Frère Bruno Cadoré: «Le Salut du monde passe par l’amitié que propose Jésus»

Frère Bruno Cadoré, supérieur général de l’Ordre des Prêcheurs (Dominicains), est le quatre-vingt-sixième successeur de saint Dominique à la tête de 6’000 frères, 3’000 moniales, 40’000 religieuses apostoliques et de milliers de laïcs, dans 88 pays.

Bruno Cadoré, votre père est antillais, votre mère est bourguignonne, et vous êtes le frère de milliers de dominicains et de dominicaines. Qu’est-ce qui fait votre identité?

Comment dire? J’ai une certaine expérience du métissage, autrement dit de la rencontre entre l’Évangile et les cultures humaines.

En tant que médecin, est-ce qu’Hippocrate vous a-t-il préparé à suivre saint Dominique?

Très probablement. Toutes les formations pétrissent. La médecine m’a pétri. J’ai beaucoup aimé ce métier qui confronte à la vie, à la mort, à l’espérance, à l’amour, à la capacité de prendre soin de l’autre homme, à la capacité de l’homme à faire confiance à un autre homme pour le soigner. Un adage dit: «Je l’ai soigné, Dieu l’a guéri.» Il y a toujours un mystère qui dépasse le soin. Ça m’a conduit à être intrigué par ce qui est vraiment ma vie.

Qu’est-ce qu’un Ordre de «prêcheurs»?

L’Ordre des Prêcheurs a comme grande mission de servir la conversation que Dieu veut établir avec les hommes afin d’élargir la tente de son amitié avec eux.

Dans votre charge, quelle représentation vous faites-vous du monde actuel?

Le monde est contrasté. Il y a beaucoup de créativité dans ce monde. L’homme est capable de communion. L’être humain est capable de tisser des liens par delà les divisions. Mais trop de gens n’ont pas de voix dans ce monde. Cette majorité d’oubliés, humiliés dont on pense qu’ils sont de tellement peu qu’ils ne comptent pour personne. Or la promesse d’alliance que fait Dieu dans la Parole révélée est précisément impossible sans ceux qui sont sur les marges.

«Nous voulons plonger dans nos racines pour nous élancer vers le futur et porter la tradition avec nous.»

Le monde est un tissu fragile. On rencontre partout, quand on voyage à travers la planète, de ces tissus bigarrés, extrêmement soignés et solides. Ce n’est qu’en regardant l’envers de l’étoffe qu’on se rend compte du travail. Il y a beaucoup de choses à l’envers invisibles à l’endroit. Sans l’envers, cela ne tiendrait pas! Il suffit parfois de trop tirer pour que le tissu se déchire. Le monde est un peu ainsi. Chacun de nous, me semble-t-il, est appelé à reconnaître que la beauté du tissu, c’est son unité, et que son autre beauté, c’est que tous les fils de l’envers sont importants. La communion est importante et toute contribution personnelle à la communion est essentielle.

Face aux fractures qui défigurent le monde, que peuvent les Prêcheurs?

L’amitié et l’espérance. Que dit Jésus? «Je vous appelle ›mes amis’.» Le Salut du monde passe par l’amitié que propose Jésus. Le feu intérieur, pour l’apôtre, n’est pas seulement d’avoir quelque chose à dire ou à apporter, mais ce feu de l’impatience que, de ville en village, le nom de Jésus-Christ devienne le nom d’un frère et d’un ami qui vient vivre familièrement avec tous inspirant à tous la confiance d’aller vers le Père.

Quelles orientations stratégiques voulez-vous donner à un Ordre huit fois centenaire?

Dans la sagesse africaine, un oiseau mythique du nom de Sankofa s’élance vers l’horizon en portant un œuf dans son bec, mais pour s’élancer, il faut qu’il regarde en arrière. Ainsi voulons-nous plonger dans nos racines pour nous élancer vers le futur et porter la tradition avec nous. La première tâche du prêcheur est de se lier avec celles et ceux à qui il est envoyé. Parce qu’il désire que l’Évangile devienne la demeure de tous, il lie son destin à celui de ses interlocuteurs. L’Ordre réorganise ses institutions pour renforcer ce lien intrinsèque entre la vie et la mission. L’accent est également mis sur deux autres voies contemplatives laissées par Dominique: l’étude et la prière.

Huit cents ans plus tard, que reste-t-il d’innovant dans l’intuition fondatrice de saint Dominique?

Je suis convaincu que saint Dominique a passé son temps à regarder dans l’Écriture comment Jésus était prêcheur. Dans son désir d’imiter Jésus, il répète, comme Jésus à ceux qui voudraient le retenir: «J’ai encore beaucoup de villages à aller visiter.»

Propos recueillis par Marta Delsol, extrait du Bulletin du CFRT/Le Jour du Seigneur (N°194, juin-juillet 2016).


Frère Bruno Cadoré est né au Creusot (Bourgogne-Franche-Comté) en 1954. Il est docteur en médecine et spécialiste de bioéthique médicale. Après avoir poursuivi des études dominicaines et passé deux ans à Haïti, il est ordonné prêtre en 1986. Il obtient également un doctorat en théologie morale en 1992 et devient maître de l’Ordre le 5 septembre 2010, après avoir été prieur provincial de la Province dominicaine de France. (cath-ch-apic/ljds/md/gr)

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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