Pour «l'évêque d’Arabie», le problème n'est pas la force de l'islam...

«Le problème n’est pas la force de l’islam, mais plutôt la faiblesse du christianisme en Europe», estime Mgr Paul Hinder, vicaire apostolique d’Arabie du Sud (AVOSA), basé à Abou Dhabi, dans les Emirats Arabes Unis.

Le capucin de Suisse orientale, originaire du canton de Thurgovie, était de passage en Suisse cet été, notamment pour présenter son livre «Paul Hinder, Als Bischof in Arabien», récemment paru aux éditions allemandes Herder Verlag, à Fribourg-en-Brisgau.

Dans ce livre, qu’il dédie aux quatre Sœurs de Mère Teresa assassinées le 4 mars 2016 à Aden, au Yémen, Mgr Paul Hinder livre ses expériences avec l’islam. Il dirige depuis douze ans un immense vicariat qui couvre, sur une superficie de plus de 3 millions de km², trois pays de la Péninsule arabique: les Emirats Arabes Unis, Oman et le Yémen.

Des églises dépourvues de croix et de cloches

Cet expert de l’islam reconnu au plan international a été ordonné évêque pour le vicariat apostolique d’Arabie dans la cathédrale d’Abou Dhabi, le 30 janvier 2004. Il vit depuis cette date dans une réalité qui n’est pas tous les jours facile. En effet, dans la Péninsule arabique, les chrétiens, qui sont tout de même plusieurs millions, ont intérêt à faire «profil bas».

Les chrétiens font face, pour leurs édifices religieux, à certaines contraintes architecturales et leurs églises sont obligatoirement dépourvues de croix et de cloches. A l’intérieur de l’enceinte de l’église, derrière les murs de la paroisse, les chrétiens des Emirats sont cependant libres de pratiquer et d’organiser de grandes liturgies.

10% de chrétiens dans les Emirats Arabes Unis

Mgr Paul Hinder, interviewé par kath.ch, relève que dans les Emirats Arabes Unis, quelque 85% de la population sont des étrangers. Parmi eux, les chrétiens représentent une importante minorité, soit environ 10% de la population totale. «Les chrétiens ont le même statut que les autres étrangers; nous sommes là pour un temps limité et pour  travailler. Un visa est délivré pour une durée maximale de trois ans et doit être ensuite renouvelé à chaque fois».

Dans les Emirats et à Oman, la liberté religieuse existe, mais avec des restrictions, souligne Mgr Hinder. «On ne peut pas, par exemple, célébrer une messe n’importe où. Le manque d’espace est un problème commun pour nous: dans les Emirats Arabes Unis, il y a huit paroisses pour près d’un million de catholiques. Nous serions parfois très heureux de pouvoir trouver à quelque part un local à louer. Mais ce n’est pas si facile!»

Liberté religieuse avec des restrictions

Les fidèles viennent en effet fréquemment à l’église, qui leur offre aussi un endroit pour se rencontrer entre compatriotes. Une nouvelle église catholique, placée sous le patronage de l’apôtre Paul, a été inaugurée en juin 2015 dans le quartier industriel de Musaffah à Abou Dhabi. Elle a été édifiée sur un terrain offert par les dirigeants des Emirats, cinquante ans après l’inauguration de la cathédrale Saint-Joseph d’Abou Dhabi. Dans les Emirats Arabes Unis, «nous sommes bien accueillis, souligne Mgr Hinder, il y a du respect pour les autorités religieuses non musulmanes!»

Cette nouvelle église a environ 1’400 places. «Nous avons récemment fêté le 1er anniversaire de la consécration de l’église St-Paul: l’église était pleine, et il y avait encore 500 fidèles à l’extérieur», souligne Mgr Paul Hinder.

Des fidèles engagés et très pratiquants

«L’évêque d’Arabie», comme on le surnomme, se réjouit de l’extraordinaire engagement et de la forte pratique religieuse de ses fidèles, qui sont tous des immigrés. «Les évêques des pays d’origine de nos fidèles me disent que les gens sont plus actifs ici que dans leur propre pays. La foi est pour eux comme un peu de leur maison». Il relève que leur séjour en tant que diaspora en pays musulman réactive quelque chose en eux: ils ne seraient peut-être pas si fervents au pays. Ainsi ses paroissiens sont fortement impliqués dans l’instruction religieuse, dans la préparation des cérémonies voire pour ranger les milliers de chaises après une messe dans l’enceinte de l’église.

Mgr Hinder concède que si le statut juridique des chrétiens est restrictif, il ne ressent pas de rejet de la part des autochtones. «Si quelqu’un se comporte de façon inappropriée dans la société, par exemple en distribuant la Bible dans la population ou en cherchant à convertir des musulmans, il est expulsé du pays. Les habitants se sentent en sécurité parce qu’ils savent que les étrangers ne peuvent pas prendre trop de risques. Moi aussi, j’aurais parfois des choses à dire, mais on l’évite, parce qu’on sait ce qui est en jeu…» En pays d’islam, le travail missionnaire a une toute autre signification et tout prosélytisme est interdit. Et quand des évangéliques s’affranchissent de ces règles strictes, cela retombe alors sur les autres chrétiens.

