Homélie du 23 janvier 2011

Prédicateur : Pasteur Philippe Genton et abbé Vincent Lafargue
Date : 23 janvier 2011
Lieu : Temple de Monthey
Type : radio

Dialogue entre le pasteur Philippe Genton et l’abbé Vincent Lafargue :

Philippe

Salut l’Abbé… Content de te voir… Ca tombe bien, je voulais te…

Vincent

Salut Pasteur, tu m’as l’air bien agité… Tu vas bien ? que puis-je pour toi ?

Philippe

Oui, je te remercie, je vais bien… mais c’est vrai, je… Merci, j’espère que tout va bien pour toi aussi… Je… je voulais te demander à toi le catholique… Tu as… enfin ton Église a une plus grande expérience que la mienne sur cette question. Heu… l’Asile… comment ton Église a-t-elle vécu l’asile ?

Vincent

Pourquoi, tu veux me demander l’asile ecclésiastique ?

Philippe

Rigole pas ! Je n’en suis pas là… quoique… certains jours…

Vincent

Moi aussi, je t’avoue que certains jours… j’irais bien frapper à la porte du Temple pour te demander asile…

…(rires)

Philippe

Non ! ma question est sérieuse, parle-moi du temps où les monastères, les cathédrales étaient des terres d’asile.

Vincent

Beau temps, Pasteur ! Jadis, c’est vrai, il suffisait de rentrer dans une cathédrale, dans un monastère, dans n’importe quelle église et de s’écrier « Asile », et l’on était protégé.

Philippe

Comment ça, protégé ?

Vincent

Protégé. C’était comme lorsque les enfants jouent au chat perché et disent « perché » ou « maison » ! Personne – pas même la police ou le juge d’instruction – ne pouvait venir déloger quelqu’un qui avait imploré « asile » dans une église.

Philippe

Jusqu’à ce qu’il sorte ?

Vincent

C’est cela. On voit cela avec Esmeralda dans « Notre Dame de Paris », notamment.

Philippe

Mais ça pouvait durer éternellement !

Vincent

Ce n’était jamais le cas. Ce temps d’asile donnait la possibilité au réfugié de faire connaître sa situation, par l’intermédiaire du prêtre. Les vrais réfugiés étaient insérés rapidement dans la ville, et on leur trouvait une situation.

Philippe

Et les tricheurs ?

Vincent

Ils étaient remis dehors. Mais ce n’est pas la police qui leur tombait dessus en premier. En général c’étaient les vrais réfugiés qui leur faisaient passer le goût de la tricherie.

Philippe

Ils avaient compris que les tricheurs prétéritent la situation de tous, y compris de ceux qui ont vraiment besoin d’aide.

Vincent

C’est cela. Mais l’important là-dedans, c’est vraiment ce temps d’asile qui permettait à chacun de connaître la situation du réfugié.

Philippe

Et sans doute à chacun de prendre conscience de sa propre situation. Oui… un asile qui ne voulait pas seulement « mettre à l’abri » mais également « mettre en retrait »… un moment privilégié pour un bilan de vie… du temps pour soi, pour reprendre élan…

Vincent

Oui, mais plus que cela… La plupart des romans ou des fresques historiques, ont tendance à montrer des personnes que l’asile soustrait à une justice injuste, à laquelle un prêtre ou un évêque s’oppose courageusement. L’asile, ou plutôt le droit d’asile est une protestation !

Philippe

Un catholique qui proteste !… ce n’est pas banal.

Vincent

L’Évangile est une protestation, ou tout au moins une force de protestation… ainsi les protestants n’ont pas de monopole en la matière

Philippe

Ne te fâche pas l’Abbé… Tu vois, le peu que tu m’en as dit de cet asile, me fait prendre conscience que loin d’être une seule situation de protection, il devait être une période de recadrage. Devant les autres… devant soi même… finalement devant Dieu !

Vincent

Attends… si je te suis bien, c’est en demandant asile à l’autre que l’on réussit ensuite à se demander asile à soi-même, puis à Dieu ?

