Romains 5,3). Elle me fait penser au témoignage de Paul : Je ne suis pas encore arrivé, « je ne suis pas encore parfait ; mais je m’élance pour tâcher de le saisir parce que j’ai été moi-même saisi par Jésus Christ » (Phil 3,12).
Mais devenir ses disciples, c’est aussi nous découvrir frères et sœur en Christ.
Permettez-moi de le dire en toute simplicité : il me semble que nous souffrons parfois d’une certaine solitude dans nos vies de disciples. Certes, il nous faut respecter le chemin de chacun et nous tenir à l’abri de toute curiosité déplacée comme de toute théâtralité. Mais nous ne pouvons pas être disciples exclusivement dans ce que l’on aime appeler de nos jour « la sphère privée ». Etre disciple du Christ, c’est aussi, toujours, être membres de son corps. Etre présents les uns aux autres et prendre notre place dans notre monde en son nom.
Il nous faut faire nôtre l’attitude de Paul. Au Thessaloniciens qui avaient commencé à l’imiter (cf Thess 1,6) il écrit « avec vous, nous avons été pleins de douceur comme une mère qui entoure de soins ses nourrissons » (I Thess 2,7)
Etre disciples, c’est avoir l’audace de suivre le Christ par toute notre vie. C’est un grand paradoxe de notre expérience de foi : plus on lui fait confiance et plus on devient soi-même, plus on lui est obéissant et plus on devient libre. Mais pas dans l’agitation ou dans la peur de ne pas y arriver. Pas non plus dans l’isolement. On a parfois l’impression que nos vies de chrétiens sentent plus la transpiration que la « bonne odeur du Christ » (cf II Cor 2, 15). C’est peut-être aussi ce que Jésus reproche aux scribes et des pharisiens. Ils veulent bien faire, mais faire d’eux-mêmes. Alors, ils finissent par se fatiguer. Tout en sauvant les apparences, ils en viennent –sans le vouloir- à troquer leurs efforts contre une hypocrisie dans laquelle ils disent mais ne font plus. Combien de frères et de sœurs se sont fatigués et ont fini par se dessécher ! Ils voulaient bien faire, mais seuls et par leurs propres forces.
Tout autre est le profil du disciples du Christ. Nous l’avons chanté avec le psaume: « Mon âme est en moi comme un petit enfant contre sa mère ». Cette attitude dit bien qui nous sommes avec le Seigneur et qui il est pour nous, elle dit aussi ce que nous avons à être les uns pour les autres.
Lectures bibliques : Malachie 1, 14 – 2, 2-10; 1 Thessaloniciens 2, 7-13; Matthieu 23, 1-12