L'Afrique du Sud a mauvaises mines

En Afrique du Sud, comme dans beaucoup de pays en développement, l’industrie minière a des effets désastreux sur les populations et l’environnement. Tel est le constat posé par le militant sud-africain des droits humains Eric Mokuoa. En Suisse romande du 23 février au 15 mars 2016, l’hôte de la campagne œcuménique de Carême témoigne de son combat pour responsabiliser les multinationales.

Né à Luka, une localité située au nord de Johannesburg, dont la mine de platine représente la principale activité économique, Eric Mokuoa est un témoin de première main des problèmes que rencontrent les populations du Sud face à l’exploitation des ressources minières. Il travaille pour la «Bench Marks Foundation», qui œuvre pour que l’industrie minière respecte les droits humains et l’environnement. Cath.ch l’a rencontré le 7 mars dans les locaux de l’œuvre d’entraide catholique Action de Carême (AdC), à Lausanne.

Vous avez vu le jour dans le contexte de l’industrie minière. Quelles circonstances vous ont décidé à mener un combat contre les excès de cette activité économique?

Je suis né en 1977. L’exploitation de platine de Luka fonctionnait déjà depuis huit ans. A l’époque, l’apartheid était toujours en place. Mais, à l’époque, comme j’étais un enfant, je ne voyais pas les problèmes.

Une des mines de la région se trouvait en fait juste derrière la maison de mes grands-parents. Ce que je pouvais constater, quand j’allais là-bas, c’était le bruit incessant. Les machines faisaient un vacarme d’enfer, jour et nuit. Mes grands-parents avaient de graves problèmes d’ouïe, probablement dus à cet environnement sonore.

Les mines produisent également des déchets toxiques qui polluent l’air et l’eau et qui s’accumulent aux alentours du village. La poussière produite par les mines est également un problème. Beaucoup de gens développent de l’asthme. La compagnie minière nie cependant toute responsabilité dans les problèmes de santé des habitants.

Quelle est la réaction des populations locales face à ces nuisances?

Les activités minières se sont petit à petit tellement étendues que le village n’a plus pu s’agrandir. Certains quartiers sont ainsi devenus surpeuplés.

L’espérance de vie a baissé drastiquement depuis l’installation de la mine

Vers 1994, les gens se sont réellement mobilisés quand les activités d’extraction se sont grandement intensifiées, notamment quand la mine a été exploitée à ciel ouvert. La compagnie utilisait alors de puissants explosifs qui fissuraient les murs de nos maisons et faisaient trembler les fondations. Là, les dommages étaient bien visibles, et les habitants n’étaient pas d’accord de perdre leurs maisons, dans lesquelles ils avaient mis beaucoup d’argent.

L’apartheid avait pris fin et les gens pouvaient faire entendre leur voix. Ils créèrent alors l’organisation «Luka environmental Forum». Grâce à cela, j’ai pris moi-même davantage conscience de la situation.

L’industrie minière a-t-elle apporté d’autres nuisances que sanitaires et environnementales?

Des changements sociaux se sont aussi produits.

Beaucoup de structures mises en place par le régime d’apartheid pour rabaisser les noirs n’ont pas été changées quand le système est tombé. Les «hostels» (baraquements) où étaient placés les travailleurs étaient particulièrement insalubres et inhumains. Ces bâtiments ont finalement été fermés et les compagnies ont accordé aux mineurs une rente pour se reloger. Mais les sommes étaient trop faibles pour payer un loyer. Les travailleurs ont donc «squatté» illégalement des terrains pour construire des logements extrêmement précaires, sans eau ni électricité. Ainsi, les conditions des mineurs ne se sont pas améliorées. Il existe dans ces «bidonvilles» des risques d’épidémies, d’incendies incontrôlables. Des «maladies» sociales surgissent également dans de telles conditions. L’alcoolisme et la criminalité se répandent parce que les gens sont déprimés et stressés. L’impact de l’industrie minière est énorme sur toute notre société.

L’industrie minière n’a-t-elle pas tout de même apporté un développement?

Les seuls qui en ont vraiment profité sont les dirigeants, les élites. Pour le simple peuple, les conditions de vie étaient meilleures dans le village avant l’industrialisation. Le meilleur signe en est que l’espérance de vie a baissé drastiquement depuis l’installation de la mine.

