Homélie du 14 août 2016 (Lc 12, 49-53)

Chanoine José Mittaz – Hospice du Grand-Saint-Bernard

 

Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous !
[Et avec votre esprit !] Que dit-on, quand on dit cela ? Nous avons entendu dans l’évangile que c’est la division, et non la paix, que le Seigneur est venu amener. Nous avons entendu dans la lettre aux Hébreux que nous n’avons pas encore résisté jusqu’au sang.

Nous avons entendu par le prophète Jérémie que celui qui a une parole inspirée, le prophète Jérémie, est foutu dans une citerne – passez-moi l’expression – et il s’embourbe, il s’enfonce dans la boue. Alors quand nous nous disons « La paix du Seigneur soit avec vous ! », est-ce que nous sommes en train de nous donner un antidouleur ? Ou est-ce que nous cherchons la paix ? Comment répondre à cette question ? Peut-être simplement en découvrant si notre désir de paix traverse l’épreuve, ou contourne l’épreuve ? Nous l’avons entendu, Jésus s’est confié à nous dans l’évangile de ce matin, Il nous dit ses dispositions intérieures, Lui qui nous dira à un moment donné « La paix soit avec vous ! », Il est angoissé !
Il aspire à un feu qui soit allumé. Le feu, d’accord, il réchauffe, mais il brûle aussi !

«La paix : consentement à la traversée de la Passion»

Jésus aspire à ce qu’un baptême soit derrière Lui. Parce que la perspective de ce baptême, elle est rude. Vous pouvez bien entendre que ce baptême, ce ne sont pas les trois gouttes d’eau sur le front de bébé. Ce baptême, dans lequel s’inscrit l’enfant qui est sacramentellement baptisé, c’est de s’engager à vivre un passage, à vivre une Pâques. Quand est-ce que Jésus nous dit, avec cette force d’humanité: « La paix soit avec vous ! » ? Eh bien Il le dit au soir de la Résurrection, quand le combat a été traversé. Il ne nous le dit pas avant. La paix que nous pouvons recevoir implique le consentement à la traversée de la Passion. Parce que la boue de la Passion fait partie, est la matière première de la paix à recevoir.

Misère et cœur : miséricorde qui libère la paix. On croit trop qu’on n’a pas besoin de notre misère et qu’il faut se laver les mains. On en connait un qui s’est lavé les mains à la Passion : c’est Pilate. Il ne faut pas avoir peur d’avoir les mains dans la boue. Celui qui a les mains dans la boue, c’est aussi le potier, qui façonne au travers de qui nous sommes, au travers de ce qui est boueux en nous. La citerne de Jérémie était vide, mais il y avait de la boue au fond. Dans la boue, il y a une ressource. C’est très intéressant, le discernement qu’ont vécu, au temps de Jérémie, ceux qui – avec ce roi Sédécias qui n’a pas beaucoup de discernement mais qui se laisse influencer – mais c’est intéressant de voir ce qui a fait descendre Jérémie au fond de la citerne et qu’est-ce qui l’en a fait remonter. Ce qui l’en a fait descendre, c’est qu’il avait des paroles dérangeantes : « il ne veut pas le bonheur du peuple, il veut son malheur. » On est dans des interprétations, on est dans des jugements, parce qu’on a peur. Et à un moment donné, qu’est-ce qui fait que trente hommes vont se mobiliser pour remonter précieusement avec des cordes Jérémie de la boue de cette citerne ? Tiens, depuis que Jérémie est au fond de la citerne, on a faim ! Voyez que le critère, ici, est beaucoup plus au niveau du ventre. Et beaucoup moins au niveau des idées. Si nous voulons traverser nos combats pour recevoir la paix, il nous faut apprendre à écouter ce qui se vit dans notre ventre. Quand Jésus dit « Je suis angoissé ! », ça n’est pas un concept théologique. C’est ce que nous éprouvons parfois la nuit. Une angoisse qui nous appelle nous aussi à nous laisser hisser, à immerger, comme au troisième jour, mais en ayant connu aussi le mouvement de s’enfoncer dans la boue.

«Reconnaitre cette Présence qui est au cœur de notre misère»

Quand on est au pays de la soif et que les réserves d’eau sont des citernes vides remplies de boue, ce n’est franchement pas le moment où on a envie de regarder dans la citerne, parce que cela nous rappelle encore plus qu’on a soif. Et pourtant, dans cette citerne, il y a Jérémie. Si on va le rechercher, c’est une source nouvelle qui va pouvoir jaillir. Je vous invite à poser le même regard sur les citernes boueuses et vides à l’intérieur de nos histoires, là où on sent qu’on est à sec, épuisé, malmené, là où on a l’impression qu’on s’enfonce. Le Christ nous précède par Sa Passion dans ces lieux-là. Il nous y rejoint.
Aussi, lorsque nous sommes invités à oser regarder en face notre misère, ce n’est pas pour nous embourber, mais c’est pour reconnaitre cette Présence qui est au cœur de notre misère. Autrement dit, il y a des gisements d’espérance dans nos citernes vides et boueuses.

Voilà la parole de miséricorde que je voudrais nous laisser. Il y a des gisements d’espérance, visage de Jérémie dans la Parole de Dieu, visage de Jésus qui est venu apporter un feu. Alors évidemment, ressources et citerne vide, ça ne va pas ensemble. Eh bien oui, il est venu apporter la division. Ça ne va pas ensemble, mais si on les regarde ensemble, il y a un vrai chemin de paix. Et le seul chemin de paix qui puisse nous pacifier, c’est celui qui va nous rejoindre dans toutes les sphères de notre être, du plus charnel au plus spirituel. Osons dans cette Eucharistie poser ce regard d’espérance sur nos citernes vides, boueuses.
Une Présence nous y précède.


20e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques :

Jérémie 38, 4-6.8-10; Psaume 39; Hébreux 12, 1-4; Luc 12, 49-53


 

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