Miss Suisse: «La beauté tend vers Dieu»

Parler du pape François, de saint Luc et de Platon avec Miss Suisse reste quelque chose d’assez étonnant. «Je ne suis pas une experte des questions religieuses», s’excuse pourtant Lauriane Sallin d’entrée de jeu. Une appréhension qui se révèle vite infondée: la Belfagienne de 22 ans est capable de déployer le fil d’une pensée cohérente sur Dieu, sa foi catholique et ses implications éthiques – et même esthétiques.

La nouvelle reine de beauté, élue le 7 novembre dernier à Bâle, est une croyante convaincue. Elle n’occulte pas pour autant le doute et les questions qui dérangent. Si les questions existentielles l’ont toujours habitée, sa foi est le fruit d’une réflexion progressive développée à travers les épreuves de la vie, dont la mort de sa grande sœur Gaëlle il y a quelques mois, d’un cancer du cerveau.

Vous avez confié dans les médias votre intérêt pour les questions religieuses. Qu’y trouvez-vous d’attrayant?

Lauriane Sallin: D’un point de vue culturel, la religion c’est un fil que l’on peut dérouler à travers les époques pour approcher les différents contextes de pensée. Sur un plan plus personnel, je me pose des questions existentielles depuis longtemps. Pendant un certain temps, je me suis sentie seule avec ce genre d’interrogations et puis j’ai découvert, en lisant, que l’humanité ne cesse de se confronter à ces réalités. Je me suis sentie d’un coup entourée.

Des questions existentielles… Lesquelles?

Celle du bonheur en particulier, et ce tout au long de la maladie de ma sœur. Est-ce possible d’être heureuse, malgré tout? Je suis passée par différentes étapes. Certains penseurs estiment que le concept du bonheur n’existe pas. Mais si c’est le cas, pourquoi vit-on? Je crois que le bonheur est possible, mais faut-il encore préciser ce qu’il est. Personnellement, je le rapproche de certains principes premiers de la foi chrétienne: le respect, l’amour du prochain – non pas celui qui est à 6’000 kilomètres de moi, mais le proche, celui qui est à côté de moi.

Face à la mort de ma sœur, je ne pouvais plus rester dans l’instantané.

Vous liez donc la question du bonheur à l’injonction évangélique «aimez-vous les uns les autres»?

Oui. Je ne pourrais pas être heureuse en ne pensant qu’à moi. Dans cette perspective, la question du pardon est elle aussi essentielle. A Pâques, je suis allée à la messe alors que j’étais très remontée contre quelqu’un. Pour la première fois de ma vie, je me souviens avoir récité le Notre-Père en réfléchissant vraiment à ce que je disais. «Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi». Dans cette situation, je me suis rendu compte que j’avais le choix. Je pouvais cultiver le sentiment de haine que j’avais contre cette personne en lui rendant la vie impossible. Mais c’est un mouvement sans fin. On peut détester quelqu’un pour toujours. J’ai pris l’option du pardon: je ne voulais pas devenir une personne haineuse.

La foi chrétienne est donc pour vous un processus qui se développe petit à petit?

Dans ma famille, tout le monde est croyant, mais chacun à sa façon. Mon papa va à la messe tous les dimanches, mais nous n’en parlons pas beaucoup. Pour moi, la foi n’est pas une demande de mes parents, mais quelque chose de personnel. Elle m’appartient. Elle s’est construite notamment autour de mes lectures, d’Aristote à Descartes en passant par l’Evangile de Luc. Je voulais comprendre ce récit évangélique. Pour ça j’ai dû bosser sur le contexte. Ça demande un effort, mais c’est le seul moyen d’en saisir le sens.

Je me suis également rendu compte que la religion nous aide à prendre du recul sur les choses, dans un monde où l’on vit constamment dans l’instantané. Un ami m’a dit un jour une phrase qui m’a profondément marquée: «Dans chaque homme, il y a une partie du Royaume de Dieu». Face à la mort de ma sœur, je ne pouvais précisément plus rester dans l’instantané, dans les choses qui se vivent à la seconde – parce que ce qui se vivait à la seconde, c’était ma sœur qui mourait. Il fallait voir plus loin et cette petite pensée m’y a aidé.

Ne vous êtes-vous pas révoltée contre Dieu? Comment concilier son existence et la mort de votre sœur?

Je n’ai pas l’impression que Dieu ait quoi que ce soit à voir avec la mort de ma sœur. Reste à savoir de quel Dieu l’on parle. Pour moi, Dieu, c’est la possibilité. Il est celui qui nous aide à nous dépasser. Je ne peux pas imaginer un dieu qui punit. Si il existe, il est au-dessus de la punition.

Dieu est celui qui nous aide à nous surpasser.

