La Pentecôte, l’Anti-Babel: la communion dans la diversité

La Pentecôte, c’est l’Anti-Babel. Faute de se comprendre, les hommes s’étaient dispersés à travers toute la terre. Mais, à la Pentecôte, les apôtres s’adressant à chacun dans sa langue annoncent un nouvel élan d’unité pour l’humanité. Comme l’explique François-Xavier Ahmerdt, professeur de théologie pastorale, pédagogie religieuse et homilétique à l’Université de Fribourg, «à l’unification forcée qui débouche sur la division, succède l’unité comme un cadeau qui rend fructueuses les différences».

La Pentecôte commémore le don du Saint-Esprit aux apôtres, le cinquantième jour après Pâques. Son nom vient ainsi de ›Pentekoste’ qui signifie ›cinquantième’ en grec ancien. Mort pour le Salut du monde, le Vendredi Saint, ressuscité le jour de Pâques et parti rejoindre le Père à l’Ascension, le Christ envoie aux hommes son Esprit à la Pentecôte. Cette fête est le couronnement du temps pascal, qui dure sept semaines.

La Pentecôte est célébrée 50 jours, mais surtout sept semaines après Pâques. Quelle est la portée du chiffre sept dans la Bible, de quoi est-il symbolique?

François-Xavier Amherdt: Avec la fête de la Pentecôte, s’achève le temps pascal, inauguré à l’aube de la Résurrection. Ou plutôt, il «s’accomplit», au sens d’une plénitude, car le terme Pentecôte fait jouer un redoublement du nombre sept: cinquante, c’est sept semaines, plus un, le chiffre de l’unicité divine. Or, comme l’indiquent les sept jours de la semaine, les sept dons de l’Esprit, les sept branches du chandelier, (les sept péchés capitaux), les sept couleurs de l’arc-en-ciel, ce chiffre désigne la perfection, car il est la somme de trois, le nombre trinitaire, et de quatre, le symbole de la totalité humaine, comme les quatre points cardinaux.

Nous retrouvons trois et quatre, mais cette fois-ci dans une autre combinaison, avec douze qui désigne également une plénitude: les douze tribus d’Israël et les douze apôtres, colonnes du peuple nouveau. A travers cette accumulation de nombres manifestant la totalité, nous sentons bien qu’avec l’événement de la Pentecôte, par la présence des apôtres dans la ville sainte de Jérusalem, au milieu de représentants venus des douze nations connues de l’époque (selon le texte des Actes), nous vivons quelque chose de plénier et de décisif, dont toute la suite de l’histoire du Salut dépend.

Le récit des Actes de Apôtres parle de vent et de feu. Ces éléments se retrouvent-ils dans la Bible? Que symbolisent-ils?

FXA: L’Ecriture désigne l’Esprit Saint, troisième personne de la Trinité, respiration d’amour entre le Père aimant et le Fils aimé, par la puissance de son action. Le vent et le feu constituent des réalités dynamiques, qui saisissent l’œuvre divine dans son impact sur le monde et sur les hommes. Le grec ›pneuma’ «vent – esprit», (neutre), qui donne en latin spiritus (masculin), se dit en hébreu ruah (féminin). C’est beau de voir qu’il y en a donc pour tous les sexes ou les genres, dans les trois grandes langues bibliques. L’Esprit-souffle se donne à tous les êtres.

Sans former encore une personne distincte comme dans le Nouveau Testament, le vent de Dieu exprime dès le début de la Bible son impulsion créatrice, lorsque l’esprit plane sur les eaux de l’abîme, avant que n’advienne la parole qui sépare et met en place progressivement les éléments (Genèse 1). Et dans le deuxième récit de la Genèse (chapitre 2), l’être humain est constitué à la fois de la terre meuble d’où il est issu, «Adam», et du souffle même du Seigneur qui le rend vivant, «Eve» veut dire «la vivante».

Quant au feu, il peut être ambivalent. Au brasier qui détruit s’opposent les flammes du buisson ardent, qui brûle sans se consumer, et qui révèle à Moïse la présence palpitante, mystérieuse et insaisissable de celui qui se dévoile à lui comme «Je suis qui je suis» (Exode 3,1-15).

Il peut s’agir également d’un feu intérieur, comme celui du «cœur brûlant» des disciples d’Emmaüs, lorsque Jésus ressuscité les rejoint incognito sur la route et leur explique dans la Parole tout ce qui le concerne, sans que pourtant ils ne parviennent à le reconnaître.

Au jour de la Pentecôte, les langues de feu descendent du ciel pour reposer ici-bas sur la tête et dans l’âme des apôtres. Ils deviennent ainsi investis du feu céleste et ils n’auront de cesse de communiquer à d’autres le «pouvoir» reçu de Dieu par le Christ, qu’il leur avait transmis au moment de les quitter et de retourner vers son Père lors de l’Ascension (Matthieu 28,18).

Ainsi, ce sont tous les baptisés qui deviennent investis de cette belle tâche d’être «la lumière du monde», pour faire briller aux yeux de l’univers la gloire du Seigneur, par le témoignage de leur vie et de leur parole (Matthieu 5,13-16).

Pourquoi l’Esprit saint fait-il parler les apôtres en langues étrangères? Qu’est ce que cela dit de l’Eglise naissante?

