500 ans après l’expulsion des juifs d’Espagne (120392)
Namur, 12 mars(APIC) L’année 1492 marque la « découverte » de l’Amérique.
Elle marque aussi l’édit ordonnant l’expulsion des juifs du royaume de Castille et d’Aragon. Les Rois catholiques, à la base de ces deux événements,
sont aujourd’hui encore donnés en exemple dans l’histoire que présente de
nombreuses officialités des pays conquis de l’Amérique latine. La mémoire
du peuple juif s’ajoute à celle des peuples latino-américains. Une période
marquée en outre par l’inquisition… Reste qu’il aura fallu 500 ans à
l’Espagne pour se souvenir de l’édit d’expulsion contre les juifs. Le roi
Juan Carlos ayant décidé de l’abroger solennellement cette année, en même
temps qu’il marquera officiellement le 5e centenaire de l’arrivée de Cristophe Colomb en Amérique. D’un navigateur dont des historiens relèvent
pourtant les origines juives.
Le 31 mars 1492, les souverains catholiques Ferdinand et Isabelle promulgèrent un édit ordonnant l’expulsion de tous les juifs de leur royaume
de Castille et d’Aragon avant le 31 juillet de la même année. Une commémoration chrétienne de cet acte s’est récemment déroulée à Namur, à l’initiative de la Commission de pastorale oecuménique du diocèse, qui avait invité
un spécialiste, le Père Dujardin, pour faire le point sur l’épisode historique et ses conséquences.
Supérieur général de la Congrégation religieuse de l’Oratoire, le Père
Jean Dujardin est secrétaire du Comité de l’épiscopat français pour les relations avec le judaïsme, qui a été notamment associé aux négociations sur
le transfert du Carmel D’Auschwitz et aux recherches sur les protections
accordées par les milieux d’Eglise à l’ancien collaborateur des nazis Paul
Touvier.
L’édit d’expulsion, qui marqua une rupture radicale avec les siècles
précédents, fut rédigé par l’inquisiteur Thomas de Torquemada. Il justifiait le bannissement des juifs par souci de la pureté de la foi chrétienne, car les juifs convertis au christianisme continuaient à pratiquer secrètement la religion juive ou y revenaient même publiquement, sous l’influence de leur communauté d’origine.
Les modalités d’exécution de cet édit furent sévères: aucune alternative
à l’expulsion n’était envisagée. Pourquoi une mesure aussi radicale à ce
moment-là? En réalité, explique le Père Dujardin, des juifs de plus en plus
nombreux s’étaient convertis au christianisme parce qu’ils avaient peur:
depuis la fin du XIIIe siècle, une agitation sporadique se manifestait à
leur encontre. En réaction, la sincérité de ces conversions fut mise en
doute. Par ailleurs, la réussite sociale des « convertis » soulevait des
questions et suscitait du ressentiment. On en vint alors à élaborer des
statuts de « pureté de sang » pour distinguer les anciens chrétiens des « convertis », dont la sincérité paraissait suspecte.
L’arme politique de l’inquisition
En 1478, les Rois Catholiques instituèrent la nouvelle inquisition: à la
différence de l’inquisition médiévale, elle échappait désormais au contrôle
épiscopal et était entièrement soumise au pouvoir royal. Son autorité s’imposait à toutes les catégories sociales, y compris à l’épiscopat. Elle devint ainsi un instrument politique au service de l’Etat, tendant à s’ériger
davantage en police de la pensée qu’en police des moeurs. C’est l’inquisition qui arracha aux souverains la décision d’expulser les juifs. L’édit de
1492 s’inscrivait dans un objectif politique global: pour achever la reconquête, il fallait une homogénéité de vue et de religion.
L’édit entraîna l’expulsion d’au moins 75% des membres de la communauté
juive, soit entre 100’000 et 150’000 personnes. Les partants durent vendre
rapidement leurs biens, ce dont profitèrent largement les gens peu scrupuleux. Beaucoup de juifs périrent en route. Les survivants s’installèrent
notament sur le pourtour de la Méditerranée.
« Par zèle religieux »
Selon le Père Dujardin, qui relève que le Moyen Age n’avait pas accepté
un véritable pluralisme religieux, « l’Eglise porte une double part de responsabilité dans l’injustice causée aux juifs. Elle a favorisé et véhiculé
au cours des siècles une image négative des juifs, ce qui a rendu concevable leur expulsion ». L’Eglise, en outre, n’a pas su enrayer la tendance au
totalitarisme durant l’inquisition: « L’hérétique menace l’unité sociale et
l’inquisition exerce une police de la pensée », devait noter à ce propos le
Père Dujardin. En relevant: « S’il est vrai que le pape Sixte IV refusa
d’accorder sa bénédiction au projet d’expulsion des juifs, il ne fut cependant pas capable d’éviter le pire ».
Les circonstances historiques de l’expulsion des juifs d’Espagne atténuent sans doute la responsabilité personnelle des souverains Ferdinand et
Isabelle, mais ne la supprime pas, souligne l’orateur. Dans leur entourage,
tout le monde ne partageait pas leur avis sur la question et rien ne les
obligeait de prendre la mesure qu’ils ont promulguée. Les Rois Catholiques
se sont montrés insensibles. Ils ont agi par zèle religieux, mais les motivations politiques n’étaient pas absentes.
Tirer les leçons de l’histoire
Si l’on ne peut refaire l’histoire, il convient au moins d’en tirer des
leçons, note le Père Dujardin: « La conscience personnelle n’est jamais dispensée de confronter son jugement à l’enseignement biblique et évangélique.
La vérité a des exigences, mais ces exigences n’abolissent jamais celles de
la justice et de la charité. Penser qu’un Etat ou une société a des
intérêts supérieurs à ceux de l’autre, c’est sombrer dans l’idolâtrie. Et
c’est précisément ce que l’on a fait en 1482″.
S’interrogeant sur les mécanismes susceptibles d’entraîner pareille dérive, le Père Dujardin pense que les notions de « péché collectif » et de
« structures de péché » peuvent éclairer ce qui s’est passé entre juifs et
chrétiens. A partir de péchés individuels, une attitude collective de péché
s’est développée. La responsabilité morale de l’Eglise reste dès lors interrogée. Si beaucoup ont été soulagés d’apprendre la suspension de la procédure en vue d’une éventuelle béatification d’Isabelle la catholique, le
fait même d’avoir pu y penser continue de poser question. L’Eglise a, en
effet, partagé l’idolâtrie de l’Espagne, observe le Père Dujardin. Il estime que « le moment est venu pour l’Eglise de poser un acte de repentance envers les juifs »: non par nostalgie, mais par conscience d’une solidarité,
par souci de réajuster un rapport avec l’histoire afin de bâtir l’avenir de
manière responsable. (apic/cip/pr)
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