APIC – Reportage
La troisième communauté chrétienne de Suisse
Evelyne Graf, Agence APIC
Une pluie de grains de riz, de pétales de rose et de dragées s’abattent sur
le couple qui « danse » autour de l’autel, dans une sarabande menée par le
prêtre, les témoins de mariage, et les enfants portant des cierges superbement décorés. Le fiancé et la fiancée sont « couronnés » de diadèmes blancs,
reliés par un ruban de soie blanche, symbole du mariage qui vient de se
conclure. Un mariage traditionnel dans une communauté bien peu connue chez
nous, la communauté orthodoxe, qui est pourtant, avec près de 100’000 membres, la troisième Eglise chrétienne de Suisse, après l’Eglise catholique
romaine et l’Eglise évangélique réformée.
Le parfum de rose se mélange à l’encens, qui nimbe l’assemblée tandis
que la chorale chante en grec ancien. C’est la langue liturgique utilisée
dans cette église de Zurich, l’Elisabethenkirche, une église catholique
chrétienne mise à disposition de la communauté grecque-orthodoxe depuis une
trentaine d’année. Le prêtre orthodoxe, Emmanuel Simandirakis, vient d’unir
selon le rite grec-orthodoxe un jeune couple originaire de Macédoine. Le
« couronnement » des mariés est le point culminant de la cérémonie de noces.
Le « oui », les jeunes mariés se l’étaient déjà dit lors des fiançailles.
Quelque 150 personnes sont rassemblées dans l’église et félicitent maintenant les nouveaux mariés. Embrassades, poignées de mains de tous côtés,
c’est la fête. En lieu et place de bijoux ou de cadeaux utiles au ménage,
les amis et la famille accrochent les billets à la robe blanche de la mariée. Epinglées à différentes hauteurs, il y a même des coupures de mille
francs!
Tandis que les derniers parents et amis quittent l’édifice, le Père Simandirakis s’accorde une petite pause pour reprendre son souffle. C’est que
deux enfants vont arriver pour être baptisés… Mais voilà qu’arrive inopinément un « inspecteur ». Jetant un regard critique, il avise les taches de
cire faites par les cierges sur les coussins bruns disposés sur les bancs.
« C’est aussi un aspect de l’oecuménisme dont personne ne parle », lâche-til, visiblement agacé. « Ah, mon ami, nous devons pourtant vivre dans
l’Eglise! », lance le Père Simandirakis, qui me présente le curé Klaus Reinhart, responsable de l’Elisabethenkirche.
Ce dernier ne se laisse pas facilement calmer et me conduit derrière
l’iconostase, dans la sacristie, pour montrer les dégâts faits sur les tapis par la cire des cierges et l’essence d’encens. J’apprendrai plus tard
que la paroisse grecque-orthodoxe donne un montant de 300 francs par mois
pour les frais de nettoyage, l’électricité, le chauffage et les cierges. Le
grand nettoyage, après les cérémonies pascales – qui sont célébrées cette
année une semaine plus tard que chez les autres chrétiens puisque les orthodoxes utilisent encore le calendrier julien – coûte un millier de francs
à la communauté grecque-orthodoxe.
Comme les athlètes de l’Antiquité
Entretemps, le Père Simandirakis est à nouveau en pleine action. Chantant à pleine voix, il plonge trois fois ses mains dans l’eau des fonts
baptismaux en cuivre et bénit l’eau du baptême. Les futurs baptisés, un bébé de trois mois et un enfant de deux ans apeuré qui lance des cris perçants, sont déshabillés. Le prêtre leur enduit tout le corps d’huile d’olive consacrée – comme c’était le cas pour les athlètes de l’Antiquité qui se
préparaient pour la compétition -, car le chrétien est appelé dans sa vie à
mener le bon combat pour et avec le Christ.
Le plus âgé d’abord, du nom de Thodoros, puis le petit Asterios, sont
tour à tour plongés à trois reprises dans l’eau du baptême, au nom du Père,
du Fils et du Saint-Esprit. Les hurlements des enfants arrivent presque à
recouvrir les chants du prêtre et de la chorale. Pour signifier qu’avec le
baptême une vie nouvelle commence, le prêtre leur coupe trois touffes de
cheveux, à la manière d’une tonsure.
On souligne le rôle important des parrains lors du baptême par le fait
que c’est eux, et non pas les parents, qui donnent son nom à l’enfant. La
tradition veut que les enfants reçoivent à leur baptême le nom des grandsparents. A partir du cinquième enfant, ou bien du troisième fils ou de la
troisième fille, les parrains peuvent choisir librement le prénom. En Grèce, où l’Eglise orthodoxe est l’Eglise d’Etat, les enfants ne reçoivent en
général pas leur nom à la naissance, mais seulement au moment du baptême.
