Le concile panorthodoxe: ombres et lueurs d'espoir

«Tout progrès d’unité dans une partie de l’Eglise est un progrès d’unité pour l’Eglise du Christ». Telle est la conviction du laïc orthodoxe suisse Noël Ruffieux face au défi représenté par le concile panorthodoxe, dont une étape de la préparation se déroule du 22 au 28 janvier 2016 à Chambésy, près de Genève. Si la rencontre internationale, prévue pour la Pentecôte 2016, est confrontée à des doutes et à des divisions internes, elle suscite également de profonds espoirs.

La synaxe (assemblée) des primats et représentants des Eglises orthodoxes, au Centre du Patriarcat oecuménique, devrait présenter une déclaration finale, précisant notamment de façon définitive les thèmes qui seront débattus lors du Concile.

D’après des informations -encore non confirmées au 25 janvier- issues des débats genevois, le Concile se déroulerait non plus à Istanbul, comme prévu, mais en Crète. Les tensions entre la Turquie et la Russie sont évoquées pour expliquer ce changement de lieu.

Crainte de blocages

Le concile des Eglises orthodoxes est ainsi confronté à de nombreuses difficultés. Si bien que certains doutent, à l’instar du Patriarcat de Moscou, qui regroupe un tiers des fidèles orthodoxes, de la possibilité même de sa tenue en 2016.

Deux points d’achoppement cruciaux concernent l’organisation même du grand rassemblement, ainsi que les divisions entre certaines Eglises.

Une mésentente centrale existe entre le patriarcat de Constantinople et celui de Moscou, en même temps sur des questions de fond que sur l’ordre du jour, l’organisation et le règlement même du Concile, confie à cath.ch le Père Alexandre Siniakov, recteur du séminaire orthodoxe russe Sainte-Geneviève, à Epinay-sous-Sénart, en région parisienne. Il s’agit en particulier des questions sur les modalités de vote et d’adoption des documents au Concile, explique le responsable orthodoxe. Le patriarcat de

Moscou insiste beaucoup sur le fait que chacune des Eglises autocéphales doit disposer d’une voix dans la prise de décision. Constantinople se montre réticent face à ce système, qui lui fait craindre un éventuel blocage, indique le Père Siniakov.

Pour parler d’une voix unique

Les problèmes ne se situent pas seulement sur la ligne Moscou-Constantinople. De graves dissensions existent également entre les patriarcats d’Antioche et de Jérusalem, qui ont récemment rompu leur communion. Il existe aussi des tensions entre le patriarcat de Grèce et de Constantinople. L’archevêque d’Athènes n’est d’ailleurs pas présent à Chambésy. Des tensions entre le patriarcat de Roumanie et celui de Jérusalem se sont depuis peu apaisées note le Père Siniakov. «Ces difficultés sont très malheureuses et empêchent le travail de réunion des orthodoxes», déplore-t-il.

Le recteur de séminaire assure pourtant qu’au niveau de la doctrine, il n’y a pas de graves différends et répète que les points de tensions se situent principalement au niveau de l’organisation du Concile, à propos de laquelle un consensus doit encore être atteint. Le Père Siniakov regrette, en général, que les Eglises orthodoxes ne parviennent pas à parler d’une voix unique.

Des divisions contre-productives

Le responsable orthodoxe assure en tout cas que si le Concile a lieu, ce sera forcément un point très positif.

Une opinion partagée par Noël Ruffieux, qui espère vivement que le concile pourra se tenir à la date prévue, peu importe l’endroit. Le laïc orthodoxe, qui suit de près les débats préparatoires de Chambésy, assure qu’il existe un désir global, dans l’orthodoxie et parmi les participants de la synaxe, de réaliser ce pas vers la réunification. Il note néanmoins que ceux qui n’ont pas envie de voir la rencontre aboutir se réjouissent des rumeurs d’échec.

Tout en admettant l’existence de nombreux points litigieux et complexes, il constate que des progrès sont réalisés. Il note en particulier l’avancée qu’a constituée la reconnaissance, à l’occasion de la synaxe genevoise, de l’Eglise orthodoxe des Terres tchèques et de Slovaquie, dont la non acceptation était un des points de blocage des discussions.

