Mgr Georges Bakouni: A Haïfa, juifs, chrétiens et musulmans vivent en bonne intelligence

«Quand le Synode de l’Eglise grecque melkite catholique m’a élu le 20 juin 2014 évêque de l’archevêché d’Acre, Haïfa, Nazareth et toute la Galilée, j’ai dit que je prenais avec moi en Terre Sainte la tradition de la convivialité. Sous cet aspect, Haïfa est une ville exemplaire!» Mgr Georges Wadih Bakouni, qui a vécu cette convivialité dans son pays, notamment durant une décennie à la tête du diocèse de Tyr, au sud du Liban, en fait l’expérience dans cette ville tolérante, considérée comme la «capitale» du nord d’Israël.

«C’est un fait, dans cette région, la convivialité entre chrétiens, musulmans et juifs est une réalité. On accepte de plus en plus les chrétiens dans la société, et à Haïfa, il n’y a encore jamais eu de graffitis ou de slogans hostiles aux chrétiens sprayés sur la porte des églises, comme c’est le cas ailleurs en Israël, à Jérusalem ou dans les territoires palestiniens», souligne l’évêque d’origine libanaise.

«Ici, nous avons affaire à des modérés, les gens désirent vivre ensemble!»

C’est peut-être, suppose-t-il, parce qu’il n’y a pas à Haïfa de lieux saints appartenant à diverses communautés, et qui seraient objets de dispute… «Ici, nous avons affaire à des modérés, les gens désirent vivre ensemble!»

«A Haïfa, les relations sont très bonnes entre les communautés; nous avons d’excellents rapports avec la municipalité et les responsables laïcs. Le maire Yona Yahav vient nous féliciter à Noël, la municipalité décore la ville à l’occasion de la fête de la Nativité». En effet, à Haïfa, on peut voir des sapins de Noël installés par la municipalité. Depuis 1993, le Festival des Festivals, unique en son genre en Israël, réunit à l’époque de Noël les communautés religieuses les plus importantes de la ville. Les principaux événements prennent place à Wadi Nisnas, le quartier arabe regroupant musulmans et chrétiens de Haïfa.

Le départ des chrétiens, une très grande perte pour le Moyen-Orient

Dans la ville portuaire du nord d’Israël vivent quelque 15’000 grecs-catholiques melkites, mais également des grecs-orthodoxes, des catholiques latins, des maronites, des protestants et d’autres, sans parler des migrants venus de Russie, d’Ukraine, d’Inde, des Philippines ou d’Ethiopie, qui ont pour une part des racines chrétiennes.

Le diocèse de Mgr Bakouni, composé d’une trentaine de paroisses, compte quelque 76’000 fidèles, soit la communauté chrétienne la plus nombreuse. Il sait que la présence chrétienne en Terre Sainte – 1,7% de la population, divisée en divers rites – s’effiloche. L’émigration, causée par des raisons politiques, économiques et sociales, est un grand danger. Mais le prélat melkite l’affirme avec conviction: «Je suis venu sur cette terre et auprès de ce peuple pour porter la croix avec eux. Le départ des chrétiens est une très grande perte pour le Moyen-Orient».

Les chrétiens mieux acceptés dans la société juive

Mgr Bakouni se veut optimiste, estimant qu’en règle générale, «on accepte de plus en plus les chrétiens dans la société juive», prenant pour exemple la commémoration les 14 et 15 décembre derniers du 50e anniversaire de la déclaration du Concile Vatican II sur les relations de l’Eglise catholique avec les religions non-chrétiennes «Nostra aetate», tenue à l’Université de Tel Aviv. Ce symposium, organisé par la Global Jewish Advocacy (AJC), le Kantor Center et le Beit Hatfutsot Museum de l’Université, a rassemblé chrétiens et juifs.

Le cardinal suisse Kurt Koch, président de la Commission pontificale pour les rapports religieux avec le judaïsme, avait fait à cette occasion le déplacement de Rome. Des personnalités juives comme le juge Alyakim Rubinstein, vice-président de la Cour suprême israélienne, et d’autres personnalités religieuses chrétiennes comme le patriarche latin de Jérusalem Fouad Twal, et trois évêques, Mgr Shomali, Mgr Marcuzzo et Mgr Bakouni, assistaient au symposium. «Un signe très positif!», lâche l’évêque melkite de Galilée.

Après les visites officielles et protocolaires qui ont suivi son arrivée en Galilée, cet évêque, qui se veut avant tout un pasteur, a décidé de prendre son bâton de pèlerin et de rendre visite aux familles, dans leur maison. «Ce n’est pas fréquent, de la part d’un évêque oriental, de s’asseoir parmi les gens, dans leur maison, c’est même la première fois. Ces visites de famille sont très appréciées par les fidèles!»

L’ancien banquier devenu pasteur

Bien qu’il ait une formation dans le secteur bancaire et qu’il ait travaillé dans la banque à Beyrouth avant de devenir prêtre, Mgr Bakouni ne se voit pas comme un administratif, un juge ou un prélat, mais avant tout comme un pasteur. «A Tyr, je suis entré dans toutes les maisons de mon diocèse, visitant les fidèles, les athées, les critiques, les divorcés remariés, les ‘bons chrétiens’ et les autres… Beaucoup ont quitté l’Eglise, mais pas le Christ!»

