36 aumôniers militaires en formation à Montana

APIC – Reportage

Aumônier militaire aujourd’hui, pourquoi, comment?

Maurice Page/Agence APIC

Montana, 19mai(APIC) L’école d’aumôniers militaires de Montana compte

cette année 36 candidats, prêtres, pasteurs et assistants pastoraux. Parmi

eux sept romands dont deux valaisans, Olivier et Gilles Roduit de l’Abbaye

de St-Maurice. Les candidats aumôniers ne sont pas de farouches

militaristes. S’ils sont là pour trois semaines jusqu’a fin mai, c’est parce que l’enjeu pour eux est de pouvoir rencontrer les gens là où ils se

trouvent. Et l’armée reste un lieu de passage « obligé » de la majorité de la

jeunesse masculine de Suisse.

Ces « recrues » d’un genre particulier, l’agence APIC les a rencontrés

dans le cadre de la Maison du Général Guisan à Montana. Ne seraient-ce les

bus VW gris-verts parqués à l’entrée, l’endroit et les bâtiments n’auraient

rien d’une caserne. Ils ont gardé le caractère typique du sanatorium de

l’armée qu’ils furent autrefois. Pas de garde pour arrêter le visiteur.

Après l’apéritif, avec les officiels et les représentants des Eglises, le

repas précédé d’une prière chantée en canon est servi au refectoire en canon. Bonne cuisine, comme les militaires savent aussi en faire.

La rencontre avec les 7 « élèves » de la classe romande a lieu dans la

maison du soldat, traditionnelle baraque en planches plantée au milieu des

grands arbres du parc. La discussion va bon train autour d’un café, sous le

regard placide du général Guisan suspendu dans son cadre de verre, à la paroi de la salle. Sous le reagrd attentif aussi de l’abbé Jean-Paul de Sury,

aumônier chef de service et chef de classe.

APIC: comment avez-vous été recruté?

Olivier Roduit, chanoine de St-Maurice: « Le prieur de l’Abbaye est lui-même

aumônier chef de service. Il nous a suggéré d’aller l’aider à remplir les

trous. J’avais été moi-même exempté du service il y a 13 ans à l’époque de

mon ordination. »

Pierre Bader, pasteur à Chavornay: « Pour moi, le schéma est le même que

pour mes confrères catholiques. C’est mon maître de stage, lui-même aumônier chef de service qui m’a posé la question. »

Sandro Agustoni, assistant pastoral marié à Neuchâtel: « Ma situation est

différente. N’étant ni pasteur, ni prêtre, je suis astreint au service.

J’ai donc fait moi-même une demande au vicaire épiscopal pour passer à

l’aumônerie de l’armée. »

APIC: Au delà d’un appel personnel, quelle a été votre motivation fondamentale?

OR: « La motivation est pastorale, non pas militaire. Dans le ministère habituel en paroisse, nous rencontrons surtout les enfants, les mamans, les

malades et les personnes âgées. Nous ne voyons que rarement les jeunes

adultes si ce n’est pour un mariage ou un baptême. A l’armée, nous n’avons

que cette « clientèle » qui, de plus, est placée dans un conditionnement psychologique particulier. Pendant toute l’année, les gens serrent les dents,

ils ne disent rien de leurs problèmes. A l’armée, ils s’expriment plus librement et font parfois même des bêtises. »

SA: « Pour moi, l’enjeu est de pouvoir rencontrer les gens qui sont réunis.

Cela passe avant tous les problèmes qui peuvent se poser. »

APIC: L’armée est aujourd’hui souvent remise en cause. Tant par l’initiative pour la suppression de l’armée que par l’initiative contre les FA 18.

Comment vous situez-vous face à ces questions?

PB: « Le divisionnaire Husi, chef de l’adjudance générale, nous a laissé entendre que la défense de l’armée n’est pas notre job. »

OR: « Le jour où l’armée est supprimée, nous n’allons pas pleurer sur sa

disparition. »

Gilles Roduit, chanoine de St-Maurice, frère du précédent: « Il existe une

tension entre le côté religieux et le côté militaire. Les deux niveaux tirent chacun de leur côté. L’aumônier doit-il être la bonne ou la mauvaise

conscience de l’armée? On ne peut pas parler de mariage d’amour. En soi,

l’armée est négative, c’est tout de même la preuve de la présence du péché

dans le monde. »

PB: « Moi-même, j’aimerais bien que cela ne soit pas. En ce sens je suis

profondément pacifiste, mais il se trouve que cela n’est pas réalisable.

