L'alliance COMUNDO en crise: BMI rompt le contrat qui la lie à E-Changer à Fribourg

Fribourg, 20.11.2015 (cath.ch-apic) L’alliance COMUNDO, la plus grande organisation suisse de coopération au développement par l’échange de personnes, est en crise: à la majorité, son comité a décidé de proposer à son assemblée générale de rompre le contrat qui la lie à l’ONG E-Changer, basée à Fribourg.

Cette dernière, qui voit son personnel s’en aller (*), discutera de son futur lors de son assemblée du 4 décembre prochain. Elle statuera en juin 2016 sur sa future orientation.

COMUNDO est le fruit d’une alliance conclue en 2013 entre Bethlehem Mission Immensee (BMI) à Lucerne, E-CHANGER, à Fribourg, et Inter-Agire, à Bellinzone. Elle dispose également d’une antenne à Rottweil, en Allemagne. En ce moment, COMUNDO compte plus de 100 coopér-acteurs/trices en insertion dans 11 pays. Au sein du comité de l’alliance, BMI dispose d’une majorité automatique de cinq voix contre une pour E-Changer et une autre pour l’organisation tessinoise.

C’est BMI à Lucerne qui a décidé de proposer de rompre le contrat avec l’ONG E-Changer pour la fin 2016. Cette dernière avait demandé, dans le contre-projet des statuts de l’alliance, de garantir aux associations membres une vie associative propre ainsi qu’une représentation plus équilibrée de ces associations dans les organes décisionnels de COMUNDO. La majorité du comité l’a refusé.

Pas de ‘Röstigraben’

«La rupture n’est pas due à un ‘Röstigraben’ entre Romands et Alémaniques, car il y a aussi des Alémaniques qui travaillent au sein d’E-Changer et en partagent son orientation. C’est plutôt la conséquence d’une différence de culture institutionnelle, de valeurs, de vision socio-politique. E-Changer a une vision plutôt laïque, un fonctionnement associatif, horizontal, tandis que BMI a une vision plus verticale, hiérarchique…», constate Martin Schreiber, responsable de la communication et des relations publiques d’Unité.

Cette association suisse basée à Berne, fondée en 1964, regroupe une vingtaine d’organisations suisses – dont E-Changer – qui ont pour principal objectif d’établir des liens de solidarité avec les populations défavorisées des pays du Sud. En partenariat avec la Direction du Développement et de la Coopération de la Confédération (DDC), Unité s’engage en faveur d’une coopération efficace, durable et équitable avec les partenaires du Sud.

Martin Schreiber rappelle qu’E-Changer reste membre d’Unité, et pourrait reprendre, sa liberté retrouvée, ses activités «à petit feu» dans le cadre d’Unité. «Les options restent ouvertes, et des décisions seront prise le 4 décembre».

«L’alliance nous semblait une opération ‘gagnant-gagnant'»

Cette alliance des trois ONG de coopération au développement, mise en place en 2013, résultait, pour E-Changer, d’une nécessité. «E-Changer était forcé de trouver un partenaire, car la DDC avait décidé, il y a plusieurs années déjà, que ses subventions ne devaient pas dépasser le 50% du budget des ONG. Pour un budget de quelque 2,4 millions de francs, E-Changer dépendait à plus de 70% des subventions de la DDC.

«Pour des raisons politiques, cette agence de la Confédération ne voulait plus financer des ONG par le biais de subventions dépassant la moitié de leur budget. Il fallait trouver d’autres solutions», note le syndicaliste fribourgeois Bernard Fragnière, président d’E-Changer et membre du comité de COMUNDO.

«L’alliance avec BMI nous intéressait, parce que cette association avait davantage de fonds propres que nous et la subvention reçue de la DDC était inférieure à la moitié de son budget. C’était pour nous un bon partenaire, et on se sentait assez sur la même ligne ‘idéologique’. D’autant plus qu’Inter-Agire nous disait avoir fait de bonnes expériences avec BMI. De plus, cela nous permettait de renforcer l’échange de personnes, d’avoir une organisation structurée au niveau suisse, avec davantage de potentiel politique et économique. Cela devait être pour nous ‘gagnant-gagnant’. D’autant plus que nous pouvions apporter dans le panier de la mariée notre expertise du développement, car E-Changer avait dans ce domaine des compétences reconnues…»

BMI avait une majorité automatique

Mais E-Changer a dû vite déchanter: «La directrice de COMUNDO à Lucerne, qui porte le titre de ‘CEO’, ne vient pas du domaine de la coopération au développement. Nous nous sommes assez rapidement rendu compte que l’on se heurtait à une grande rigidité, à un système vertical… La Suisse romande s’est vite sentie mise sous tutelle. Les directives venaient de Lucerne, qu’il fallait simplement appliquer. De plus, au sein du comité, nous étions automatiquement mis en minorité. Toutes les décisions importantes nous étaient imposées, et de plus, on nous accusait d’être responsables du déficit de l’organisation!»

Bernard Fragnière relève également que l’ONG romande a une autre manière de travailler, de façon horizontale: «Pour nous, le réseautage est important, nous avons une base sociale non négligeable d’un demi-millier de membres au sein de la société civile, avec une bonne participation dans nos actions». Malgré l’intervention d’un coach pour tenter de résoudre la crise – un consultant de l’ancien Institut universitaire d’études du développement (IUED) – «on n’a rien pu faire, on s’est heurté à une sorte de mur… Alors les gens ont commencé à démissionner». Bruno Clément, responsable des programmes Brésil-Bolivie et Nicaragua pour E-Changer, a démissionné il y a un an déjà.

«Notre ADN militant disparaît»

«C’était un expert en développement, un spécialiste du terrain. Il en a eu marre! Le programme du Brésil coûtait trop cher pour Lucerne, on a accepté d’y mettre un terme en 2018, et on nous annonce abruptement que ce sera pour la fin 2016… Sergio Ferrari, notre chargé de communication et d’information, a désormais quitté, tout comme Josée Martin, la secrétaire générale. Sur les 7,2 EPT, il reste à Fribourg 3 EPT et un stagiaire. La direction de COMUNDO a nommé à Fribourg un nouveau directeur régional en la personne de Raphael Maiga, un ancien banquier… Notre concept de développement tombe à l’eau, notre ADN militant disparaît…» (apic/be)

 

(*) Le personnel de l’antenne de Fribourg, qui avait des contrats avec BMI depuis deux ans, se trouvait pris dans un conflit de loyauté entre le comité d’E-Changer et la direction générale à Lucerne, précise Bernard Fragnière.

Jacques Berset

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/136448/