Bulle: La soirée «Vivre ensemble avec nos différences» attire la foule aux Halles

Bulle, 07.11.2015 (cath.ch-apic) A l’invitation du Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère, quelque 300 personnes, venues de tout le canton, mais aussi de plus loin, s’étaient donné rendez-vous vendredi soir 6 novembre aux Halles de Bulle pour échanger sur «le vivre ensemble avec nos différences».

Les orateurs invités, l’évêque diocésain Mgr Charles Morerod, et le musulman Hafid Ouardiri, directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance, à Genève, ont tous deux démontré que la peur de l’autre vient essentiellement de l’ignorance et du manque de connaissance mutuelle.

L’échange de haut vol, dirigé par Serge Gumy, rédacteur en chef du quotidien romand «La Liberté», entrecoupé de sourires et de plaisanteries, a passionné le public. Des autorités politiques fribourgeoises avaient fait le déplacement, notamment les conseillères d’Etat Marie Garnier et Anne-Claude Demierre. Cette dernière a confié à cath.ch en fin de soirée sa satisfaction concernant la tenue du débat, elle qui avait été violemment chahutée par quelques excités à propos du Centre fédéral pour requérants d’asile de la Gouglera, à Chevrilles, en Singine.

Echapper aux préjugés mutuels

Introduisant la soirée, dans une salle ornée de sentences humanistes – comme solidarité, paix, tolérance, ouverture, partage, complémentarité, humilité… -, Philippa de Quay a expliqué le sens de cette rencontre. Elle a rappelé que le Groupe interreligieux et interculturel de la Gruyère, rassemblant des musulmans et des chrétiens, est né de la volonté d’échapper aux préjugés mutuels, sources de malentendus entre les communautés. Estimant que les préjugés visant la communauté musulmane sont malsains, elle a souligné la nécessité de mieux se connaître, car la simple coexistence est insuffisante. Les musulmans sont, selon l’Office fédéral des statistiques, quelque 12’500 dans le canton de Fribourg et environ le 5% de la population vivant en Suisse.

Les événements mondiaux – notamment la tragédie syrienne et la vague de réfugiés qu’elle provoque –, a-t-elle insisté, «nous motivent davantage à poursuivre notre engagement, car dans un monde dominé par le flou et les clichés, la peur est légitime», avec le risque «de développer des attitudes déraisonnables qui menacent la cohésion sociale et la paix dans notre pays». Ce groupe, fondé en 2009 déjà, a permis aux croyants vivant en Gruyère de visiter leurs divers lieux de culte et de prier ensemble (Voir www.giig.ch). Face à la société multiculturelle qui se dessine, «nous avons le devoir de dialoguer, même si cela ne va pas toujours de soi!»

La liberté ne doit pas être utilisée pour devenir totalitaire

Interrogés par Serge Gumy sur l’attentat visant les caricaturistes de Charlie Hebdo en janvier dernier, les deux invités ont répondu tout en nuances. Pas question de se précipiter pour dire, dans l’émotion, simplement et sans réfléchir, «Je suis Charlie».

«La sensibilité a été très forte sur le moment, mais cette émotion a ensuite fait long feu», remarque Mgr Morerod, qui estime qu’il faut éviter le cercle vicieux de la violence. «Je suis Charlie en ce qui concerne la liberté d’expression, de croyance, mais cette liberté ne doit pas être utilisée pour devenir totalitaire… Ainsi, au moment où tout le monde manifestait, j’étais un peu perplexe».

Pour l’évêque, l’humour a été une arme politique assez forte au cours des siècles, mais il peut être moins drôle quand il est blessant. C’est donc un art délicat, qui exige que l’on agisse de façon responsable. «Nous avons, en Occident, l’habitude depuis Voltaire que l’on se moque de nous. D’une certaine manière, cela nous a fait du bien…»

 

Des raisons sociales à la racine de la violence de certains jeunes musulmans

Mais la violence qui s’exprime dans un milieu qui subit la marginalisation depuis des générations a aussi des raisons sociales et naît souvent du désespoir: «Ce n’est pas seulement en France que des musulmans ont de la difficulté à trouver du travail à cause du nom qu’ils portent. Des jeunes se sentent rejetés, car si leurs grands-parents et ensuite leurs parents ont cherché le dialogue, et que cela n’a pas marché, alors ils cherchent des solutions dans la violence… J’essaie de comprendre, pas de justifier!», lance l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg.

Et de relever ce que lui a confié un prêtre syrien récemment de passage à Fribourg: il est dangereux de se tenir entre soi, à l’écart des autres, en ignorant ce qu’ils pensent, sans échanger. «Après 1’300 ans de présence des musulmans en Syrie et en Irak, peut-être que nous, les chrétiens, sommes trop restés entre nous!»

Une grande méconnaissance de l’islam

Pour Hafid Ouardiri, ceux qui ont prétendu, en attaquant Charlie Hebdo, vouloir ainsi venger le prophète de l’islam, sont des ignorants. Car quand le prophète Mohammed était moqué, affirme l’ancien porte-parole de la Mosquée de Genève, il dissuadait ceux qui voulaient le venger, leur disant d’ignorer ceux qui le dénigraient. «Il y a une grande méconnaissance de l’islam à l’extérieur, mais plus encore au sein de la société musulmane elle-même», souligne-t-il. «Face aux caricatures de Mohammed, moi, comme musulman, je ne tombe pas dans le piège, car il ne s’agit pas de mon prophète», esquive-t-il.

Le directeur de la Fondation de l’Entre-Connaissance affirme que la liberté d’expression est innée pour l’homme, et que la liberté de conscience est vitale pour l’être humain, «même s’il peut y avoir des dérapages». Il se dit persuadé que l’on doit avoir aussi le droit de ne pas croire, «car la croyance ne s’impose pas, elle se pense et se choisit». Hafid Ouardiri n’hésite pas à dire que ceux qui enseignent l’islam sont souvent au service d’un système, sans préciser le nom des pays visés. Mais en relevant qu’il y a dans le monde musulman «des carences énormes», notamment en matière de libertés.

Les musulmans doivent être loyaux envers le pays qui les accueille

Il estime que les musulmans qui vivent en Suisse doivent connaître l’histoire du pays qui les accueille, et apprendre à vivre en conformité avec les libertés ancrées dans la Constitution, «même s’ils ne les approuvent pas nécessairement toutes». «Ils doivent montrer leur loyauté à l’égard de ceux qui leur font une place, respecter l’ordre et la loi suisses! Pas question d’avoir des lois spéciales pour les musulmans. Pas plus de droits, mais les mêmes droits!»

Interpellé par un participant sur la crainte d’une «invasion musulmane» de l’Europe, alors que Mouammar Kadhafi affirmait qu’il allait conquérir ce continent non pas avec des armes, «mais avec le ventre de nos femmes», Hafid Ouardiri estime, en tant que musulman, être tout aussi menacé par ces extrémistes. «Daech, le Front al-Nosra, ce sont des fanatiques qui menacent toute l’humanité!»

Pour un islam en phase avec la société démocratique

Citoyen suisse d’origine marocaine et algérienne, Hafid Ouardiri affirme ne pas pouvoir mieux vivre son islam qu’en Suisse, mieux même que dans un pays musulman! Il souligne qu’il prône ›l’ijtihâd’ (l’effort d’interprétation) des textes sacrés musulmans, déplorant que l’on ait trop souvent des prédicateurs qui sont dans la répétition permanente plutôt que dans l’interprétation permanente. «Ceux qui enseignent l’islam en Suisse doivent avoir une lecture de ces textes qui développe la jurisprudence du réel et des priorités». (apic/be)

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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