FXA: Pentecôte, c’est l’Anti-Babel par excellence. Dans le premier livre de la Bible (Genèse 11,1-9), les hommes se liguent entre eux en un projet totalitaire pour pénétrer dans les cieux, en bâtissant une tour susceptible de les rendre comme des dieux. Résultat: ils se dispersent à travers la terre sans plus se comprendre les uns les autres. Au contraire, à la Pentecôte, le feu vient d’en-haut, il repose sur chacun des apôtres en particulier. Ce don divin les rend capables de parler chacune des langues des nations présentes dans la cité de la paix pour la fête juive, de sorte que tous les comprennent dans la diversité des idiomes. Ainsi, l’unique langue de l’amour se traduit dans la multitude des langues des peuples. Tous se comprennent et se complètent, la diversité se rassemble en une seule harmonie venue de Dieu.

A l’unification forcée qui débouche sur la division, succède l’unité comme un cadeau qui rend fructueuses les différences. Quelle magnifique parabole pour l’Eglise, aujourd’hui encore: réaliser sa «catholicité – universalité» dans la communion de la diversité, inculturer l’unique Bonne Nouvelle dans la pluralité des cultures et des langages!

La Pentecôte tire son origine de la fête juive de Chavouot, qui célèbre le don des Tables de la Loi aux hommes. Quelle signification le christianisme en a-t-elle donné?

FXA: Comme pour toutes les grandes fêtes de l’année liturgique, la signification chrétienne prolonge et accomplit le sens premier qu’elles revêtent dans l’Ancienne Alliance. De même que la célébration de «Chavouot» fête le don de la Loi à Moïse sur le Sinaï, cinquante jours après la sortie de la captivité d’Egypte (le passage de la Pâque), de même la Pentecôte chrétienne correspond au cadeau de la Loi Nouvelle, l’Esprit Saint, désormais non plus écrite sur la pierre, mais dans les cœurs.

C’est l’Esprit du Ressuscité qui est donné en abondance sur toute chair, comme le promettait le prophète Joël (3,1-5). Il poursuit l’œuvre du Christ retourné vers le Père, maintenant que celui-ci n’est plus visible à nos yeux comme il l’était pour les disciples. La Pentecôte accomplit ainsi le «passage» définitif de la mort à la vie. Elle forme avec Pâques un diptyque indissociable, comme les deux faces d’une même pièce. Cela se retrouve dans les sacrements de l’initiation chrétienne: Pâques est au baptême ce que la Pentecôte est à la confirmation. La vie du Ressuscité est offerte au baptisé, et les sept dons de l’Esprit au confirmé, pour que nourri de l’Eucharistie, il témoigne de l’espérance. A la flamme de la bougie baptismale s’ajoute l’onction de la confirmation, pour que le cadeau divin s’inscrive dans nos corps et transforme nos êtres.

 


Pour la Pentecôte, des traditions de feu et d’eau

Dans de nombreuses traditions et coutumes qui accompagnent ou accompagnaient la fête de la Pentecôte dans le monde, on retrouve le symbolisme du feu, représentant l’Esprit Saint envoyé aux hommes. Durant le Moyen Age, en France, des processions aux cierges étaient fréquemment organisées le jour de la Pentecôte. Dans ce même pays, il était également de coutume de jeter des voûtes des églises des pétales rouges de pivoine, symbolisant les langues de feu qui se posèrent sur les apôtres.

Dans les temps anciens, des feux étaient allumés sur les hauteurs de toute la Norvège, et il fallait veiller la nuit entière pour voir danser le soleil le lendemain matin.

Certaines coutumes mettent également en scène des oiseaux, symbolisant la colombe du Saint-Esprit. En Bretagne, on pratique encore en certains lieux le Pardon aux oiseaux. Lors de cette cérémonie, de petits volatiles sont libérés au-dessus des fidèles. Au Moyen Age, à Paris, on avait l’habitude de faire des lâchers de colombes à l’intérieur des églises.

Une fête du renouvellement

Les célébrations de Pentecôte illustrent aussi très souvent le renouvellement de l’âme, associé au renouvellement de la nature, à la renaissance.

Ainsi, à Chypre, la fête religieuse typique du Kataklysmos, aussi appelée «fête du Déluge», célébrée le lundi de Pentecôte, rend hommage au récit de la Genèse. En symbole de destruction des créatures vivantes et de renaissance, on jette de l’eau tous azimuts dans les villes du bord de mer. Des processions sont organisées sur les ports, mais aussi des concours de natation et des courses de bateaux.

La chevauchée de la Pentecôte à Kötzting, en Bavière, compte parmi les processions à cheval les plus importantes d’Europe. Près de 900 cavaliers en prière traversent la vallée en fleurs du Zellertal pour se rendre à Steinbühl dans leurs costumes traditionnels, chevauchant leur monture décorée.

En Moldavie, la Pentecôte est une des trois fêtes chrétiennes lors desquelles on orne les maisons et les églises de rameaux verts. Le matin, les femmes qui savent les secrets des plantes médicinales se lèvent de très bonne heure, s’endimanchent et vont en cueillir. (apic/rz)

C’est article est la reprise d’un interview réalisée en 2014

 

 

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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