Philippe

Exactement.

Vincent

Donc c’est en allant se réconcilier avec l’autre qu’on se réconcilie aussi avec soi-même, et donc avec Dieu ?

Philippe

Bien sûr. Tu ne peux pas être en paix avec toi-même si tu n’es pas en paix avec ton frère. A fortiori avec Dieu.

Vincent

Mais alors avec nos Eglises, c’est pareil ?

Philippe

Comment cela ?

Vincent

En cherchant à réconcilier les protestants avec les catholiques, c’est peut-être les protestants qui cherchent à se réconcilier entre eux, et les catholiques entre eux aussi. Et nous tous avec Dieu…

Philippe

Et ben voilà, tu as compris.

Vincent

C’est vrai que nous, catholiques, entre les Vieux-Catholiques, les Catholiques Orientaux, les Catholiques Romains, sans parler d’Ecône, on aurait de sacrées réconciliations à opérer contrairement à vous.

Philippe

Comment ça, « contrairement à vous » ? Tu crois que c’est tout rose chez nous ? J’aime mieux te dire qu’entre Pentecôtistes, Anabaptistes, Evangéliques, Luthériens, Calvinistes, y aurait aussi du boulot côté réconciliation. Faudrait déjà apprendre à se parler…

Vincent

Ouais… chez nous aussi…

Philippe

Apprendre à faire ce que l’on fait là, en somme.

Vincent

Exactement. Et dans ce sens, on devrait tous réapprendre à demander asile. Les uns chez les autres. Les protestants chez les catholiques et vice versa.

Philippe

Pour mieux s’offrir l’asile ensuite à l’intérieur de nos propres confessions, protestants avec protestants, catholiques avec catholiques.

Vincent

Et donc ensuite pour mieux demander asile tous ensemble chez Dieu.

Philippe

Le Royaume…

Vincent

Que dis-tu ? je n’ai pas bien entendu.

Philippe

Je disais : le Royaume…. Demander asile chez Dieu… mais c’est le Royaume !

Vincent

C’est pas un peu tôt ?

Philippe

Oui… tu as raison. Quoique cela dépend de la conception du Royaume. Beaucoup le voient ici et maintenant… Mais revenons à notre asile… je crois que si nous avions parfois le courage de nous demander asile mutuellement pour un temps de…

Vincent

Un temps de retrait ? J’aime mieux cette idée de retrait, plutôt que de parler de retraite. La retraite ça fait fin de carrière, alors que retrait, donne davantage l’idée d’un temps de respiration… un temps pour prendre son élan.

Philippe

Oui, c’est ça ! Un temps de retrait. Un asile pour prendre son élan… Tu ne crois pas l’Abbé, que c’est un beau chemin de communion. Se ressourcer chez l’autre afin de mieux se recentrer… j’ai toujours été frappé quand Jésus allait se ressourcer en terre païenne, chez les autres…

Vincent

Jésus, en cela, ne faisait rien d’autre que d’aller se retrouver auprès de son Père, et de l’Esprit Saint, souffle d’amour entre eux.

Philippe

Tu crois que nos Eglises sont comparables ?

Vincent

Je le pense sincèrement. Vous les Réformés, par votre amour de la Bible, vous êtes davantage le Père, le Dieu des deux testaments.

Philippe

Dans ce sens, vous les Catholiques, avec l’Eucharistie et sa présence réelle du Christ, vous êtes davantage l’Eglise du Fils.

Vincent

Et les Orthodoxes, avec leur magnifique liturgie pleine de symboles et de mystères m’ont toujours semblé être davantage l’Eglise de l’Esprit.

Philippe

C’est vrai… c’est un beau regard sur nos réalités… Or entre Père, Fils et Esprit il y a union, communion.

Vincent

Oui, mais jamais fusion. Chacun est en pleine communion avec l’autre tout en gardant son propre visage, sa propre personnalité.

Philippe

Alors… et si… Et si la Trinité était un exemple pour nos Eglises ?

