Jacques Berset, Agence APIC
Chine: « L’Eglise a changé de visage, pas de coeur » (181191)
Tianjin, 18novembre(APIC) « Notre Eglise de Chine a changé de visage, pas
de coeur, la foi est restée la même, nous prions pour le pape, priez aussi
pour nous! » Le Père Luo Luyi, curé de la cathédrale de Tianjin, l’ancienne
Tientsin, prend la main du journaliste et l’invite à s’asseoir, tout content qu’un étranger de passage dans cette cité industrielle de quelque cinq
millions et demi d’habitants s’inquiète du sort de la petite minorité catholique restée fidèle à sa foi malgré les vicissitudes de l’histoire.
La majestueuse église de St-Vincent, aussi appelée Laoxikai ou encore
église catholique française, au numéro 11 de la rue Hepingqu Xining, ne
manque pas d’allure. De style néo-roman, avec ses coupoles surmontées d’une
croix et ses tuiles rouges, jaunes et vertes, St-Vincent est la plus grande
église de Tianjin – une des trois municipalités, avec Pékin et Shanghai,
placées directement sous le contrôle du gouvernement central – et peut contenir 2’000 fidèles. La municipalité de Tianjin, qui compte plus de 8 millions d’habitants avec les banlieues et les districts ruraux qui lui sont
rattachés, a deux églises ouvertes en ville – Laoxikai et Wanghailou ou
Notre-Dame de la victoire – et plusieurs autres à la campagne pour une population catholique de quelque 70’000 habitants.
Construite en 1914 par les missionnaires lazaristes français pour les
besoins de la concession française, l’église est en mains chinoises depuis
l’expulsion des missionnaires en 1950, précise le curé de la cathédrale.
Lui-même, à l’instar de nombreux autres prêtres, a passé plusieurs années
en prison et connu le travail forcé comme ouvrier de fabrique, notamment
dans une usine de plastique, 22 ans durant. Durant la Révolution Culturelle
(1966/1976), l’église St-Vincent a été envahie par les Gardes rouges, qui
l’ont transformée en dépôt après avoir détruit les croix et l’autel et les
bâtiments annexes occupés par des services publics. L’église a été restituée et rouverte au culte en 1980, le jour de la fête de l’Assomption.
Evêques « officiels » et évêques « clandestins »
Tianjin est actuellement sans évêque officiel, Mgr Li Depei, l’évêque
« patriotique », élu par les prêtres du diocèse et consacré sans l’accord du
Vatican (puisque Pékin refuse tout lien avec le Saint-Siège tant que le Vatican entretient des relations diplomatiques avec Taïwan) étant décédé cet
été à Pékin, où il résidait. Il y a cependant plusieurs évêques catholiques
« clandestins » dans la ville, et ils viennent aussi dire la messe à la cathédrale, en douce, accompagnés de leurs fidèles. « Ces mêmes fidèles qui
sortent de l’église quand c’est moi qui dis la messe », lance, sans amertume, le Père Luo Luyi, dans un français appris au grand séminaire et qu’il
regrette de ne pas pouvoir pratiquer, faute de contacts. Quand les mots lui
manquent, il continue la conversation en anglais, une langue qu’il utilisait comme étudiant à l’Université catholique de Fu Ren à Pékin, une institution d’enseignement supérieure nationalisée dans les années cinquante.
Ordonné prêtre à Tientsin en 1944, retraité d’usine en 1980, le Père Luo
Luyi est âgé aujourd’hui de 73 ans. Bien que prêtre « officiel », il n’appartient pas à l’Association patriotique des catholiques de Chine (APCC),
une organisation contrôlée par le gouvernement. « Les gens de l’Association
patriotique sont peu nombreux », lance-t-il, mais certains fidèles nous boycottent, considérant que l’Eglise « officielle », c’est-à-dire reconnue du
point de vue légal par le gouvernement, est « hérétique », c’est pourquoi la
réconciliation tant espérée entre « officiels » et « clandestins » sera longue
à réaliser.
« Le pape est le chef de l’Eglise »
« Et pourtant, souligne-t-il avec force, nous reconnaissons le pape comme
chef de l’Eglise, nous prions pour le pape Jean Paul II, c’est le gouvernement qui ne le veut pas, pour des raisons politiques, pas religieuses. Mais
la foi reste comme autrefois, la foi ne change pas! ». Et de montrer la statue de saint Pierre dans le fond de l’église, « c’est le premier pape et
l’actuel est son successeur ». Et si soumission au pouvoir politique il semble y avoir, c’est pour pouvoir continuer d’évangéliser, « mais dans les
coeurs, c’est autre chose… » Il n’en dira pas plus.
C’est que malgré les contraintes, le travail pastoral continue à Tianjin. La paroisse du Père Luo Luyi compte quelque 10’000 fidèles et plus de
5’000 personnes assistent aux quatre messes du dimanche, sans compter ceux
qui viennent en semaine aux deux messes de 5h30 et 6h30. Il y a des baptêmes chaque dimanche après-midi, et pas seulement d’adultes de plus de 18
ans, comme le demandent les réglementations religieuses étatiques, mais des
enfants aussi sont baptisés. Sans compter les centaines de catéchumènes qui
se sont fait baptiser ces dernières années après avoir suivi des cours de
catéchèse, et provenant souvent des milieux de l’enseignement technique.
« Maintenant, il y a plus de liberté pour la vie religieuse, affirme-til, les règles ne sont plus aussi strictes, c’est plus facile d’être chrétien ». Quant aux réformes liturgiques – on célèbre toujours la messe de StPie V en latin, le prêtre tournant le dos au peuple – « nous allons bientôt
changer, et nous disons déjà quelquefois la messe en chinois à la campagne ». Mais les fidèles, qui ont tant souffert pour garder la foi, ne sont
cependant pas très chauds à l’idée d’entendre la messe en chinois. (apicbe)
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