APIC-Dossier
Pour ou contre F. W. de Klerk
Jacques Berset, Agence APIC
Le seul avenir possible pour l’Afrique du Sud, c’est une société sans discrimination raciale, l’entente entre Blancs et Noirs… L’ANC de Nelson
Mandela n’a aucune envie de chasser les Blancs. Il est bien conscient du
fait que l’Afrique du Sud a besoin des Blancs, qui ont des qualifications
pour gérer l’économie. Nous ne voulons pas la situation qu’a connue le Zaïre après l’indépendance. C’est pourquoi, malgré nos réticences – seuls les
Blancs peuvent voter – nous devons dire un oui massif le 17 mars !
Avec sa barbe rousse et sa corpulence de catcheur, Rody Nunez a plutôt
l’air d’un Irlandais. D’ascendance portugaise – ses ancêtres se sont installés en Afrique du Sud en 1876 -, il ne connaît pourtant plus sa langue
maternelle. Sa famille s’était volontairement assimilée aux anglophones,
les colonisateurs britanniques qui ont longtemps contrôlé le pays jusqu’à
l’arrivée au pouvoir des « boers », les Afrikaners du Parti National, qui ont
formellement instauré l’apartheid en 1948.
Aujourd’hui, le responsable de la Commission « Eglise et Travail » de
l’épiscopat catholique sud-africain, s’il n’est pas euphorique, se veut
pourtant optimiste. Même s’il reste des irréductibles dans l’extrême-droite
afrikaner et des nostalgiques de la « théologie de l’apartheid » qui justifie
la discrimination des races à partir de la Bible (à l’aide notamment de
l’épisode de la Tour de Babel, dans la Genèse), l’Afrique du Sud s’apprête
à tourner l’une des plus sombres pages de son histoire. Parce que le maintien du système actuel n’est tout simplement plus viable! En effet, le pays
est économiquement sur les genoux.
APIC:C’est donc la crise économique qui a forcé la population blanche à
remettre en cause la politique d’apartheid ?
RodyNunez:Les sanctions économiques, surtout la raréfaction des crédits
bancaires, ont fait mal : le Parti National du président de Klerk l’avoue
maintenant et, dans sa propagande électorale, il évoque la menace de leur
retour si le non au référendum du 17 mars l’emporte. La sévère crise économique est encore aggravée par les difficultés d’extraction de l’or, qu’il
faut aller chercher à 3’000m de profondeur… On voit bientôt le jour où
cette rente va disparaître. Il faudra donc restructurer l’économie.
Les sanctions internationales ont joué pleinement leur rôle, et c’est
leur effet qui a forcé le gouvernement a négocier avec Nelson Mandela alors
même qu’il était encore en prison, une chose que l’on avoue seulement maintenant. Il ne faut pas oublier non plus les fortes pressions intérieures,
les mouvements sociaux et syndicaux capables de paralyser le pays, les boycotts, les manifestations… Le patronat n’investit plus, par peur de l’insécurité. C’est une minorité chez les Blancs qui est opposée au racisme,
mais les gens savent bien que leur sécurité économique et autre dépend
d’une société multiraciale.
APIC:La Conférence épiscopale catholique, à l’instar d’autres Eglises, affirme que le seul avenir possible est une société démocratique et multiraciale. Les Eglises disent-elles un oui déterminé au référendum ?
RodyNunez:Les catholiques sont officiellement pour le oui au référendum,
comme l’Eglise anglicane de l’archevêque noir Desmond Tutu, Prix Nobel de
la Paix, même s’ils déplorent le caractère raciste de cette consultation
réservée à un peu plus de 3 millions de Blancs. Il y a, sur 38 millions de
Sud-Africains (y compris les bantoustans), quelque 8 % de catholiques, soit
environ 3 millions. Mais ils sont à 80 % Noirs. Les Blancs catholiques votent plutôt pour le Parti Démocratique (libéral/antiapartheid).
Dans certaines provinces, les réfugiés venus s’installer au pays de
l’apartheid après la décolonisation (Belges du Congo, Portugais d’Angola et
du Mozambique, Mauritiens blancs, etc.) sont en général conservateurs. Dans
le passé, ils avaient tendance à soutenir le parti au pouvoir, le Parti National (PN), et l’apartheid. Il faut reconnaître que les catholiques
blancs, dans leur majorité, ont été passifs, à part la minorité engagée et
active dans les structures de l’Eglise. Ils ont fait partie dans le passé
de la majorité silencieuse soutenant le PN et sa politique d’apartheid.
APIC:L’Eglise catholique n’est donc pas homogène face à l’apartheid ?
RodyNunez:Quand l’Eglise s’est prononcée ouvertement pour les sanctions
économiques, une partie des catholiques conservateurs – des anciens colons
réfugiés – ont rejoint les rangs des adeptes de Mgr Lefebvre. D’autres,
d’origine portugaise, sont passés au mouvement catholique ultra-conservateur venu d’Amérique latine, « Tradition, Famille, Propriété ». Des Blancs
ont quitté l’Eglise ou refusent de la soutenir financièrement. La quête de
Carême a baissé sensiblement dans certains diocèses quand les évêques ont
pris position contre la politique d’apartheid et pour les sanctions : « des
grandes familles blanches riches ont voté avec leurs pieds ».
