L’histoire de Jo, une bande dessinée qui fait des vagues

Regards sur le sida

Comment raconter le sida aux adolescents ?

Marie-Claude Fragnière, APIC

Chaleureusement soutenue par des personnalités telles que l’Abbé Pierre, le

ministre français de la culture Jack Lang, des sportifs comme Yannick Noah

ou Manuela Maleeva-Fragnière, Jo, la bande dessinée de Derib, ne fait pas

l’unanimité, surtout dans les milieux catholiques. Le cardinal Schwery dénonce « les insuffisances coupables » de cette BD déjà distribuée à quelque

300’000 adolescents de Suisse romande. L’Eglise protestante vaudoise, quant

à elle, a remercié l’auteur de Jo en lui remettant un chèque de 5’000

francs. Marie-Claude Fragnière a enquêté dans la canton de Fribourg auprès

d’élèves, de parents, de directeurs d’école et d’animateurs de jeunes.

La BD de Derib – qui veut prévenir les jeunes, par une fiction plus ou

moins vraisemblable, contre les risques du sida – a ceci d’intéressant

qu’elle provoque des réactions allant de l’enthousiasme fervent à la critique parfois très vive. Tout au long de ses 79 pages, (sans compter les dix

pages d’explications sur la maladie et les précautions à prendre pour s’en

prémunir), la BD raconte l’histoire de Jocelyne, Jo, une belle jeune fille

sportive, studieuse, qui a tout pour réussir dans la vie…

Jo, âgée de 16 ans, est terrassée par le sida « de façon trop injuste…

C’était pendant une boum, il y a deux ans (…) J’ai fait la connaissance

d’un type formidable qui m’a tout de suite beaucoup plu. Nous avons fait

l’amour sans prendre de précaution, bien sûr. C’était la première fois. On

ne parlait pas encore vraiment du sida… »

Le regard de l’ambulancier

L’enquête que nous avons réalisée auprès des personnes directement concernées, à savoir les élèves eux-mêmes, les parents, les directeurs d’école

ou les responsables de jeunes est significative. La diversité des avis révèle la diversité des regards. Sur Jo, il y a au moins deux regards possibles : le regard de l’ambulancier, préposé aux soins d’urgence auprès des

jeunes, et qui apprécie et use de Jo comme d’une compresse hémostatique qui

prend toute sa valeur et tout son sens quand effectivement « ça marche ». Or,

indéniablement, d’après les personnes sur le terrain, « ça marche ». Dans la

mesure où la BD:

-provoque les jeunes émotionnellement et donc suscite la discussion: « J’ai

passé la soirée à lire Jo d’un trait, ça m’a tiré des larmes; toute la

nuit, j’ai réfléchi et le matin, j’ai dit aux parents: il faut qu’on parle

d’un truc qu’on n’a jamais abordé à la maison, vous lirez Jo, d’accord ? »

(Emmanuelle, 16 ans).

-présente un monde qui ne fait pas de cadeau et où beaucoup se reconnaissent. « De nombreux adolescents disent ne pas trouver outrancière l’attitude

indifférente et égoïste des parents de Jo ». (Marie-Thérèse Bielmann, catéchiste au CO de Marly et responsable de la Commission des adolescents au

Centre catéchétique).

-rappelle avec force aux jeunes que le sida, « ça n’arrive pas qu’aux autres ». « C’est un merveilleux instrument de travail, un tremplin qui permet

d’approfondir et de clarifier la réalité du sida ». (Anita Brunisholz, directrice du CO du Gibloux).

-tente de démolir l’attitude de ségrégation contre les sidéens. « Jo freine

l’esprit de « sidatorium » qu’on rencontre parfois autour de nous ». (Jacques

de Coulon, proviseur au Collège St-Michel).

-voudrait montrer que l’alternative au rythme violence, sexe, drogue,

c’est l’amour. (Mais quel amour?!)

Prendre le mal à la racine

Le second regard, c’est celui du praticien qui voudrait ne pas traiter

seulement le symptôme susceptible de récidiver, mais s’attaquer à la racine, à la cause. Et là, Jo lâche les jeunes: il y a une certaine rupture de

stock en ce qui concerne les valeurs vitales et régénératrices telles que

la fidélité, le respect de l’autre, la maturité de l’amour.

En effet, des jeunes comme Jo, vivant des relations sexuelles à 14 ans,

ne sont-ils menacés que du sida ? Pourquoi Jo, qui va devenir la compagne

de quelque 900’000 jeunes, passe-t-elle sous silence le « sida affectif et

psychologique » que peut entraîner une attitude comme « on se plaît, on est

jeune, on est libre, on fait l’amour » ? « On nous parle dans les détails de

ce qui se passe quand on fait l’amour, mais personne ne nous dit ce que

c’est que l’amour ». (Florian, 15 ans).

D’autre part, la BD, dont les images et le langage parfois crus simulent

un bain de réalité existentielle des jeunes, manquerait de réalisme. Est-il

si quotidien de former un couple dont l’un est atteint du sida, vivant de

la musique, en dehors du cadre familial, scolaire, professionnel, avec un

logement merveilleux à peu de frais et dans une fusion d’âme aussi fortuite

que romanesque ? On comprend la réaction de Joëlle (14 ans) : « Moi, une vie

comme Jo? Je signe tout de suite! C’est tellement plus beau et passionnant

que notre banalité quotidienne! »

Enfin, la BD pêcherait par imprécision scientifique. « Nous avons jugé

indispensable d’organiser pour les élèves des conférences de personnes spécialisées pour rectifier la vérité sur les préservatifs ». (Mme Perroud,

présidente du Comité de parents d’élèves du Collège St-Michel).

