Marie-Armelle Beaulieu: «A l'aune du conflit israélo-palestinien, il n'y a actuellement pas d'espoir»

«A l’aune du conflit israélo-palestinien, il n’y a actuellement pas d’espoir, on n’a pas encore touché le fond. Quand on y sera, il faudra alors rebondir, il n’y aura plus d’autre choix! Des concessions, il faudra en faire, tant du côté israélien que du côté palestinien…» Avec lucidité, Marie-Armelle Beaulieu, rédactrice en chef de «Terre Sainte Magazine», la revue éditée par la Custodie franciscaine de Terre Sainte, décrit pour cath.ch la situation de la petite minorité chrétienne en Israël, à Jérusalem et en Palestine.

Marie-Armelle Beaulieu, une Bretonne au caractère bien trempé, sait de quoi elle parle. Venue pour la première fois en pèlerinage en Terre Sainte à l’âge de 21 ans, elle est y restée «scotchée». Vivant depuis près de trois décennies sur la terre qui a vu la mort et la résurrection du Christ, elle partage volontiers ses profondes connaissances des communautés chrétiennes qui y vivent. Ces petites communautés n’échappent pas au sort souvent peu enviable du reste de la population palestinienne, qu’elle vive en Israël, à Jérusalem ou dans les territoires occupés.

«Regressus de paix»

«Cela fait bien cinq ans que l’on assiste à l’affirmation qu’Israël est un Etat juif pour les juifs, où les autres citoyens – et il s’agit tout de même de 21% de musulmans et de 4% ‘d’autres’, dont 140’000 chrétiens – se sentent de moins en moins acceptés», lâche la journaliste française. Elle était de passage le week-end des 28 et 29 novembre à Bulle pour le 10e anniversaire de l’association suisse «Les Amis de la Crèche de Bethléem» (*).

Pour qualifier la situation actuelle, elle n’hésite pas à parler, non pas de «processus de paix», mais de «regressus de paix», une expression empruntée au journaliste français Benjamin Barthe, correspondant du Monde dans les territoires palestiniens de 2002 à 2011.

Une double radicalisation

On assiste depuis quelques années en Israël à une double radicalisation: d’un côté la montée du nationalisme juif et de l’autre du radicalisme islamique. «Il y a en Israël, dans le milieu politique, un groupe de plus en plus important et influent de juifs nationalistes qui s’intéressent aux chrétiens… avec l’envie de les faire disparaître tous, car ils sont à leurs yeux un obstacle à la venue du Messie. Ils disent: ‘Ils n’ont qu’à partir, pour nous laisser sur la terre que Dieu nous a donnée. Leur pouvoir s’accroît et ils ont déjà des représentants dans le gouvernement de Benjamin Netanyahu».

Les slogans ‘mort aux chrétiens’ peints par les extrémistes juifs sur les murs des institutions chrétiennes sont désormais monnaie courante. «C’est devenu un sport national pour ces extrémistes de cracher par terre quand ils croisent des chrétiens, surtout des religieux, quelle que soit leur nationalité. Ils considèrent qu’ils souillent le sol juif et que leur présence le rend impur… «

«Des chrétiens, ils ne connaissent que les croisades…»

Marie-Armelle Beaulieu déplore l’éducation que reçoivent les enfants dans les écoles israéliennes quand il s’agit des chrétiens: «Des chrétiens, ils ne connaissent que les croisades, ils entendent dire que les chrétiens sont les auteurs de l’Inquisition, des pogroms en Europe contre les juifs, de la shoah, l’extermination par les nazis des juifs d’Europe… C’est tout ce qu’un jeune Israélien peut entendre des chrétiens à l’école. De plus, les chrétiens sont si peu nombreux, 1,5% de la population israélienne, qu’aujourd’hui nombre d’Israéliens ne vont jamais de leur vie rencontrer un chrétien né sur cette terre».

La conséquence de cette ignorance est que les chrétiens palestiniens sont, tout comme les musulmans, toujours davantage considérés comme des intrus sur la terre d’Israël, voire des «traîtres en puissance». L’Etat d’Israël ne permet pas à des ressortissants arabes de venir s’installer en Israël, pour en préserver le caractère juif. Des communautés chrétiennes comme les syriaques, par exemple, manquent de prêtres. «Il y a un problème de relève: les prêtres syriaques ne peuvent pas obtenir de visas, car ils sont des ressortissants d’un ‘pays ennemi’. C’est un très grand handicap pour les Eglises de Terre Sainte».

Montée du radicalisme islamique en Israël

Une autre source d’inquiétude: la montée du radicalisme islamique en Israël. «La conversion au radicalisme, pour des raisons religieuses ou politique, se fait par le biais d’internet. Il n’y a plus de frontières pour les ordinateurs. Il y a un an, on a trouvé à Nazareth une quarantaine de drapeaux de Daech, le soi-disant ‘Etat islamique'».

Mais, à l’adresse des pèlerins qui hésiteraient à se rendre en visite sur les lieux saints, la rédactrice en chef de «Terre Sainte Magazine», relève que ces temps-ci, «c’est certainement plus dangereux de visiter Paris ou Bruxelles que Jérusalem».