Maintenant, la situation est plus nuancée, car dans le passé, il n’y
avait que l’Eglise qui demandait des réformes et la fin de la discrimination raciale. Si au début, les Eglises connaissaient la discrimination raciale dans leurs écoles, à partir de 1972, certaines d’entre elles ont refusé de pratiquer la ségrégation et ont commencé à intégrer les écoles,
bien que ce fût totalement illégal. L’Etat a menacé de fermer ces écoles
intégrées, et l’Eglise catholique a répondu qu’il valait mieux ne pas avoir
d’écoles du tout que des écoles séparées pour Blancs et Noirs.
Ce sont avant tout les soeurs, les Dominicaines en particulier, qui ont
été pionnières dans ce domaine. Après une enquête réalisée par une religieuse sociologue de l’Université de Harvard, on s’est aperçu que 80 % des
religieuses en Afrique du Sud étaient actives en milieu blanc (20 % des
catholiques), et seulement 20 % du personnel de l’Eglise travaillait pour
la grande majorité. Cela a été un choc pour les religieuses, qui ont décidé
de se consacrer davantage à la population noire et d’intégrer leurs écoles.
Le rôle-clé de la CODESA
Mais depuis un certain temps, il y a d’autres forces dans la population
blanche qui demandent la fin de l’apartheid. C’est ainsi plus facile pour
beaucoup de catholiques d’être pour la transition. Depuis le 20 décembre
dernier, il y a la CODESA, la Conférence pour une Afrique du Sud démocratique – qui rassemble 19 partis et mouvements, sauf le Parti Conservateur du
pasteur A. Treurnicht, pour discuter des modalités constitutionnelles de
l’accession au pouvoir de la majorité noire – qui offre des perspectives
concrètes. Elle se déroule sous le patronage de F. de Klerk et de N. Mandela, chef de l’ANC, le parti le plus représentatif d’Afrique du Sud.
APIC:Le oui va-t-il l’emporter et la ligne politique de F. de Klerk avoir
l’aval d’une majorité de Blancs ?
Rody-Nunez:Le référendum est très important pour l’avenir du pays car,
comme l’ont rappelé les évêques, il faut prouver une fois pour toutes que
le courant d’extrême-droite dans la population blanche est minoritaire et
que ces gens n’ont aucune chance d’être un jour majoritaires. Si nous pouvons faire un score d’au moins 60 % de oui parmi les Blancs – si possible
70 % – cela va être un signe pour la Parti Conservateur, qui est tout de
même un parti constitutionnel.
A la tête de ce parti, il y a un théologien, le pasteur de l’Eglise réformée hollandaise (Nederduitse Gereformeerde Kerk) Andries Treurnicht, qui
va respecter la Constitution et ne pas se lancer dans l’aventure de la lutte armée. S’il est battu à plate couture, il sera forcé d’entrer dans la
CODESA et de participer aux négociations. Dans ce cas, c’est beaucoup mieux
pour nous, car si les conservateurs restent en-dehors, la tentation sera
grande de prendre le chemin de la violence. S’ils sont dans la négociation,
on pourra mieux prendre en compte leurs peurs et leurs soucis. On va savoir
le 18 mars ce qu’ils représentent vraiment au niveau des villes.
Chez les fermiers blancs et dans le secteur agricole, on vote massivement pour le Parti Conservateur. Les circonscriptions rurales se sentent
abandonnées par le président de Klerk et votent conservateur. Les zones rurales sont d’ailleurs favorisées par le système électoral actuel : le même
nombre d’électeurs qui peut élire deux députés en ville, pourra en élire
trois en campagne. Mais pour le référendum, ce sera différent.
APIC:Et la violence qui se déchaîne dans les ghettos noirs ?
RodyNunez:Le gouvernement a les moyens d’arrêter tout de suite la violence qui ensanglante les ghettos noirs d’Afrique du Sud. A l’époque ses forces de sécurité ont été capables d’empêcher le développement de la lutte
armée de l’ANC à l’intérieur du pays. Mais il manque de volonté. C’est que
le président de Klerk n’a pas encore vraiment choisi s’il veut l’alliance
définitive avec l’ANC de Mandela, ou s’il peut jouer par derrière l’Inkatha
du chef zoulou Mangosuthu Buthelezi, en totale perte de vitesse même parmi
les Zoulous, son ethnie.
L’Inkatha, que le gouvernement reconnaît avoir financé clandestinement,
a peur de se faire marginaliser par l’ANC et Buthelezi sait qu’il n’a aucune chance dans une élection démocratique. C’est pourquoi il sème la terreur
avec la complicité des forces de sécurité qui lui procurent des armes et
ferment les yeux sur ses actions militaires et paramilitaires, comme les
attaques de trains entre Soweto et Johannesbourg. Mandela a dénoncé publiquement le président de Klerk – qui en était blême de rage – et l’a traité
de menteur lors de la séance finale de la CODESA, en l’accusant de jouer
double-jeu et de n’avoir pas de morale. Mandela lui a rappelé que c’est son
gouvernement qui détient le pouvoir sur les forces de sécurité pour contrôler la violence. Seul un gouvernement de transition ANC-Parti National
pourra exercer ce contrôle sur l’appareil policier, et si le référendum met
vraiment le Parti Conservateur en minorité absolue, de Klerk sera capable
de faire alliance avec l’ANC pour un gouvernement de transition. JB
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