Des avocats pakistanais militent pour la peine de mort en cas de «blasphème»

Le «Mouvement pour la défense du Prophète» (Khtam-e-Nubuwwat), un forum d’avocats pakistanais militant pour le maintien des lois anti-blasphème, affirme que quiconque profère un «blasphème» contre l’islam doit en répondre devant la justice.  Dans ce cas, «la seule peine envisageable est la mort», assène Me Ghulam Mustafa Chaudhry.

Cet avocat islamiste est responsable à Lahore d’un groupement qui s’est donné pour mission de veiller à ce que les sinistres lois anti-blasphème soient appliquées dans toute leur rigueur au Pakistan.

«La seule peine envisageable est la mort»

Pour parvenir à leur but, ces avocats veulent utiliser leur expertise du droit et leur influence pour s’assurer que quiconque insulte l’islam ou Mahomet soit mis en examen, jugé et exécuté. Pour rappel, les lois anti-blasphème, qui remontent à la période coloniale, ont été très largement durcies en 1986 par le régime répressif du dictateur Zia ul-Haq (au pouvoir de 1978 à 1988). Elles punissent de la prison à vie toute profanation du Coran et de la peine capitale toute insulte faite à Mahomet.

Dans l’affaire de l’assassinat du gouverneur du Pendjab, Salman Taseer, assassiné en janvier 2011 par son garde du corps pour avoir remis en cause les lois anti-blasphème et pris la défense de la chrétienne Asia Bibi, c’est justement Me Ghulam Mustafa Chaudhry qui avait assuré sa défense.

Pour Me Chaudhry, l’assassin Mumtaz Qadri était «dans son droit»

Cette défense du criminel n’a pas porté ses fruits puisque Mumtaz Qadri a été condamné à mort. La sentence a été exécutée le 29 février dernier et l’enterrement du criminel, le 1er mars à Islamabad, a été l’occasion pour des centaines de milliers d’islamistes de manifester leur soutien à l’assassin qu’ils considèrent comme un héros.

Selon Me Chaudhry, Mumtaz Qadri était dans son droit lorsqu’il a assassiné Salman Taseer, ce dernier ayant commis un blasphème en remettant publiquement en cause les lois anti-blasphème, rapporte «Eglises d’Asie" (EdA), l’agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP).

Pas de débat serein et pacifié sur ces lois assassines

A l’évidence, les tentatives du gouvernement pakistanais pour encadrer l’application des lois anti-blasphème rencontrent de très forts obstacles. En novembre dernier, la Cour suprême du pays a bien statué pour dire que le simple fait de discuter des lois anti-blasphème ne pouvait pas être tenu pour un blasphème en soi. En pratique, cependant, il est impossible pour quiconque au Pakistan de demander un débat serein et pacifié sur cette question.

En janvier dernier, le Conseil pour l’idéologie islamique, une instance officielle au Pakistan, a proposé d’amender ces lois, mais un tel amendement pourrait également aller dans le sens d’un durcissement de cette législation.

Encourager les plaignants à aller en justice

Selon les chiffres de la police, les plaintes pour blasphème enregistrées dans les commissariats pakistanais sont en hausse. Depuis la fondation de «Khatm-e-Nubuwwat» il y a quinze ans, le nombre d’affaires pour blasphème enregistré dans la seule province du Pendjab a triplé. Un sommet a été atteint en 2014, avec 336 affaires.

Ce nombre est redescendu à 210 en 2015 depuis que des dispositions prises au niveau de la province restreignent la procédure encadrant le dépôt de plainte. Toutefois, les avocats du mouvement extrémiste veillent. «S’ils entendent parler d’une plainte, ils viennent voir directement la personne et lui offrent de l’accompagner en justice gratuitement. Parfois, ils arrivent nombreux et encouragent les personnes à porter plainte», confie un policier à l’agence de presse Reuters sous le sceau de l’anonymat, par crainte d’éventuelles représailles.