Mgr Bakouni voit un grand défi dans la formation des laïcs, dans une Eglise à forte tradition cléricale: «Je peux dire que près de 99,9% de mes fidèles ne connaissent pas bien leur religion; ils ne lisent pas les Ecritures, l’Evangile. Notre Eglise n’est pas très ouverte aux laïcs et aux nouveaux mouvements. Beaucoup chez nous craignent d’être ‘latinisés’ et ont peur qu’on leur arrache ainsi leur identité. Quand un de nos fidèles se promène avec une Bible, ont dit souvent: c’est un protestant ! J’encourage la lecture de la Bible, je défends les mouvements nouveaux, les charismatiques, les Focolari, le mouvement néo-catéchuménal…»

Les prélats ‘académiques’ et les pasteurs

«J’ai amené toute cette réalité à Rome, au dernier synode sur la famille, où j’accompagnais notre patriarche, S. B. Grégoire III Laham. Dans les débats, j’ai remarqué la différence entre les prélats ‘académiques’ et les pasteurs qui sont en contact avec la fragilité humaine. L’Esprit saint et le pape m’ont confié une responsabilité pour mon diocèse. Un évêque, c’est un pasteur, il n’est pas seulement là pour exécuter des instructions romaines. Il doit tenir compte des réalités socioculturelles de chaque région».

Pour l’évêque grec-catholique de la Galilée, il y a des réalités qui ne concernent que le Moyen-Orient, d’autres l’Afrique, d’autres les pays occidentaux. Le pape François, sous cet aspect, poursuit l’évêque melkite, souhaite de plus en plus de décentralisation.

Les chrétiens arabes israéliens ne savent pas qui ils sont

Mais Mgr Bakouni est conscient des difficultés rencontrées par les chrétiens de son diocèse. Comme chrétiens arabes israéliens, ils sont doublement perdus: comme chrétiens, ils sont minoritaires parmi les Palestiniens citoyens israéliens, en grande majorité musulmans; comme citoyens israéliens, ils font partie des quelque 20% de non juifs, dans un Etat qui se proclame juif et qui ne les traite pas de façon égale.

Les chrétiens ont également peur des musulmans radicaux, qui ne s’en prennent pas qu’aux chrétiens, mais avant tout aux musulmans modérés. «La possibilité de quitter le Moyen-Orient est pour de nombreux chrétiens locaux une chance de vie meilleure. Les chrétiens d’Occident envoient beaucoup d’argent sur place, pour que les chrétiens puissent rester, mais ils partent quand même quand ils en ont la possibilité!»

L’Eglise du Moyen-Orient reste très traditionaliste et cléricale

«Ils ne savent pas qui ils sont, et expriment leur identité par leur appartenance à l’Eglise. Mais dans cette région du Moyen-Orient, l’Eglise reste très traditionaliste et cléricale. Le prêtre est au centre de la communauté, et que dire de l’évêque ? Beaucoup de missionnaires latins chez nous ne sont pas arabes et parmi les diverses confessions chrétiennes, je ne sais pas s’il y a cent prêtres et évêques qui parlent arabe!»


Encadré

L’expérience de la guerre en Syrie

Durant les années 2010 et 2011, tout en étant évêque de Tyr, au sud du Liban, George Wadih Bakouni fut également administrateur patriarcal du diocèse de Homs, Hama et Yabroud, en Syrie, en attendant l’élection du nouvel évêque pour l’archiéparchie de Homs.

Carrefour stratégique, qui s’ouvre à l’ouest sur le Liban, Homs fut très tôt dans l’histoire une ville chrétienne, avec des communautés présentes dès le IVe siècle. Le siège de l’archevêché grec-melkite catholique et la cathédrale Notre-Dame de la paix des Grecs-Melkites catholiques, se trouve dans le quartier de Boustan al-Diwan, dans la vieille ville de Homs, où se trouvent de nombreuses églises chrétiennes historiques, comme par exemple l’église de la Ceinture de la Vierge des syriaques orthodoxes (Um Al-Zinnar), et bien d’autres églises chrétiennes.

La ville fut un des épicentres de la révolte syrienne de 2011-2012, qui s’est radicalisée et a été prise très rapidement en main par des djihadistes, et parmi eux des combattants étrangers. A Homs, tout a commencé dans la nuit du Dimanche des Rameaux 2011. Des manifestants ont été tués. Il y avait eu déjà avant des manifestations pacifiques, mais cela a dégénéré.

Dans cette région, tout le monde était armé

«Très rapidement les gens ont pris les armes, car tout le monde était armé. La frontière libanaise n’est pas loin, et il y avait dans cette région une tradition de trafics de toutes sortes avec le Liban: drogues, alcool, armes… Trois mois après le début des affrontements, je ne pouvais plus rester, car le danger était partout. Avec les barrages, on ne pouvait plus se déplacer sans risques… Je n’avais pas peur, car j’avais vécu toute la guerre civile du Liban, qui avait commencé en 1975 à Beyrouth, précisément là d’où je viens, à Ain-Remmaneh. Mais à Homs, je ne savais pas comment faire. Quels responsables fallait-il contacter pour savoir comment pouvoir se rendre à tel ou tel endroit ? C’était très délicat, il y avait des risques d’enlèvement…»

Deux évêques grec-orthodoxe et syro-orthodoxe d’Alep, Boulos Yazigi et Gregorios Yohanna Ibrahim, ont été kidnappés par les djihadistes en avril 2013, avec d’autres prêtres, dont on est toujours sans nouvelles. Non loin de l’évêché grec-catholique de Homs, dans le jardin de la Résidence des Jésuites, se trouve la tombe du Père Frans van der Lugt. Le jésuite néerlandais, âgé de 75 ans, avait voulu partager jusqu’au bout, dans des conditions extrêmement difficiles, la souffrance des quelques familles chrétiennes et musulmanes restées sur place depuis le début du conflit. Ce prêtre amoureux de la Syrie a été abattu par des rebelles, le lundi matin 7 avril 2014. Aujourd’hui, la ville, libérée des djihadistes, tente de revivre. (cath.ch-apic/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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