La cérémonie de baptême est immédiatement suivie de la confirmation:
avec le saint-chrême, le prêtre signe des croix sur le front et la poitrine
de l’enfant, sur ses mains et sur ses pieds. Ainsi, son appartenance au
Christ est scellée dans l’Esprit Saint, et il devient membre à part entière
de l’Eglise du Christ. Il peut désormais recevoir le sacrement de l’eucharistie.
Un travail de pionnier
Le Père Simandirakis est maintenant naturellement invité au repas de fête, aussi bien de la part de la famille du baptisé que de celle des nouveaux mariés. Il plaisante: « Dans certaines familles, j’ai été photographié
x fois, parce que j’ai déjà baptisé nombre d’entre eux, puis je les ai ensuite mariés, baptisé leurs enfants, enseigné la religion et le grec… ».
Emmanuel Simandirakis dirige depuis 1967 la paroisse grecque-orthodoxe de
Zurich et il y a réalisé un travail de pionnier. Il a poursuivi de façon
décisive le travail commencé par Konstantin Gerzos, un laïc, dans les
années 60.
Au début, les fidèles – des travailleurs immigrés – n’étaient que quelques centaines, ils sont maintenant plusieurs milliers. Aujourd’hui, dans
l’agglomération zurichoise, vivent environ 5’000 Grecs. La fondation d’une
paroisse grecque ne correspondait pas seulement aux besoins spirituels et à
la nécessité de préserver l’identité nationale dans un pays étranger. Jusqu’en 1982, il n’y avait pas de mariage civil en Grèce, ce rôle étant rempli par l’Eglise. Cette relation étroite avec l’Etat puise ses racines dans
l’histoire.
Durant les quatre siècles de domination ottomane, il était interdit aux
Grecs d’avoir leurs propres écoles et églises. Mais les prêtres ont enseigné le grec même la nuit, à l’aide des Saintes Ecritures. Les Turcs ne pouvaient pas empêcher que les prêtres visitent les familles et prêchent partout contre la tyrannie, explique le Père Simandirakis. Le 25 mars 1821,
poursuit-il, c’est sous la conduite de l’évêque de Paleonpatron, dans le
Péloponnèse, qu’a commencé l’insurrection victorieuse contre les Turcs. Aujourd’hui encore, 97 % des Grecs appartiennent à l’Eglise orthodoxe. Le 25
mars est devenu jour de la fête nationale.
Bien intégrés, mais pas assimilés
Les immigrés grecs-orthodoxes en Suisse sont « bien intégrés mais, Dieu
merci, pas assimilés! », relève le prêtre. « Nous reposons sur trois pieds :
la famille, l’Eglise et l’école; nous avons maintenant 33 instituteurs venus de Grèce qui enseignent à nos enfants la religion, l’histoire et la
langue grecque ». Les enfants d’immigrés fréquentent ces cours après l’école
ou les jours de congé.
Depuis 1982, la Suisse est une métropolie, qui dépend du Patriarcat oecuménique de Constantinople, dont le siège est à Istanbul, en Turquie.
L’archevêque actuel, Mgr Damaskinos, réside au Centre orthodoxe de Chambésy
(GE). Il est également secrétaire du Concile panorthodoxe en préparation,
qui rassemble tous les Eglises orthodoxes autonomes et autocéphales, et qui
devrait se dérouler si c’est encore possible avant l’an 2’000.
Outre le Centre orthodoxe et le siège du métropolite à Chambésy, une
église grecque-orthodoxe est établie à Lausanne depuis 80 ans. A Zurich, la
communauté va bientôt faire bâtir une église et un centre paroissial près
de la Limmatplatz. Un projet de dix millions de francs, dont 1,2 million a
déjà été récolté ces dernières années auprès des fidèles.
Pâques orthodoxe chez les Serbes
Entassés, au coude à coude, quelque 1’500 hommes, femmes et enfants de
la communauté serbe-orthodoxe attendent sur les marches menant au Neumünster de Zurich. Soudain le portail s’ouvre et la foule s’engouffre dans
l’église; ils achètent cinq, dix cierges, vénèrent l’icône placée à l’entrée, prennent place, restent debout dans l’allée, bavardent… bien que le
choeur ait déjà commencé à chanter. Ce dimanche 26 avril, jour de la fête
de Pâques orthodoxe, les fidèles sont venus de tous les coins de la Suisse.
