Femmes musulmanes: au-delà des clichés

A Genève, des femmes musulmanes suisses se voient refuser un emploi parce qu’elles portent le voile. Un problème que le Service égalité de l’Université de Genève a voulu discuter en organisant une conférence, le 3 décembre 2015, dans le cadre de l’événement «Face à elle». Quatre intervenants ont mis en évidence peurs et préjugés et proposé des pistes de réflexion.

L’auditoire est plongé dans le silence et la pénombre. Des visages de femmes se succèdent, accompagnés de phrases. «Je suis conseillère municipale à Meyrin» nous dit une femme d’une cinquantaine d’année, de peau blanche, portant un tissu sur la tête. A sa suite, une jeune femme métis, cheveux longs, détachés : «Je pratique plusieurs arts martiaux». Ce qui relie de manière invisible les femmes photographiées par Denis Ponté, c’est leur nationalité suisse et leur confession musulmane. Le choix d’un face à face silencieux, peut-être pour mieux confronter le public avec ses préjugés.

Le voile comme frein à l’emploi

«Je ne voulais pas entrer dans une polémique, mais faire un travail artistique qui soit un prétexte à la réflexion» a expliqué le photographe en introduction de la conférence. Silvia Naef, professeure ordinaire de l’unité d’arabe à l’UNIGE, a ensuite rappelé que «le port du voile n’est pas le propre de l’Islam exclusivement». Une pratique très à la mode dans l’antiquité latine, et que l’on pouvait voir encore en Europe il y a quelques décennies chez les femmes allant à l’église; aujourd’hui elle survit dans la plupart des congrégations religieuses chrétiennes féminines.

Autre image répandue que l’universitaire est venue bousculer: celle de femmes musulmanes soumises à leur père, frère ou mari, sans grandes capacités ni esprit d’initiative. Un cliché qui contraste avec la réalité actuelle de femmes qui choisissent librement de porter le voile, et qui sont de plus en plus nombreuses à étudier et travailler.

«Depuis 2012 je rencontre de plus en plus de femmes voilées diplômées qui peinent à trouver un emploi» a témoigné Badia El Koutit, représentante de l’Association pour la promotion des droits humains (APDH). Deux options s’offrent à elles: enlever ce signe de leur pratique religieuse ou accepter un travail en-dessous de leurs qualifications. Depuis 2008 l’APDH multiplie les tables rondes et les interpellations aux autorités, sans trouver de solutions satisfaisantes.

Du côté des institutions, Nicolas Roguet a énoncé les limites de l’action de l’Etat auprès des entreprises privées. Le délégué du Bureau de l’intégration à Genève (BIE) a rapporté le cas d’étudiantes en Sciences pharmaceutiques ne trouvant pas de place de stage, condition nécessaire pour finaliser leur cursus universitaire. Les discussions entreprises par le BIE ont révélé une «peur des patrons de voir diminuer leur clientèle en engageant des femmes voilées» a-t-il expliqué.

Des pistes pour lutter contre les discriminations

Si le BIE n’a pas les moyens de faire pression sur le secteur privé, l’institution peut proposer des études afin de justifier ou faire tomber les peurs. «Les discriminations dans l’employabilité ne se limitent pas aux femmes portant le voile» a souligné Brigitte Mantilleri, directrice du Service égalité UNIGE, dont une des actions est le soutient des jeunes femmes dans leurs études.

Le BIE vise lui aussi une action élargie : «Nous constatons que la semaine contre le racisme, qui existe depuis 7 ans, atteint ses limites. Notre stratégie est de proposer une politique publique de lutte contre les discriminations dès 2016. C’est le mouvement que nous allons essayer de mettre en place, mais cela prendra 4, 5 voire 10 ans.» a annoncé Nicolas Roguet.


Encadré

Manifestations autour de l’événement «Face à elle»

La conférence, à laquelle ont participé environ 130 personnes, dont un bon tiers de femmes voilées, a été organisée dans le cadre de la parution du livre de photographies de Denis Ponté. Intitulé face à elle cet ouvrage réunit 50 portraits de Genevoises de confession musulmane,

Ces photographies ainsi que deux documentaires sont à découvrir au Théâtre Saint Gervais du 10 novembre au 20 décembre. Des expositions et autres événements auront lieu à la librairie arabe de l’Olivier et aux Bains des Pâquis durant cette période. L’exposition de Denis Ponté voyagera ensuite en Suisse et à l’étranger, notamment au Maghreb. (cath.ch-apic/prc/mp)

Maurice Page

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