Quitter les ordres pour être au côté des plus pauvres

Belo Horizonte, 30 octobre 2015 (Cath .ch-Apic), Andréa De Lourdes Castillo Munoz est une des participantes au 2e Congrès continental de théologie, à Belo Horizonte au Brésil. Comme les centaines de personnes, venues de toute l’Amérique latine, elle partage la conviction que l’Église doit, plus que jamais, se tenir au côté des plus pauvres. Elle qui a quitté les ordres… pour mieux se consacrer aux citoyens les plus pauvres du Chili: les Indiens Mapuches.

Andréa De Lourdes Castillo Munoz était déjà présente en octobre 2012, lors du 1er Congrès continental de théologie, tenu à Sao Leopoldo, près de Porto Alegre, dans le sud du Brésil. «Mais à l’époque, j’étais vêtue de l’habit blanc, gris et noir de religieuse», explique cette Chilienne de Tucuma, à 600 km de Santiago du Chili. Un uniforme que cette femme de 38 ans au visage jovial et au regard rieur a abandonné l’an dernier, mettant fin à 14 ans d’engagement au sein de la Congrégation missionnaire catéchiste de Boroa de Santiago de Chili. Sans pour autant renier les deux choses les plus importantes dans sa vie: «Mon amour pour Jésus de Nazareth et pour le peuple des indiens Mapuche».

Andrea est une fille de la campagne. Aînée de trois enfants, elle apprend donc très vite ce qu’est la vie rurale modeste et l’importance de la terre. La politique n’est pas vraiment au centre des conversations chez les Munoz. Et c’est à travers ses livres d’histoire qu’Andréa découvre l’existence du peuple Mapuche. «J’ai appris l’existence des indiens Mapuche à 10 ans, explique-t-elle. Et j’ai cru que ce peuple avait disparu.» Le doute va demeurer jusqu’à l’Université, où elle étudie la pédagogie et la communication. «A ce moment-là, j’ai rencontré Viviane, une indienne Mapuche, qui est devenue depuis ma meilleure amie. Elle m’a ouvert la porte sur son peuple.»

«Mapudungün», la langue Mapuche

Parallèlement, Andréa sent naître en elle une vocation religieuse, tardive, mais intense. «J’ai découvert Jésus à 21 ans, admet-elle. J’ai senti que je pouvais me réaliser en servant le Seigneur. Face à son choix, sa mère marque le coup. «Elle a d’abord pleuré, en me disant que je sortais de la vie. Puis elle m’a appuyée. Quant à mon père, il est resté silencieux quelques temps. Il m’a expliqué plus tard qu’il a cru que je me trompais et que tôt ou tard je changerais d’avis». Il avait raison. Sans se douter cependant que la sortie interviendrait 14 ans plus tard.

Andréa devient religieuse et part au sud du Chili pour vivre dans une communauté Mapuche, où se trouvaient déjà deux soeurs de sa congrégation. Marquée par la pauvreté de ces ‘sous-citoyens’, la jeune sœur s’éprend de ce peuple. «J’ai tout de suite aimé leur relation avec la terre et l’intensité de leur vie spirituelle». Du coup, la professeure d’espagnol apprend avec jubilation le «Mapudungün», la langue Mapuche. «Le simple mot ‘Mapudungün’ me remplit d’une énergie incroyable, sourit elle. Les deux premières syllabes ‘Mapu’ me font penser à un coeur qui bat. Les deux dernières, ‘dungün’, à un fleuve qui coule». L’énergie et la fluidité.

Manifester je jour d’une fête catholique

De l’énergie, Andréa en a à revendre. D’abord pour dire avec franchise à ses supérieures combien elle souffre parfois de se sentir isolée du monde réel en étant religieuse. Mais son énergie, elle la consacre plus que jamais aux indiens Mapuche, de plus en plus harcelés par les grandes entreprises et par le gouvernement pour leurs terres riches en ressources naturelles. Projets de complexes hydroélectriques, convoitise de la part d’entreprises forestières ou de pisciculture… Les luttes sont nombreuses et les conflits de plus en plus fréquents marquent la religieuse. Jusqu’à ce dernier dimanche de septembre 2010.

Déterminée à soutenir la cause Mapuche, Sœur Andréa décide alors, avec trois autres religieux de manifester à Santiago le jour du Pèlerinage de la Virgen del Carmen, la principale fête catholique du pays. Objectif? Dénoncer le sort réservé aux 14 indiens Mapuches, arrêtés, sur la base d’une loi anti-terroriste datant de Pinochet, parce qu’ils revendiquaient de droit de vivre sur leurs terres. Des Mapuches qui auront au total observé une grève de la faim de 83 jours.

Déception et éloignement de l’Église

«Toute manifestation ostentatoire de soutien aux Mapuches était interdite, se souvient Andréa, qui va quand même se placer en fin de cortège avec ses camarades. Nous avons été applaudis sur notre passage. Mais, alors que nous étions en train de replier notre banderole et que nous nous préparions à rentrer dans l’Église San Francisco de Almeida où allait être célébrée la messe en présence du président de l’époque Sebastian Pinera, deux policiers en civil nous ont demandé de les suivre».

La garde à vue durera sept heures. «Nous avons été bien traités», assure Andréa. Mais la blessure la plus profonde est venue de la mère supérieure de la Congrégation. «Elle m’a demandé de ne pas citer le nom de la Congrégation», déplore la jeune femme. «Cela m’a fait mal, car j’ai vécu ça, non pas comme une trahison à mon égard, mais à l’égard de l’Évangile de Jésus». Une «profonde déception» qui va accélérer son éloignement de l’institution. Un sentiment qui s’était déjà immiscé dans le cœur et l’esprit de la religieuse. En même temps qu’une «profonde envie de liberté».

«Il faut écouter les pauvres»

C’est donc aujourd’hui dans la peau d’une fonctionnaire de l’Université Catholique de Temuco, vêtue d’une simple tenue de coton blanc, qu’Andréa est venue participer à son 2e Congrès continental de théologie. «Je suis venue sentir où souffle l’Esprit Saint», explique celle qui se sent «Chilienne mais surtout latino américaine». Visiblement heureuse de discuter autour d’un café avec Leonardo Boff ou Pablo Richard, elle ne se sent pas pour autant inhibée par la présence de ces icônes de la théologie latino américaine.

«Je remercie tous ces théologiens pour l’énorme travail qu’ils ont accompli au cours de toutes ces années. Mais ce ne sont pas mes modèles, dit elle. Les miens sont Jésus de Nazareth et les pauvres». D’où son manque d’enthousiasme lorsqu’on lui demande si elle savoure d’entendre un pape prôner «une Église pauvre pour les pauvres» ou encore un Gustavo Gutiérrez rappeler que son souci, lorsqu’il a commencé à travailler sur la théologie de la libération, était «Comment dire aux pauvres que Dieu les aime». «Ces postulats me paraissent dépassés, souffle Andréa. Car les pauvres savent dire ce qu’ils ressentent. Il faut juste les écouter». En espagnol ou en Mapudungün. Habillée en religieuse, ou pas. (apic/jcg/mp)

Maurice Page

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