Le premier musée sur l’islam de Suisse à La Chaux-de-Fonds

Un voyage au cœur de quinze siècles de culture islamique: tel est le cheminement que propose le Musée des civilisations de l’islam (Mucivi) de La Chaux-de-Fonds, dont l’ouverture est programmée pour le 27 mai 2016.   Unique en son genre dans notre pays, l’institution occupe sur 400 mètres carrés les deux premiers niveaux d’un imposant immeuble horloger de cinq étages sur le Pod, la rue la plus emblématique de la cité des Montagnes neuchâteloises. Ce bâtiment de style Art nouveau abrite l’Institut culturel musulman de Suisse.  Il a été acquis en 1999 pour 850’000 francs par Nadia Karmous, qui réside au Locle.

Nadia Karmous, Algérienne d’origine d’obédience sunnite, préside l’Association culturelle des femmes musulmanes de Suisse, est l’âme du Mucivi. «Son désir de musée sur l’islam remonte à une quinzaine d’années. Grâce à un travail acharné, auprès de financiers notamment, elle a réussi à réaliser son rêve», révèle Olivier Schinz, artisan du projet muséographique avec les architectes Baptiste Rothen et Sébastien Guenot.

«Nous sommes partis du constat que les civilisations de l’islam étaient méconnues malgré leur influence, comme l’attestent les myriades de découvertes scientifiques. Avec le Mucivi, nous avons redonné voix à cette histoire, tout en soulignant sa richesse, sa diversité derrière les préjugés», confie le muséologue. Le Neuchâtelois précise: «Le musée ne se réclame pas d’une approche encyclopédique. Il ne présente aucun objet d’art. Articulé autour d’idées, il raconte les grandes étapes des civilisations de l’islam du 5e siècle à nos jours. En parallèle, il incite les visiteurs, musulmans et non musulmans, à s’interroger sur cette religion, sur la relation qu’ils entretiennent avec elle et, partant, sur eux-mêmes. Il a aussi vocation à susciter des envies de découverte et à stimuler la réflexion.»

Une subdivision en six chapitres

Ignorance, révélation, interprétation, rayonnement, agonie, réinvention: le parcours comprend six chapitres, qui sont autant de thématiques que l’on explore dans des petites salles en forme de cellule, de chapelle plongées dans l’obscurité ou baignées de lumière.

La visite s’effectue au moyen d’un audioguide en quatre langues (français, allemand, anglais, arabe). Peu de chiffres, de cartes, de textes, de données historiques, aucun nom de dynastie, mais une expérience très sensorielle, impressionniste et esthétique avec des dessins, des bruitages, des sons, des jeux de lumière et de miroir, des atmosphères qui parlent aux sentiments et au cœur.

«Chez les musulmans, la période de l’ignorance est celle qui précède la révélation coranique. Mais plus largement, nous sommes-nous pas tous des ignorants? Ne sommes-nous pas tous dans une posture de quête métaphysique? Et dans la vie quotidienne, ne passe-t-on pas de l’ignorance aux révélations, petites ou grandes», commente Olivier Schinz pour illustrer les passerelles que l’exposition jette entre le religieux et le vécu de chacun. «Ces correspondances ne sont jamais dogmatiques ou marquées du sceau du prosélytisme. Cette orientation équivaudrait à un suicide pour un musée comme le nôtre.»

Le chapitre «Interprétation» évoque la mort du prophète en 632 et le règne des quatre premiers califes surnommés les bien guidés. «Mahomet laisse un texte, le Coran, qui lui a été dicté, il lègue des gestes, des paroles. Il faut dès lors déchiffrer le message qu’il a transmis, d’où la diversité des croyances et des pratiques liées à l’islam», explique le conservateur adjoint du Musée d’ethnographie de Neuchâtel.