Ne pas oublier les racines chrétiennes de l’Europe

Concernant la présence musulmane de plus en plus forte en Europe, Mgr Hinder estime que la solution n’est pas de combattre l’islam, mais bien, pour les Européens, de se poser la question de leurs racines, dont fait partie une histoire chrétienne vieille de 2’000 ans. «Ce patrimoine n’est pas simplement sculpté dans le granit une fois pour toutes: il peut s’évaporer. C’est ce que je veux dire quand je parle de la faiblesse du christianisme en Europe».

Certes, admet-il, des valeurs séculières comme la solidarité ou la non-violence appartiennent aussi à ces racines, mais peuvent-elles subsister quand la religion qui les a produites n’est plus maintenue? «Vous pouvez laisser un terrain en friche pendant un certain temps. Mais il arrive un moment où une forêt se crée, si vous ne vous en occupez pas. En prendre soin peut signifier, par exemple, que l’on transmet des connaissances sur la Bible et le christianisme».

Non à une société sans religion

Le capucin thurgovien, qui ne veut pas nier le potentiel de violence que l’on trouve dans l’islam – au regard des radicalismes qui se répandent aujourd’hui dans le monde – a à l’esprit un islam positif. Il admet que l’islam, notamment sous cet aspect, a encore du chemin à faire. Le christianisme a également dû le faire dans son histoire. Et comme Mgr Hinder le dit dans son livre, il préfère une société dans laquelle une religion – peu importe laquelle – est vécue avec une connotation positive, plutôt qu’une société sans religion. JB

 


Dans la Péninsule arabique, les chrétiens ont intérêt à faire «profil bas»

Certains, en Europe, pensent que les chrétiens n’ont rien à faire dans la Péninsule arabique: tout le monde là-bas serait obligatoirement de confession musulmane. En réalité, selon diverses estimations, pas moins de 2,5 millions de catholiques – sur trois millions de chrétiens – vivent dans la région. Ce sont tous des immigrés.

L’Eglise, dans la Péninsule arabique, est une Eglise des étrangers, pour les étrangers. C’est  une Eglise de pèlerins dans une réalité où tant la liberté religieuse que la liberté de culte sont limitées. Les millions de travailleurs immigrés venus de partout ont un permis de séjour à durée limitée. Ils sont là uniquement pour travailler, et leur intégration n’est ni désirée ni encouragée.

Des fidèles en constante augmentation

La paroisse de la cathédrale St-Joseph à Abou Dhabi s’adresse à plus de 100’000 catholiques expatriés en provenance du monde entier. Les messes sont dites en cadence en différentes langues, mais la foule est compacte dans la plupart des services. Avec le développement économique de la région, l’Eglise voit une augmentation constante du nombre de ses fidèles, qui sont essentiellement des travailleurs immigrés, la plupart du temps logés loin du centre-ville, entassés dans des camps de travail, loin du luxe et des palaces. Ils ne parlent pas arabe, et dans la vie quotidienne, ils n’ont pas de contact avec la population locale. Ils ne se mélangent pas et les amitiés entre immigrés et autochtones ne sont pas fréquentes.

Les fidèles de l’AVOSA travaillent dans la construction ou les magasins. Quelques-uns ont des magasins ou de petites entreprises, mais dans ce cas, ils doivent avoir un «sponsor», un citoyen émirati ou une entreprise des Emirats, qui doivent généralement posséder 51% des parts. Ces catholiques, qui proviennent principalement des Philippines, d’Inde, du Bangladesh, du Pakistan et du Sri Lanka, sans compter les chrétiens des pays arabes – Libanais, Palestiniens, Irakiens, Syriens ou Egyptiens -, sont d’ordinaire de condition modeste.

L’AVOSA  est juridiquement de rite latin, mais il est aussi responsable des catholiques de rite oriental, comme les syro-malabars et les syro-malankars du Kerala, en Inde, les coptes catholiques, les grecs-catholiques melkites, les maronites, les chaldéens, les arméniens catholiques, les syriaques catholiques. C’est le pape lui-même qui a demandé qu’il y ait une seule juridiction pour tous les chrétiens catholiques dans cette région.

De la Suisse à la Péninsule arabique

Mgr Paul Hinder est né le 22 avril 1942 à Lanterswil-Stehrenberg, dans le canton de Thurgovie. Frère capucin, il a été ordonné prêtre le 4 juillet 1967. Il a été ordonné évêque le 30 janvier 2004, avant d’être nommé vicaire apostolique d’Arabie le 21 mars 2005, succédant à Mgr Giovanni Bernardo Gremoli, également capucin, qui avait démissionné pour raison d’âge. Lors du partage de la Péninsule en deux vicariats, Mgr Hinder est devenu vicaire apostolique d’Arabie du Sud le 31 mai 2011, avec pour siège la cathédrale St-Joseph, à Abou Dhabi.  (cath.ch-apic/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/pour-leveque-darabie-le-probleme-nest-pas-la-force-de-lislam/