Pour que la montagne accouche un jour d’un éléphant

Noël Ruffieux regrette lui aussi les «tensions malheureuses» entre certaines Eglises, notamment en Orient. «Il est contre-productif de nous diviser dans des régions où nous sommes déjà ultra-minoritaires et menacés», souligne-t-il. L’ancien catholique converti à l’orthodoxie déplore, en général, que le Concile dépende autant des conflits géo-politico-religieux. Un aspect démontré par l’épisode du déplacement de la rencontre de Turquie en Crète ou par le conflit entre l’Eglise d’Ukraine séparée du Patriarcat de Moscou et celle qui lui est restée fidèle. «Parfois, ces divisions reflètent la face négative de la solidarité d’une Eglise avec le peuple ou la nation», regrette le laïc orthodoxe.

Un espoir pour tous les chrétiens

Très engagé dans le dialogue œcuménique, Noël Ruffieux souligne que si le Concile n’avait pas lieu, cela décevrait certainement de nombreux autres chrétiens et notamment les nombreux catholiques qui souhaitent l’unité orthodoxe. Il assure que le pape François lui-même encourage et croit en cette rencontre panorthodoxe.

Le laïc suisse affirme percevoir, actuellement, un fort courant de sympathie entre les deux confessions chrétiennes. Il note qu’au plan de son travail, il n’a jamais séparé les efforts vers l’unité intra-orthodoxe des efforts vers l’unité des chrétiens. «Tout progrès d’unité dans une partie de l’Eglise est un progrès d’unité pour l’Eglise du Christ», lance-t-il.

De son côté, le Père Siniakov admet que, même si le Concile se déroule effectivement, les résultats ne seront peut-être «pas aussi grandioses» que ce que l’on en attend. Mais pour lui, la tenue du Concile en elle-même serait une victoire. «Il s’agit d’une étape nécessaire, et il faut qu’elle ait lieu le plus rapidement possible», note-t-il. «Ce sera peut être une montagne qui accouche d’une souris. Mais cette souris est indispensable pour que la montagne accouche un jour d’un éléphant», martèle-t-il. (cath.ch-apic/rz)


Encadré

Qu’est-ce que le «concile panorthodoxe»?

Attendue depuis un demi-siècle, la tenue d’un concile rassemblant toutes les Eglises orthodoxes constituerait un événement historique de premier ordre, comparable à celui de Vatican II dans l’Eglise catholique, note le quotidien français La Croix. Le dernier concile œcuménique reconnu par l’ensemble des 14 Eglises orthodoxes remonte en effet à 787, avant le schisme avec Rome. Des synodes interorthodoxes se sont par la suite tenus jusqu’au 17e siècle, mais il a fallu attendre la conférence de Rhodes, en 1961, pour que l’idée d’un «saint et grand concile orthodoxe» soit relancée par le patriarche œcuménique de Constantinople Athénagoras.

Quels seront les sujets de discussion?

L’objectif de cette assemblée est de résorber les divisions accumulées entre Eglises orthodoxes au cours des siècles afin d’offrir au monde un témoignage de foi commun et actualisé.

L’ordre de préséance entre Eglises constitue l’une des questions les plus épineuses à résoudre. Moscou, de fondation plus récente, aimerait bien remonter dans le classement du fait de son poids démographique. Elle est riche de 120 millions de fidèles, soit un tiers du nombre total des orthodoxes dans le monde.

D’autres questions cruciales doivent être traitées lors du concile, telles que la manière de proclamer l’autonomie des Eglises, le statut juridique de la diaspora, l’unification du calendrier liturgique, ou encore les relations de l’Eglise orthodoxe avec le reste du monde chrétien.

Cadenassé depuis la conférence panorthodoxe de 1976, cet ordre du jour tient à l’écart les grands défis d’aujourd’hui, remarque La Croix. Les débats ne devraient ainsi pas soulever des questions telles que le conflit en Ukraine, l’écologie, la bioéthique, ou la révolution numérique. (cath.ch-apic/cx/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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