Vincent

Je pense que c’est une voie que l’on ne creuse pas assez. On cherche la fusion totale alors que nous avons sous les yeux un modèle de Dieu de communion sans confusion.

Philippe

C’est vrai… Dieu est communion, sans confusion…

Et l’asile alors ?

Vincent

La Trinité nous en donne aussi le modèle : comme nous le disions, le Fils va se ressourcer auprès du Père, avec l’Esprit. Au fond tu as raison, peut-être que nous vivons déjà le Royaume sans le savoir.

Philippe

A cette célébration par exemple ?

Vincent

En t’accueillant, oui, comme dimanche prochain lorsque tu m’accueilleras.

OU

En m’accueillant, oui, comme dimanche dernier lorsque je t’ai accueilli.

Silence…

Philippe

Tout à l’heure, nous nous sommes souvenus de l’événement de Pentecôte, promis par Jésus. Désormais, le Saint Esprit nous accompagne… A ton avis, est-ce uniquement pour nous offrir asile mutuellement lorsque nous avons besoin de nous ressourcer et de nous recentrer, est-ce uniquement pour nous permettre de vivre notre communion sans confusion ? ne manque-t-il pas une dimension plus grande encore ?…

Vincent

En effet, j’en vois une plus grande encore. Celle de la prophétie.

Philippe

Quelle prophétie ? et qui en est le prophète ?

Vincent

Nous !

Philippe

Tu veux dire : toi et moi ?

Vincent

Non. Je veux dire : nous les chrétiens. L’ensemble de ceux qui confessent Jésus comme Seigneur et Sauveur.

Philippe

Bon ! voilà pour les prophètes. Et la prophétie ?

Vincent

Nous sommes prophétiques quand, Églises différentes, défendant des valeurs différentes, des visions différentes, des manières de croire et de vivre notre foi différentes, nous affirmons et vivons paradoxalement une communion d’amour réel.

Philippe

Mais… pour qu’une prophétie soit compréhensible, il faut au moins un signe. Notre communion n’est guère visible… nos réconciliations ne sont guère spectaculaires… J’en reviens à ma question initiale : comment faire de cet asile que nous pourrions nous offrir, une vraie prophétie ?

Vincent

Un signe pour ce dimanche, ce sera le Credo que nous proclamerons dans un instant, tu verras. Et un signe pour les temps à venir, c’est peut-être justement d’accepter que le Royaume se trouve dans du non-spectaculaire.

Philippe

Nous vivons dans un monde où les médias, la télé font du spectaculaire ! Les gens en ont besoin.

Vincent

Jésus, me semble-t-il, n’a jamais vraiment suivi ce que le monde de son époque, les médias de son époque, les gens de son époque semblaient réclamer. Il était souvent un contre-signe.

Philippe

C’est vrai… Cela me fait penser à cet homme qui se jette aux pieds de Jésus pour lui demander : Que faut-il que je fasse pour recevoir la vie en partage ?… Une vraie demande d’asile…

Vincent

Que Jésus va recadrer et porter encore plus loin. Alors que cet homme attend une réponse, Jésus reste muet. Souviens-toi comment Marc l’Évangéliste nous raconte la scène… Il nous dit : Jésus le regarda et l’aima.

Philippe

Cet homme demandait asile dans le Royaume du Père, Jésus le lui offre dans la profondeur de son amour.

Vincent

Voilà notre signe. Le signe de l’Église, au moment où le monde supprime les frontières politiques et commerciales, et les renforce entre les hommes. N’est-ce pas Tertullien qui disait devant la liberté des chrétiens à s’aimer les uns les autres : « voyez comme ils s’aiment » ?

Philippe

En effet.

Vincent

L’amour qui nait d’un regard, l’asile qui se fonde sur l’amour, ce n’est pas spectaculaire. Et pourtant ! Quel signe !

Philippe

En effet…. MERCI pour ce partage, cher Abbé.

Vincent

MERCI pour cette communion, cher Pasteur.»

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