L’AIDS-Aufklärung Schweiz (Association pour l’information sur l’infection VIH) écrit dans une revue médicale: « Quelques études, qui examinent

l’efficacité des préservatifs contre une infection du virus du sida, démontrent un risque amoindri d’infection lors d’une utilisation correcte et

continue du condom. Il reste néanmoins un risque résiduel de 0 à 27 % et

plus, risque comparable, selon des statistiques comparatives, voire plus

élevé que dans le cas d’une utilisation contraceptive du préservatif. Les

causes de ces échecs sont peu claires, en particulier la question de savoir

s’il s’agit davantage des conséquences d’une utilisation incorrecte ou de

défaut du matériel ».

Jo est donc là comme une parade d’urgence visant à opposer un barrage

immédiat à la transmission rapide du virus. En ce sens-là, son rôle a certes de l’importance auprès des jeunes. Peut-on espérer une suite. Jo numéro

2, qui envelopperait avec tendresse et respect la personne humaine dans ses

appels profonds et légitimes ? (apic/mcf)

Encadré

5’000 francs à Derib pour la diffusion de JO

Le Conseil synodal de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud a remis le 16 décembre dernier un chèque de 5’000 francs à Derib, l’auteur de

la bande dessinée Jo. Par ce geste, l’exécutif de l’Eglise vaudoise entend

marquer son soutien au travail de Derib et à la « Fondation pour la vie »

qu’il préside.

La « Fondation pour la vie » entend apporter par ce biais une contribution

à la lutte contre le sida. A en croire les nombreuses lettres qui affluent

au siège de la fondation, le message passe très bien auprès des jeunes. « En

Suisse romande, l’objectif est atteint à 90 % », a précisé l’auteur lors de

la remise du chèque. En décembre dernier, plus de 300.000 BD ont déjà été

distribuées gratuitement grâce à l’appui des départements de l’Instruction

publique de la majorité des cantons romands. Le tirage de départ était de

400’000.

La fondation étend maintenant son action à la France et à la Belgique.

Une traduction en allemand est en préparation pour la diffusion en Suisse

alémanique. D’autres sont prévues en anglais, en italien et peut-être en

néerlandais. « La plus grande difficulté est de convaincre les pouvoirs publics », estime Derib. (apic)

Encadré

La position du cardinal Schwery

Le cardinal Schwery n’est certes pas indifférent aux ravages du sida, puisqu’il a même prêté l’année dernière son portrait pour la campagne « Stop sida », avec le slogan : « La discrimination à l’égard des malades du sida est

inconciliable avec l’Evangile ». Mais il tient à rappeler les critères

éthiques de l’Eglise catholique.

A propos du contenu de Jo, le cardinal Schwery en dénonce « les insuffisances coupables ». Pour l’évêque de Sion, dans cette BD, en effet, on présente « des comportements que la morale catholique réprouve sans ambiguïté.

Il n’y a pas de mise en question fondamentale de la moralité de ces comportements ». Mais, l’action étant faite, « nous devons réagir. J’ai invité à

corriger et compléter au nom de notre mandat ecclésiastique ce qui fut fait

sous mandat civil et scolaire. C’est le lieu de rappeler que tout ce que

fait le civil n’est pas forcément religieux et que tout ce que la loi civile autorise n’est pas forcément moral et licite ».

Dans ses « Sentiers épiscopaux » (No 65), le cardinal Schwery écrit : « On

m’a dit qu’un grand pourcentage de nos adolescents n’auraient reçu de leurs

parents aucune information sur le sida. J’ai peine à le croire. On m’a dit

que la majorité de nos jeunes se permettraient des expériences sexuelles

sans complexe aucun puisqu’ils n’encourraient aucun risque de contracter la

terrible maladie tant qu’ils se muniraient de préservatifs. Où est donc la

conscience de ceux qui leur ont laissé croire cela ? On m’a dit que des parents tolèrent sans protester les dires, les actes, les mentalités de leurs

adolescents selon lesquels l’amour humain exclusivement réservé au couple

marié et fidèle serait un mythe démodé. Comme si la virginité était une maladie honteuse. Comme si les péchés d’ordre sexuel n’étaient pas une offense à Dieu et en même temps une atteinte sérieuse à notre dignité humaine! »

Le Père Cottier déplore une parade purement médicale

Nommé entretemps théologien de la maison pontificale, le Père dominicain

Georges Cottier écrivait déjà en 1990 dans « Nova et Vetera », à propos des

campagnes de prévention anti-sida: « Nous rencontrons ici les questions qui

touchent à la prévention et aux responsabilités de l’Etat et des pouvoirs

publics. Dès lors qu’une épidémie revêt une certaine ampleur, c’est un devoir de l’Etat d’intervenir ».

Cependant, déplore-t-il, « en général, on en est resté à une parade purement médicale, visant à stopper la transmission rapide du virus. Mais les

campagnes en faveur des préservatifs présentés comme la principale barrière

capable d’arrêter les progrès de l’épidémie ont toute chance d’aggraver le

mal qu’elles combattent. En effet, l’exercice de la sexualité engage toute

la personne. Une riposte exclusivement biomédicale est par elle-même limitative. Les questions de la sexualité humaine sont intrinsèquement de nature morale. Concevoir des politiques de la santé publique qui prétendent

faire abstraction de ce caractère moral, c’est céder à un mirage technocratique et par là manquer le but que l’on vise. On fait appel à une publicité

qui va dans le sens de la permissivité. Or la permissivité signifie en fait

la porte ouverte à un désordre, de nature morale, qui est sans doute une

des causes principales de la propagation du sida. » (apic)

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