Pramont: Une messe pour «s'échapper»

«Je vous remercie d’être venus. Le Seigneur est content d’avoir été célébré ici», lance le chanoine Gilles Roduit en guise d’envoi, à huit jeunes du Centre éducatif fermé de Pramont (CEP). Ils participaient à la célébration du mercredi des Cendres, animée par Jeff Roux, l’aumônier des prisons, une façon pour eux de s'»échapper» de leur quotidien en priant ensemble.

Le chef de la sécurité de l’établissement supervise l’arrivée des jeunes dans la chapelle. Il remet à Jeff Roux, une clé de la salle et un téléphone en cas d’urgence. Il sort, ferme les portes derrière lui et les verrouille. La messe se déroulera à huis-clos. «C’est toujours un souci de voir une groupe de jeunes ensemble dans la même pièce», explique-t-il. «Mais, ajoute-t-il, nous n’avons jamais eu de problèmes». La messe est un moyen pour eux de s’ «échapper».

Une atmosphère étrange s’est installée dans la chapelle, en réalité une salle nue aux murs blancs comportant une simple croix en bois. Derrière les fenêtres, des murs de béton ajourés dans un design qui renvoie aux années 70, rappellent que l’on est dans un centre fermé. Le silence impressionne. Les gaillards, d’habitude crâneurs, sont tassés sur leur chaise, la tête un peu rentrée dans les épaules.

«Célébrer une messe à Pramont me touche. Je trouve beau que le Christ soit célébré dans des lieux difficiles.

Un fou rire nerveux s’est emparé des jeunes au début de la célébration. L’appréhension sans doute. Le chanoine Gilles Roduit poursuit, imperturbable. Le calme revenu après les premières lectures, Jeff Roux, explique aux garçons le rituel des cendres, la signification du Carême, «ce temps de renouveau» et l’épisode de la vie de Jésus qui s’y rattache. Il leur propose de mettre par écrit un engagement qu’ils essaieront de tenir tout au long de ces quarante jours. «Je procède ainsi chaque à chaque fois. Cela implique les jeunes dans la célébration», explique l’aumônier qui ajoute qu’ils vont au bout de la démarche.

Une homélie en dialogue

Les jeunes pressent le prêtre de questions à l’issue de la lecture de l’Evangile sans attendre l’homélie qui consistera en une explication du Carême. «Qu’est-ce que l’aumône?», demande Kevin, jeune musulman. Les échanges sur le jeûne, la prière et le partage se déroulent spontanément. Les questions fusent. A l’aise, le chanoine répond aux jeunes simplement mais sans condescendance. Il ne fera pas de théologie mais leurs rappelle l’amour inconditionnel de Dieu pour tous les hommes, sans exception. Le dialogue détend l’atmosphère. En témoignent les accolades et les poignées de main chaleureuses au moment où la petite assemblée se donne la Paix du Christ.

«Ceux qui sont baptisés et qui ont fait leur première communion s’avancent s’ils le souhaitent», lance le chanoine Gilles Roduit à l’assemblée réunie autour de la table qui fait office d’autel. Quelques uns parmi les jeunes s’avancent vers le célébrant. Les autres se rassoient. «Je vous remercie d’être venus. Le Seigneur est content d’avoir été célébré ici «, lance le chanoine en guise d’envoi.

Un temps de partage en liberté

«Célébrer une messe à Pramont me touche. Je trouve beau que le Christ soit célébré dans des lieux difficiles. L’évangile est faite pour se donner partout», relève Gilles Roduit après la célébration. Un temps de partage autour de gâteaux et de jus de fruits suit la messe dans une ambiance chaleureuse. Les jeunes profitent d’un moment de liberté où ils peuvent se confier et parler de tout et de rien. Les conversations animées partagées par Jeff Roux, le chanoine Gilles Roduit, Sœur Antonia, Sœur de Saint-Maurice, et Madeleine, une bénévole du groupe Parole en liberté (PEL) font plutôt penser à une fête paroissiale. Il est difficile d’imaginer que ces adolescents et ces jeunes adultes ont commis des actes criminels et que certains d’entre eux sont enfermés pour plusieurs années. Plutôt que de les envoyer en prison, leur juge a opté pour l’exécution d’une mesure qui les aidera peut-être à se réinsérer au terme d’une formation.