Le Père Drasko – c’est ainsi que ses paroissiens dans toute la Suisse
l’appellent familièrement – célèbre la messe de Pâques avec quatre assistants. Dans leurs vêtements liturgiques de brocart rouge et blanc brodés
d’or, ils symbolisent un autre monde, le monde du ciel sur la terre…
Pssst! Les gens deviennent silencieux. Devant l’autel, sur lequel est posé
un bouquet de fleurs aux couleurs nationales serbes – rouge-blanc-bleu les fidèles défilent. Après avoir vénéré une icône représentant le Christ,
ils allument des cierges en souvenir de parents, de membres de la famille
dans le besoin ou de personnes décédées. Ils embrassent les cierges avant
de les planter dans un récipient métallique rempli de sable. L’église est
remplie de chants liturgiques, de la lumière des cierges et de fumées d’encens.
« Catastrophe nationale… »
La langue liturgique utilisée à la messe est le slavon. « Gospodij pomiluij » – « Dieu, aie pitié de nous! » retentit comme une litanie. La liturgie
est une prière profonde, un chant de louange lancinant, un avant-goût de la
communauté éternelle avec Dieu. Finalement, le prêtre lance le tant attendu
« Christ est ressuscité! » « Il est vraiment ressuscité! », répond la foule en
écho, comme elle le fait partout au même moment dans le monde orthodoxe.
Les fidèles vient maintenant communier sous les deux espèces, le pain et le
vin, corps et sang du Christ.
La chorale, sous la direction de Peter Vitovec, chante puissamment la
liturgie solennelle et pluriséculaire. Mais la joie pascale, cette année,
n’est pas entière. Les Serbes présents à la liturgie semblent marqués par
les événements sanglants qui déchirent leur patrie. De l’homélie du Père
Drasko, en serbe, je n’ai pu comprendre que quelques mots : « Catastrophe
nationale… »
Nous pouvons le constater dans une discussion avec le Père Todorovic c’est le nom de famille du Père Drasko -, la guerre en Yougoslavie le préoccupe beaucoup. Il regrette que la presse fasse trop peu la distinction
entre l’armée fédérale yougoslave, les autorités et le peuple serbe. C’est
une catastrophe que la funeste histoire des relations entre Serbes et Croates n’ait pas été remise à jour et retravaillée. A l’instar du Patriarcat
serbe orthodoxe à Belgrade, la communauté serbe orthodoxe de Suisse condamne la violence et la guerre comme instruments politiques, souligne Drasko
Todorovic.
La communauté serbe orthodoxe est la plus nombreuse parmi les communautés orthodoxes vivant en Suisse et compterait plus de 80’000 membres, au
moins quatre fois plus que les vieux-catholiques ou les juifs. A Zurich
seulement, on compte plus de 8’000 serbes orthodoxes, essentiellement des
travailleurs immigrés. La communauté serbe orthodoxe – comme les autres paroisses orthodoxes du reste – n’est pas reconnue de droit public, ce qui
représente un certain nombre de désavantages, comme celui de ne pas pouvoir
percevoir d’impôts ecclésiastiques auprès de ses membres ou des personnes
morales. Elle ne bénéficie pas non plus de subsides de l’Etat et ne peut
pas compter sur l’infrastructure admnistrative chargée des affaires ecclésiastiques.
Les sources de revenus principales de cette communauté établie en Suisse
depuis 22 ans sont les collectes régulières lors des services religieux, la
vente de cierges et les fêtes traditionnelles du printemps et de l’automne.
Cette année justement, à cause de la guerre, la fête du printemps est tombée à l’eau. A la place de cette fête en l’honneur de saint Georges, le
Père Todorovic a célébré une messe pour la paix et les victimes de la guerre. (apic/eg/be)
Encadré
D’autres communautés orthodoxes en Suisse
En Suisse, vivent également d’autres communautés orthodoxes, qui comptent
cependant moins de fidèles. Ce sont les membres de l’Eglise russe orthodoxe, dépendant du Patriarcat de Moscou (1’000 fidèles) ainsi que les fidèles
de l’Eglise russe orthodoxe en exil (qui se sont séparés de l’Eglise-mère
après la Révolution d’Octobre); l’Eglise roumaine orthodoxe (3’500 fidèles)
et l’Eglise orthodoxe roumaine libre de Suisse, qui s’est également séparée
de l’Eglise-mère pour des raisons politiques, etc. Il faut également
compter les membres de la famille des Eglises orthodoxes orientales
anciennes: les coptes orthodoxes (environ 150 familles); les éthiopiens
orthodoxes, les syriens orthodoxes (3’000 fidèles) et l’Eglise arménienne
apostolique (environ 5’000 fidèles) (apic/eg/be)
(Photos de ce reportage disponibles à CIRIC, Lausanne, tél. 021/25 28 29)
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