L’âge d’or de l’islam

Le rayonnement met l’accent sur l’âge d’or de l’islam, entre le 8e et le 12e siècle. La religion va favoriser le développement des sciences. Géographie,  mathématiques, astrologie, cartographie, médecine, sciences humaines, la civilisation islamique connaît une période faste qui profitera également à l’Occident. «A partir de 1200, la pensée se sclérose, la paresse intellectuelle s’installe, les croyants se divisent: l’agonie submerge les musulmans. L’heure de la réinvention a sonné avec deux principales questions: comment les musulmans vont-ils se projeter dans l’avenir et comment les non-musulmans vont-ils vivre avec les adeptes de cette religion disséminés à travers toute la planète?», indique Olivier Schinz.

S’il demeure très émotionnel et conceptuel dans son approche de l’islam, le Mucivi n’oublie pas l’actualité. «A côté de l’exposition de référence, nous organiserons régulièrement des expos temporaires qui empoigneront des problèmes de société, qui informeront sur des problématiques plus contemporaines», promet l’anthropologue.

Budget de quatre millions

Sur le plan des finances, le musée a pu compter sur un budget de quatre millions de francs, deux millions pour l’architecture et deux millions pour la scénographie et la préparation du contenu. «Les bailleurs de fonds sont des donateurs privés, des femmes musulmanes originaires du golfe Persique, Koweït notamment, qui ont une relation privilégiée avec la Suisse, puisque certaines d’entre elles y ont vécu. Et il s’agit de dons privés sans contrepartie et non étatiques. C’était une condition  posée par Nadia Karmous», insiste Olivier Schinz.

Pour assurer la pérennité du musée, l’Institut culturel musulman de Suisse a racheté des parcelles de terrain situées derrière l’institution. Il envisage d’y construire pour 22 millions de francs des immeubles d’habitation avec 57 logements comprenant des surfaces commerciales, un espace de prière, ainsi qu’une piscine privée ouverte alternativement aux femmes et aux hommes musulmans. «Nous recherchons des investisseurs», lâche l’anthropologue.


L’UDC allume la polémique

Soutenu par les autorités communales chaux-de-fonnières, le Musée des civilisations de l’islam (Mucivi) inquiète certains représentants de l’UDC dans le canton de Neuchâtel. « Je n’a rien contre l’ouverture du musée en tant  que tel, mais je souhaiterais que l’on fasse la lumière sur la provenance des fonds qui ont permis sa réalisation. En clair, les dons privés ont-ils été déclarés au fisc?», lance Walter Willener. Le chef du groupe UDC au Grand Conseil neuchâtelois agite l’épouvantail du communautarisme et du salafisme: «Le complexe immobilier prévu près du Mucivi comprendra un espace de prière et une piscine réservée aux musulmans. Sachant que Nadia Karmous, à l’origine du musée, est proche des Frères musulmans, je crains que ces lieux ne deviennent un repaire d’intégristes. Je tire la sonnette d’alarme face à l’angélisme de l’Etat: il faudra surveiller cet endroit au risque de voir La Chaux-de-Fonds se transformer en Molenbeek de la Suisse!»

Hafid Ouardiri balaie ces craintes. «A ma connaissance, Nadia Karmous n’a aucun lien avec les Frères musulmans. Elle est profondément citoyenne, profondément pratiquante et vit l’islam de manière paisible. C’est une tactique connue, l’UDC  monte les gens les uns contre les autres et fabrique de la peur», argumente le directeur de la Fondation pour l’entre-connaissance à Genève.

Quant au Mucivi, l’ancien porte-parole de la mosquée de Genève le considère comme une excellente idée. «L’institution répond à un besoin urgent à une époque où l’ignorance devient handicapante. Elle permettra d’acquérir les connaissances nécessaires sur le rôle et les valeurs de la civilisation de l’islam et d’éviter ainsi les regards suspicieux et négatifs. Elle constitue un plus pour la Suisse. Et n’oublions pas qu’un musée n’est pas seulement le lieu du passé, mais également celui de la réflexion pour le présent et le futur», souligne Hafid Ouardiri. (cath.ch-apic/eda/mp)

Maurice Page

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