Le drame, c’est que la «machinerie» de l’Etat sud-africain est restée en place. Il y a un héritage de l’ancienne mentalité qui a été conservé. Elle est toujours orientée vers la satisfaction de la minorité au pouvoir. Il n’y a pas de volonté politique pour changer les structures héritées de l’apartheid.

Et même si de nombreuses choses ont changé, dans bien des domaines, certains secteurs, comme l’industrie minière, fonctionnent toujours selon les mêmes modèles hérités de l’apartheid.

Quel événement en particulier a été à la base de votre engagement contre l’injustice?

J’ai personnellement travaillé six mois pour l’industrie minière, en tant qu’ouvrier généraliste. Je m’occupais en particulier du stockage du matériel. Là, j’ai pu vraiment vérifier que les structures issues de l’apartheid étaient toujours en place. Ce sont également des structures architecturales. Les douches, par exemple, semblaient conçues pour des animaux et pas pour des hommes. Elles étaient si «déshumanisantes» que j’ai décidé de ne jamais les utiliser.

Je suis devenu un activiste. J’ai lutté de l’intérieur pour que les choses changent, écrit des lettres, mobilisé des collègues. Finalement, j’ai été expulsé du syndicat et j’ai quitté mon travail. Moi je n’avais pas peur de perdre mon job, je savais que je pouvais faire autre chose. Mais beaucoup de mes collègues n’avaient pas d’autres possibilités de revenus et leurs emplois étaient menacés. Les syndicats profitaient aussi de la situation et défendaient leurs privilèges plutôt que les travailleurs. Ils étaient eux-mêmes sous pression de la compagnie.

Ensuite, j’ai été recruté par la «Bench Marks Foundation».

Que faites-vous concrètement à travers cette organisation?

Principalement, nous menons un programme nommé «Community monitoring schools», dans lequel nous formons les communautés locales à s’engager pour leurs droits et pour l’environnement. Nous leur donnons des outils de compréhension des rapports de pouvoir dans la société. Nous leur apprenons notamment à se servir des outils informatiques, à créer des réseaux et à mesurer et enregistrer les dommages causés par les industries à l’environnement. Nous avons une newsletter où les communautés écrivent ce qui se passe dans leur région.

Que peuvent faire les Eglises locales?

Les Eglises ont d’abord la responsabilité de parler de façon honnête de ces sujets. Elles devraient se mettre spontanément du côté des pauvres. Mais en Afrique du Sud, il y a beaucoup de confusion dans la vie religieuse. Des Eglises se sont implantées avec des vues très matérialistes: elles prêchent «l’Evangile de la prospérité», les gens y prient pour devenir riches.

La Suisse est un pays stratégique

Et le gouvernement?

Il y aurait beaucoup à faire au niveau des lois, et cela serait assez facilement réalisable. Les gouvernants devraient tout d’abord parler avec la société civile. La société civile, la participation et l’engagement citoyen sont la clé pour résoudre de nombreux problèmes, en Afrique du Sud. Mais, encore une fois, il y a un manque de volonté politique.

Pensez-vous qu’un drame tel que Marikana – où la police a tiré, en 2012, sur des mineurs protestataires, faisant 34 morts – peut se reproduire en Afrique du Sud?

Je pense que cela pourrait se reproduire. Les conditions de travail et de salaire déplorables à l’origine des soulèvements de Marikana existent encore dans certains endroits. Des activistes ont été arrêtés arbitrairement et des cas de violations de la liberté d’expression ont été enregistrés, notamment des interdictions de manifester. Le mécontentement populaire se développe et, s’il n’est pas entendu, pourrait donner lieu encore une fois à des violences, peut-être pires qu’à Marikana.

Que pouvons nous faire en Suisse pour changer les choses?

Nous avons besoin de la mobilisation de la société civile sud-africaine, mais aussi mondiale. Il faut mettre en place une pression globale sur les entreprises et les gouvernements pour les inciter à bouger. L’Afrique du Sud ne peut pas faire face toute seule aux puissantes multinationales. Ces problèmes sont mondiaux et il faut une réponse mondiale. Nous espérons que les Suisses, en particulier en tant que consommateurs et investisseurs dans l’industrie minière, seront sensibilisés à ces problématiques. La Suisse est une des plus importantes plaques tournantes du commerce de minerai et c’est un pays stratégique dans ce domaine. L’initiative «Pour des multinationales responsables», soutenue par les partenaires de la campagne de Carême, pourrait être d’une grande aide en augmentant significativement la pression sur les entreprises. (cath.ch-apic/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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