Selon Ghulam Mustafa Chaudhry, les avocats de son mouvement ont assisté presque tous les plaignants dans des affaires de blasphème au Pendjab. Sans donner d’information sur les sources de financement qui soutiennent son mouvement, il affirme que sa motivation n’est pas pécuniaire.

«Chacun sait que nous sommes un forum qui agit de manière bénévole et désintéressée. C’est pourquoi les gens nous contactent pour nous indiquer où il y a une affaire», précise-t-il. Les avocats du mouvement évaluent la plainte pour savoir s’elle est justifiée ou non, «mais à ce jour, ils n’ont jamais eu de cas où les plaintes ne l’étaient pas».

Plus d’un millier de condamnés à mort pour «blasphème»

Aucun condamné à mort pour blasphème n’a été exécuté par les autorités au Pakistan, mais les couloirs de la mort des prisons pakistanaises se remplissent peu à peu. Sur les quelque 8’000 condamnés à mort qui s’y trouvent, plus d’un millier le seraient pour des affaires de blasphème.

Selon la Commission ›»Justice et Paix» de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, entre 1986 et 2009, 964 personnes ont été condamnées pour blasphème. Parmi eux, on compte 479 musulmans, 119 chrétiens, 340 ahmadis, 14 hindous et dix appartenant à d’autres religions. (*). Parmi eux se trouve la chrétienne Asia Bibi, dont l’accusateur, lors de son procès en première instance et en appel, était assisté par un avocat membre de «Khatm-e-Nubuwwat».

Les exécutions extrajudiciaires sont monnaie courante

Toutefois, si les autorités gouvernementales, qui ont fait procéder à plus de 330 exécutions capitales depuis décembre 2014, se gardent pour l’heure de mettre à mort des condamnés pour blasphème, elles n’ont pas réussi à empêcher les exécutions extrajudiciaires.

Selon le Centre pour la recherche et les études de sécurité, une instance indépendante pakistanaise, au moins 65 personnes ont été lynchées à mort ou assassinées depuis 1990, y compris des juges et des avocats, pour avoir été soupçonnées de blasphème ou pour avoir pris la défense de personnes accusées de blasphème.

Des mesures d’intimidation

Outre ces cas extrêmes, le climat est devenu plus pesant, et des menaces ont été proférées contre des médias ou des journalistes en vue, si ceux-ci s’avisaient de rendre compte des initiatives visant à remettre en cause les lois anti-blasphème ou à encadrer leur application.

Selon Saif ul-Malook, avocat qui a défendu des personnes accusées de blasphème dans des salles d’audience pleines à craquer, en présence d’avocats de la partie adverse qui ne le laissaient pas s’exprimer, «leurs actions se fondent sur l’intimidation».

Ils cherchent à terroriser tout le monde, l’accusé, les juges, les avocats de la défense ainsi que les membres de la famille de l’accusé, poursuit l’avocat.

Faire justice par soi-même

Selon Tahir Sultan Khokhar, secrétaire général de «Khatm-e-Nubuwwat», le mouvement pourrait appeler à la violence. «Si ces lois sont abolies – que Dieu l’empêche ! –, alors évidemment les gens auraient le droit de décider de se faire justice par eux-mêmes, de tuer», n’hésite-t-il pas à affirmer.

Désormais, les avocats favorables à la démocratie (Mouvement des avocats, Mouvement pour la restauration de l’ordre judiciaire, Mouvement des robes noires) semblent être nettement moins visibles que les avocats virulents qui visent à une plus grande islamisation de la société pakistanaise. (cath-ch-apic/eda/be)

 

(*) Selon la Commission «Justice et Paix» de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, sur 1’537 cas de blasphème enregistrés, 41,18 % concernent des musulmans (alors que ces derniers représentent 96,4 % de la population), 32,14 % des ahmadis, 13 % des chrétiens (2 % de la population) et 1,36 % des hindous (1,5 % de la population).

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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