Un signe très positif pour la présence chrétienne en Terre Sainte, note Marie-Armelle Beaulieu, est la signature par l’Etat palestinien d’un accord «révolutionnaire dans le monde arabe» en matière de liberté religieuse.

«Donner une place aux chrétiens, c’était la volonté du leader palestinien Yasser Arafat: ils sont surreprésentés dans les instances politiques palestiniennes. Il y a des villes et des villages, dont la population est majoritairement musulmane, où le maire doit être chrétien, comme à Bethléem, où la chrétienne Vera Baboun a été élue en 2012 à la tête de la mairie».

Pas de persécution religieuse en Israël et dans l’Etat palestinien

Le fait que les musulmans soient accueillis dans les institutions chrétiennes (dispensaires, hôpitaux, écoles, centres sociaux, etc.) est également très important pour le «vivre ensemble». «Si un musulman a fréquenté une école chrétienne et a vécu avec des chrétiens, il continuera plus tard à avoir des relations avec eux. Il aura une idée très positive du christianisme. C’est important, alors qu’on assiste à une islamisation progressive d’une partie de la société palestinienne. Mais 100% des chrétiens palestiniens disent ne pas en avoir peur, car la société musulmane palestinienne n’est pas par nature extrémiste! De plus, il faut souligner qu’il n’y a pas de persécution des chrétiens, ni en Israël, ni dans l’Etat palestinien. On ne s’y fait pas égorger parce qu’on est chrétien!».

Interrogée sur la volonté d’une petite minorité de chrétiens arabes de se distinguer de leurs coreligionnaires en se définissant comme appartenant à la nationalité «araméenne» – une «nationalité» reconnue en septembre 2014 par le ministère israélien de l’Intérieur -, la journaliste relève que l’Etat d’Israël a investi de grands moyens financiers et de communication pour faire de ces «chrétiens araméens» (et non plus arabes) des agents de «l’israélisation» de la société chrétienne. Le but est notamment d’en faire des prosélytes de l’oubli de la «nakba», la catastrophe qu’a été pour eux leur éviction lors de la fondation de l’Etat d’Israël en Palestine.

Des chrétiens arabes se font enregistrer comme «araméens»

«Ce sont peut-être 1’500 chrétiens israéliens sur 140’000 qui suivent le point de vue du Père Gabriel Nadaf sur le bien-fondé de servir dans l’armée israélienne, mais on ne sait pas en revanche combien se seraient fait enregistrer comme ‘araméens’. Ce prêtre grec-orthodoxe de Nazareth prône une meilleure intégration des chrétiens palestiniens citoyens de l’Etat d’Israël et milite à la tête du Forum pour le recrutement des chrétiens (ICRF) au sein de l’armée israélienne. Il y a un grand débat chez les Palestiniens citoyens israéliens pour savoir s’ils veulent troquer le souvenir de leurs racines contre davantage de confort. Malgré l’argent et les efforts investis par le gouvernement Netanyahou, il ne semble pas pour le moment que ce soit une grande réussite».   JB


(*) Marie-Armelle Beaulieu était l’invitée des «Amis de la Crèche de Bethléem» (www.creche-bethleem.ch) qui ont fêté les 28 et 29 novembre 2015 le 10e anniversaire de l’association. Ce sont les Filles de la Charité de Saint-Vincent de Paul, répondant en 1884 à l’appel de l’évêque de Bethléem et du Consulat de France pour soigner les pauvres, qui ont fondé des dispensaires puis, en 1895, l’Hôpital de la Sainte-Famille. L’ouverture de la Crèche remonte à la même époque. C’est le seul orphelinat reconnu dans les territoires palestiniens. Il accueille des enfants musulmans abandonnés. La Crèche héberge et éduque une quarantaine d’enfants, âgés de 0 à 6 ans, dont les 2/3 lui sont adressés par les services sociaux palestiniens, les autres étant des enfants abandonnés, «déposés devant la porte ou trouvés dans les champs par la police». Avec les externes, ce ne sont pas moins d’une centaines d’enfants, «la plupart en détresse, sous-alimentés, parfois battus, violés ou jetés dehors, voire témoins de la mort tragique de leurs parents», qui sont pris en charge par la Crèche de Bethléem.

La fête à Bulle, qui a attiré en deux jours plus de 450 personnes, a suscité l’enthousiasme du public, notamment lors du Spectacle Tamara «20 chansons pour l’Enfance», créé spécialement pour l’occasion, avec les chanteurs Michel Bühler, Jyaleen, Sylvie Bourban et Yannick Cochand. «La chanson du Pays de Gruyère» et le Chœur d’enfants «La Maîtrise de Saint-Pierre-aux-Liens» ont également animé la manifestation.


(**) En plus de sa citoyenneté israélienne, chaque Israélien a la possibilité de faire inscrire dans son état civil sa «nationalité» (juif, arabe, druze, circassien, bédouin et désormais araméen) (cath.ch-apic/be)

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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