Une célébration ouverte à tous

La célébration est ouverte à tous ceux qui le désirent, sur inscription. «Nous ne faisons pas de prosélytisme, chacun est libre», précise Jeff Roux. Les jeunes participent volontiers à la messe. «J’y viens simplement pour être avec mes potes», assume l’un des garçons présents. D’autres participent «pour sortir de leur cellule», comme Scott, ou pour partager un bon moment et surtout voir «d’autres têtes». D’autres sont là pour prier. Ils se disent aussi croyants mais ne parlent pas ouvertement de leur foi, à l’exception de Quentin qui, après un chemin de conversion, s’est fait baptiser il y a deux ans dans ce lieu. «Je viens pour vivre la communion en groupe avec Dieu et pour prier avec les autres. Cela change de la prière vécue seul dans ma cellule», explique-t-il.

Les jeunes catholiques, suivent le rituel et répondent au prêtre. Les athées et le musulman présents, se taisent mais ne perdent rien de la célébration. «Nous accueillons tous les jeunes, qu’ils soient athées ou d’autres confessions, sans chercher à les convertir», précise Jeff Roux. «Ces jeunes ont une grande soif spirituelle», analyse l’aumônier. Les musulmans ne reçoivent pas la visite d’un imam, ils ne peuvent pas vivre de temps spirituel dans leur confession. «Je suis musulman mais je m’intéresse aux autres croyances. Cela ne me pose pas de problème d’assister à la messe des catholiques», assure Kevin.

Jeff Roux qui travaille en étroite collaboration avec Mario Giacomino, diacre protestant, salue l’ouverture du personnel du CEP qui permet ces célébrations et les visites des bénévoles du groupe Parole en Liberté. «Il y a tellement à faire! Avec Mario, nous avons un taux de 50% à consacrer aux visites en prisons», se désole-t-il. L’aumônier regrette de ne pas pouvoir proposer de célébrations dans les prisons de Martigny et de Brigue, faute de locaux adéquats. Il arrive à organiser une messe tous les deux mois qui correspond aux temps forts de la liturgie. «C’est récent, jusqu’à l’année dernière, nous en proposions deux par année». Il y trois ans, l’aumônerie était en sommeil, faute de demandes d’entretien et de visites.

 

Prochain article: Parole en liberté. Des bénévoles rendent visite aux jeunes de Pramont une fois par mois. Ils partagent un goûter, suivi généralement d’un loto, au cours duquel les jeunes échangent librement avec les visiteuses.


Jeff Roux est animateur pastoral pour le secteur des Deux-Rives. Il a repris la charge d’aumônier des prisons de son prédécesseur. «Cette vocation est un cadeau», dit celui qui se partage entre les prisons de Martigny, Crêtelongue, celle des Iles, le centre LMC, la prison administrative LMC et le CEP.

Pramont: Un centre éducatif fermé, pas une prison

Situé à Granges (VS), le Centre éducatif fermé de Pramont (CEP), un établissement pénitentiaire, a été mis en service en 1978. A l’origine une maison d’éducation au travail, l’établissement a été réaménagé en centre de mesures pour mineurs et jeunes adultes. Il accueille, sur décision du juge, des jeunes de 15 à 22 ans placés en vertu du droit pénal pour les mineurs. Les jeunes adultes, jusqu’à 30 ans révolus, y sont envoyés après un jugement prononcé sur la base du code pénal pour les adultes. Ils exécutent une mesure et non une peine.

Plusieurs ateliers permettent à ces jeunes de se former, entre autres aux métiers du bois, de la peinture, de la mécanique, etc.

Ces jeunes qui ont parfois commis des actes très graves, allant jusqu’au meurtre, sont étroitement encadrés et mis à l’épreuve. Ils doivent prouver leur volonté de se former et de se réinsérer. Chacun des 24 jeunes développe des compétences professionnelles et sociales «sur mesure» en fonction de ses capacités. Ils sont libérés sur décision du juge après un avis favorable de l’encadrement qui les estime aptes à se réinsérer dans la société. En entrant à Pramont, ces jeunes ne connaissent donc pas la date de leur sortie. L’objectif principal étant notamment d’éviter la récidive.

D’autres jeunes sont envoyés d’institutions ouvertes dans le cadre d’une mesure disciplinaire. Ils restent à Pramont pour un «recadrage», lors de séjours de courte durée.

Des cellules sont également disponibles pour des mineurs envoyés dans le centre en détention provisoire. Un «court séjour» n’excédant pas cinq jours, pour les besoins de l’enquête. Ils restent en cellule 23 heures par jour, sans aucun lien avec l’extérieur. (cath.ch-apic/bh)

Bernard Hallet

Portail catholique suisse

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