L’Europe chrétienne, la France laïque et l’accueil des migrants : le pape François répond au quotidien La Croix

Une Europe aux racines chrétiennes qui doit cependant se méfier du «triomphalisme», une France des «grands saints» à la «laïcité exagérée» et des migrants que l’on ne peut accueillir «de façon irrationnelle» mais qu’il faut «intégrer»… c’est notamment ce dont parle le pape François dans une interview à paraître le 17 mai 2016 dans le quotidien catholique français La Croix.

Le pape argentin y laisse aussi entendre qu’il ne se rendra pas en France avant les élections présidentielles de mai 2017, bien qu’il ait récemment reçu une invitation du président François Hollande.

Voici quelques-uns des extraits de cette interview réalisée par nos confrères Guillaume Goubert, directeur de La Croix, et Sébastien Maillard, correspondant du quotidien à Rome.

Les racines chrétiennes de l’Europe

«Quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. Jean-PaulII en parlait avec une tonalité tranquille. L’Europe, oui, a des racines chrétiennes».

La France

«La fille aînée de l’Eglise… mais pas la plus fidèle ! (rires) Dans les années 1950, on disait aussi ›France, pays de mission’. En ce sens, elle est une périphérie à évangéliser. Mais il faut être juste avec la France. L’Église y possède une capacité créatrice. La France est aussi une terre de grands saints, de grands penseurs : Jean Guitton, Maurice Blondel, Emmanuel Levinas – qui n’était pas catholique -, Jacques Maritain. Je pense également à la profondeur de la littérature. (…) En somme, voilà ce qui me fascine avec la France. D’un côté, cette laïcité exagérée, l’héritage de la Révolution française et, de l’autre, tant de grand s saints».

Une bonne laïcité

«Un Etat doit être laïque. Les Etats confessionnels finissent mal. Cela va contre l’Histoire. Je crois qu’une laïcité accompagnée d’une solide loi garantissant la liberté religieuse offre un cadre pour aller de l’avant. Nous sommes tous égaux, comme fils de Dieu ou avec notre dignité de personne. Mais chacun doit avoir la liberté d’extérioriser sa propre foi. Si une femme musulmane veut porter le voile, elle doit pouvoir le faire. De même, si un catholique veut porter une croix. On doit pouvoir professer sa foi non pas à côté mais au sein de la culture. La petite critique que j’adresserais à la France à cet égard est d’exagérer la laïcité. Cela provient d’une manière de considérer les religions comme une sous-culture et non comme une culture à part entière. Je crains que cette approche, qui se comprend par l’héritage des Lumières, ne demeure encore. La France devrait faire un pas en avant à ce sujet pour accepter que l’ouverture à la transcendance soit un droit pour tous».

L’accueil des migrants

«On ne peut pas ouvrir grand les portes de façon irrationnelle. Mais la question de fond à se poser est pourquoi il y a tant de migrants aujourd’hui. Quand je suis allé à Lampedusa, il y a trois ans, ce phénomène commençait déjà. Le problème initial, ce sont les guerres au Moyen-Orient et en Afrique et le sous-développement du continent africain, qui provoque la faim. S’il y a des guerres, c’est parce qu’il y a des fabricants d’armes – ce qui peut se justifier pour la défense – et surtout des trafiquants d’armes. S’il y a autant de chômage, c’est à cause du manque d’investissements pouvant procurer du travail, comme l’Afrique en a tant besoin. Cela soulève plus largement la question d’un système économique mondial tombé dans l’idolâtrie de l’argent».

«Le pire accueil est de les ghettoïser alors qu’il faut au contraire les intégrer. À Bruxelles, les terroristes étaient des Belges, enfants de migrants, mais ils venaient d’un ghetto. À Londres, le nouveau maire (ndlr : Sadiq Khan, fils de Pakistanais, musulman) a prêté serment dans une cathédrale et sera sans doute reçu par la reine. Cela montre pour l’Europe l’importance de retrouver sa capacité d’intégrer. Je pense à Grégoire le Grand (ndlr : pape de 590 à 604), qui a négocié avec ceux qu’on appelait les barbares, qui se sont ensuite intégrés».

Un voyage en France?

«J’ai reçu il y a peu une lettre d’invitation du président François Hollande. La conférence épiscopale m’a aussi invité. Je ne sais pas quand aura lieu ce voyage car l’année prochaine est électorale en France et, en général, la pratique du Saint-Siège est de ne pas accomplir un tel déplacement en cette période. L’an dernier, quelques hypothèses ont commencé à être émises en vue d’un tel voyage, comprenant un passage à Paris et dans sa banlieue, à Lourdes et par une ville où aucun pape ne s’est rendu, Marseille par exemple, qui représente une porte ouverte sur le monde». (cath.ch-apic/LaCroix/imedia/pp)

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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