Vous savez, les règles du jeu sont claires: nous vivons, nous devrons donc tous mourir. Le grand drame n’est pas là, il est dans le mensonge que l’on s’inculque à soi-même lorsque l’on est convaincu que l’on ne doit pas mourir à 24 ans. Ma sœur est tombée malade lorsque j’avais 14 ans. J’abordais le sujet avec des adultes, mais je les voyais davantage troublés que moi. Ils avaient peur d’en parler. Un enfant, ça regarde les choses droit en face. Il risque d’avoir mal, mais il ne se protège pas de cette peur en se réfugiant derrière de faux concepts. Le monde dit qu’on meurt vieux, dans une maison de retraite. C’est faux!

La maladie fait partie de la vie. Ma sœur est tombée malade, je ne me suis pas posé la question de savoir si c’était la faute de quelqu’un. On a simplement essayé d’être vivants jusqu’au dernier moment.

Vous arrive-t-il de prier?

Oui, mais d’une manière assez spéciale. Je prie quand il y a quelque chose de difficile. Dieu est celui qui nous aide à nous surpasser. C’est un peu comme dans Star Wars, tu as une force en toi (rires). C’est une vision optimiste. Il y a des situations très difficiles dans nos vies, mais un «Optimum» peut être atteint. Pour cela j’ai besoin d’aide, donc je prie.

Avez-vous prié pour votre titre de Miss Suisse?

Non.

Vous assumez votre foi catholique. Quel regard posez-vous sur l’Eglise aujourd’hui?

Je pense que si l’Eglise ne parle pas concrètement de ce qui se passe dans le monde, aujourd’hui, elle n’a plus d’utilité. En ce sens, le pape François est une chance. J’ai lu son encyclique «Laudato Si» et j’ai trouvé le concept d’écologie intégrale extrêmement intéressant. François dépasse le rôle que l’on assigne d’ordinaire au pape. C’est un penseur libre, il ne cherche pas à plaire. Il regarde ce qui se passe dans le monde et essaie d’en faire quelque chose.

Il y a une certaine facilité à se dire agnostique.

On a parfois l’idée d’une l’Eglise immuable et passive. Lui est actif, il fait bouger les choses. Grâce à lui, elle repense le statut de la famille, selon ce qu’elle est aujourd’hui et non telle que certains voudraient qu’elle soit. Quand on entend parler de famille recomposée ou d’union homosexuelle au synode, on se dit que les choses bougent.

D’ailleurs au sujet du mariage, j’ai lu que la conception de l’Eglise avait évolué au cours de l’histoire. Je crois même qu’il y a eu une époque où le mariage intervenait après la naissance des enfants. On officialisait après en quelque sorte. L’histoire nous enseigne beaucoup de choses.

Eh bien venons-en à l’histoire, puisque vous l’évoquez. Depuis l’origine du christianisme, l’esthétique a joué un rôle fondamental dans l’histoire de l’Eglise. Voyez-vous un lien entre la beauté et Dieu?

Clairement. La beauté et l’harmonie des formes ont depuis toujours attiré et apaisé l’œil. Tout comme je me pose la question du bonheur, je cherche à comprendre ce qu’est la beauté. Pour en saisir le sens, il faut dépasser la plasticité. Pour moi la beauté c’est un chemin vers une harmonie, vers l'»Optimum», dont je parlais tout à l’heure. Elle y tend.

Qu’est-ce donc qu’une belle Miss Suisse?

C’est quelque chose de global, qui là aussi dépasse la plastique. Mon corps, c’est un support. J’essaie d’être un petit peu comme une allégorie pour amener les gens plus loin.

Vers quoi?

(Silence) Je voudrais transmettre une liberté de penser. Il faut penser. Beaucoup de personnes adhèrent ou s’opposent à quelque chose par principe, sans pouvoir en expliciter les raisons. Dans le domaine qui nous intéresse, il y a une certaine facilité à se dire agnostique. C’est une mouvance contemporaine qui nous dispense de nous justifier: du moment qu’on ne croit pas en Dieu, on n’a pas besoin de s’expliquer.

La foi chrétienne serait donc une sorte de «subversion»?

Presque. Et ça m’amuse encore dix fois plus: j’ai un esprit de contradiction. En même temps, je suis ouverte au fait de devoir peut-être un jour reconnaître l’inexistence de Dieu. L’ouverture va jusque là. Je n’ai pas le monopole de la vérité, peut-être qu’un athée a raison. Ce qui m’incombe c’est de ne pas arrêter de penser.

 


Lauriane Sallin

La nouvelle Miss Suisse a 22 ans et vient de Belfaux, dans le canton de Fribourg. Elle étudie l’histoire de l’art et le français à l’Université de Fribourg. Le 7 novembre 2015, elle devenait la plus belle femme de Suisse. Un titre qu’elle a aussitôt décerné à sa grande soeur Gaëlle, emportée ce printemps par une tumeur au cerveau. Son travail en tant que Miss Suisse consistera principalement à médiatiser Corelina, une association qui soutient la lutte des enfants atteints de maladies cardiaques. (cath.ch-apic/pp)

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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