Donc je fais avec ce qu’il y a. »

SA: « Il n’y a tout de même personne ici qui est membre du Groupe pour une

Suisse sans armée. Je pense que nous devons quand même croire à la nécessité de l’armée. A propos du FA 18, je peux dire aux soldats ma position personnelle. Mais je ne pourrais pas le dire officiellement dans une conférence, par exemple. »

APIC: L’aumônier se veut au service de tous, ne devrait-il renoncer au grade de capitaine?

GR, en riant: « A vrai dire, il n’est pas assez haut. Quand tu discutes avec

un colonel, il te considère quand même comme un inférieur! »

PB: « Nous pourrions effectivement imaginer ne pas avoir de grade, mais

l’institution de l’armée, elle, ne l’envisage pas. »

Le professeur de classe, l’abbé de Sury intervient: « En France, il n’y a

effectivement pas de grade, mais les parements d’aumôniers ressemblent beaucoup à ceux de colonel. En Italie, les aumôniers portent leur grade sur

la soutane. En Allemagne, ils sont en civil, mais cela pose des problèmes

de communication. L’aumônier ne doit pas être ressenti comme un élément

étranger. »

PB: « Les soldats savent très bien que nous sommes des capitaines d’opérette, mais face aux officiers nous avons quand même un grade. Nous sommes

gagnants sur les deux tableaux. »

APIC: Et le port d’une arme?

GR: « Le pistolet est une arme de défense et nous concevons le tir plutôt

sous son aspect sportif ».

APIC: L’école a commencé il y a quelques jours, quelle est l’ambiance?

OR: »Comme nous avons tous fait l’école de recrue, nous connaissons la vie

militaire. Même si je ne sais plus faire le garde-à-vous. »

SA: »Ici, il n’y a personne qui te pousse. Tu fais comme tu vois, c’est

tout. C’est relax. Mais nous devons tout de même respecter précisément

l’ordre du jour ».

PB: »On nous demande de temps en temps de nous comporter en officiers. Nous

devons savoir qu’on ne dit pas « bonjour Monsieur » à un colonel. Mais c’est

plus facile d’être officier que simple soldat ».

Après le café, retour en classe. Là encore, on restera pragmatique. Thème de l’après-midi: le culte en campagne. Le journaliste reste assis quand

la classe se met au garde-à-vous pour l’entrée du chef de classe. Sur les

tables à côté du manuel de l’aumônier, une dizaine de règlements sur le

droit de la guerre, la neutralité, les conventions internationales, la psychiatrie de guerre, les militaires portés disparus, etc. L’exposé et la

discussion, à partir d’un règlement ad hoc, sont le fait de professionnels

qui aiment à rester concrets: choix du type de culte, livres de chant,

choix des lieux, éclairage, chauffage, sonorisation, tenue, et même la prédication qui doit répondre au bon principe « comme une mini-jupe assez long

pour recouvrir le sujet, assez court pour susciter l’intérêt ». Suite et fin

de la journée, du sport et un exercice pratique de culte en campagne.

(apic/mp)

Encadré

L’aumônerie de l’armée en chiffres (190592)

Au 31 décembre 1991, les effectifs de l’aumônerie militaire étaient les

suivants: 321 aumôniers protestants, dont 278 actifs. 235 aumôniers catholiques, dont 199 actifs. Il y a 80 postes vacants du côté protestant, 137

du côté catholique. L’ »armée 95″ nécessitera, à cause de la réduction des

effectifs, une centaine d’aumôniers de moins. La pénurie sera réduite, mais

le problème ne sera pas pour autant résolu.(apic/mp)

Encadré

Comment on devient aumônier militaire

L’école d’aumôniers de Montana, qui a lieu du 11 au 30 mai, compte cette

année 36 participants : 6 romands, 4 Tessinois, 26 alémaniques. Les catholiques sont 21, les protestants 15. 25 sont prêtres ou pasteurs, 2 diacres

catholiques et 9 assistants pastoraux laïcs. L’école a lieu tous les deux

ans. Ces dernières années, elle a toujours eu lieu à Montana, mais cela

n’est pas une règle.

Les critères de recrutement sont précis: il faut que le candidat soit

prêtre ou pasteur ou encore assistant pastoral, c’est-à-dire avec une formation théologique complète. Il faut en plus avoir une charge pastorale et

être mandaté par son Eglise. Sur le plan militaire, il faut avoir fait au

minimum l’école de recrues et physiquement être apte au service. En-dessus

de 40 à 45 ans, on ne recrute plus d’aumôniers. L’aumônier militaire représente à la fois l’institution Eglise et l’institution armée. Aujourd’hui,

ces deux institutions sont remises en question. L’aumônier est une cible.

Sur le plan humain, il doit donc avoir la carrure nécessaire. Les refus de

candidature sont rares, mais ils existent. Les candidats, avant de s’engager, ont la possibilité de faire un stage.

La possibilité pour une femme de devenir aumônier est prévue dans le règlement de 1990, mais jusqu’à présent il n’y en pas encore. Elles seraient

engagées en priorité au service féminin de l’armée et ne pourraient pas

être affectées dans des troupes ayant des missions de combat.

L’instruction spirituelle à l’école d’aumôniers est confiée à des personnes mandatées par les Eglises. Le plan de l’école est discuté entre le

divisionnaire chef de l’adjudance générale, les aumôniers chefs de service

de l’armée et les maîtres de classe. Ce groupe met au point le programme,

choisit les intervenants ou les conférenciers.

L’instruction militaire comporte le tir au pistolet, la lecture de la

carte et la connaissance de l’organisation de l’armée. Il y a aussi l’analyse de la menace militaire par des spécialistes. Il n’y a pas à proprement

parler de formation spécifique concernant la psychologie et la psychiatrie

de guerre, si ce n’est cette année la projection d’un film sur cette réalité lors de la guerre des Malouines.

Chaque matin, un temps de prière de 3/4 d’heure, soit par confession,

soit en commun (au moins 5 fois durant le cours) est prévu au programme. La

méditation et la prière personnelle sont laissées à la libre appréciation

de chacun selon sa spiritualité .

Seules les Eglises nationales peuvent proposer des aumôniers. Le règlement prévoit une minorité de 20% pour pouvoir exiger un aumônier de sa confession. Aucune Eglise minoritaire ne peut donc revendiquer le droit

d’avoir des aumôniers, mais la proposition a été faite. (apic/mp)

Encadré

Armée et oecuménisme

Après les vives tensions religieuses du XIXe siècle, la guerre du Sonderbund et le Kulturkampf, l’aumônerie de l’armée a été un des premiers lieux

de contact et de travail oecuménique. L’armée suisse n’a en effet jamais

connu qu’une seule aumônerie intégrant dans la même structure catholiques

et protestants. Pasteurs et prêtres se sont trouvés obligés d’être ensemble, ils ont noué des liens et ont créé parfois de solides amitiés.

Si le « Règlement de Service » prévoit encore en règle générale une séparation confessionnelle pour les cultes et les activités de l’aumônerie, la

tendance actuelle, due à l’évolution de l’oecuménisme, aux changements de

société et au manque d’aumôniers est inverse. Le plus souvent les activités

sont oecuméniques. Prêtres, pasteurs et assistants pastoraux collaborent à

leur préparation. Face au « public » militaire, les aumôniers catholiques et

protestants doivent absolument être le signe d’une fraternité interconfessionnelle. Dans ce sens, les aumôniers essaient dans le mesure du possible,

lorsqu’ils ont des conférences à la troupe d’y aller deux par deux. Dans le

cas le plus fréquent cependant, l’aumônier soit catholique, soit protestant

sera cependant seul. Clarté et respect sont alors les deux mots d’ordre

donnés aux élèves aumôniers. Aucun aumônier ne doit cacher qu’il est membre

d’une confession particulière, même si ces distinctions sont parfois confuses aux yeux des soldats.

Pour la célébration des cultes militaires on choisira le plus souvent

une forme oecuménique sans Eucharistie ni Sainte Cène. Ceci en plein accord

avec les autorités des Eglises, notamment la dernière instruction de la

Conférence des évêques suisses concernant la célébration d’offices oecuméniques le dimanche. C’est l’occasion unique d’exprimer ce qui unit et non

pas ce qui désunit. Ainsi on évitera les éléments qui pourraient choquer la

sensibilité de l’une ou l’autre des confessions, par exemple les références

directes aux réformateurs ou les prières mariales. Le fait est que certaines expériences oecuméniques tentées dans le cadre de l’armée ont même parfois inquiété les autorités des Eglises, notamment à propos de l’intercommunion, car on se heurte alors à la question des sacrements et des ministères. Mais de mémoire d’aumônier, on ne connaît pas de conflits entre aumôniers catholiques et protestants dans le cadre du service à la troupe.

(apic/mp)

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