Sénégal: La laïcité du pays au cœur de deux jours de débats

Des enseignants d’université, des hommes politiques, des religieux, des chercheurs, des journalistes,  des juristes, des économistes, membres d’organisations de la société civile, ont fait le point sur la «laïcité au Sénégal», pays où la population est musulmane à plus de 90%, essentiellement d’obédience soufie.

La rencontre, qui s’est tenue en fin de semaine à Dakar, a appelé à promouvoir le dialogue autour de la notion de laïcité, à l’initiative de la «Refondation nationale», une organisation née sur Facebook, en mai 2014. Elle a pour but d’approfondir et de recentrer les débats nationaux autour de questions d’intérêt général.

Pour les participants à la table-ronde, la Constitution du Sénégal reconnait «l’attachement à des valeurs socioculturelles endogènes», mais il y a la nécessité de clarifier la notion de laïcité qui y est inscrite, sans être clairement définie.

Le vivre ensemble à la sénégalaise

«Il y a des éléments d’une solution sénégalaise au vivre ensemble, qui implique le devoir de garantir la liberté d’expression des croyances», ont-ils indiqué, soulignant à ce sujet la nécessité de la neutralité dans le traitement des croyances de toutes les communautés religieuses. Pour la table-ronde de Dakar, «la cohabitation interreligieuse à la sénégalaise, même si elle n’est pas parfaite, est un bon exemple». Il faut néanmoins «socialiser les débats sur la question du vivre-ensemble», renouveler les contenus d’enseignement à l’école, et promouvoir des consensus autour des questions d’ordre religieux.

Serigne Mansour Sy Djamil, leader politique et membre de la famille du Khalife général des  Tidjane, la plus grande confrérie musulmane du pays et de l’Afrique, a déclaré, lors des débats, que «c’est dans une dialectique contradictoire qu’on pourra appréhender la question de la laïcité. La dialectique n’est pas seulement la lutte des contraires, c’est aussi l’unité des contraires!».

«La laïcité commence avec la reconnaissance que l’autre existe!»

«La laïcité commence avec la reconnaissance de cette vérité: l’autre existe!», a-t-il poursuivi. Et d’ajouter que la laïcité n’est pas l’organisation de combats contre les religions  et que la mobilisation de l’énergie spirituelle pourrait être une clé pour le développement du pays où la religion a toujours été au cœur du débat du public. «Le Coran reconnaît à l’individu le droit de ne croire en rien», a-t-il conclu.

De son côté, l’abbé Vivien Nadiack, curé de la paroisse Notre-Dame des Anges de Ouakam, à Dakar, représentant l’Eglise catholique, a relevé que «la laïcité est une collaboration entre tous les cultes et l’Etat, entre toutes les religions et l’Etat». Et de souligner que l’Eglise promeut une défense de la laïcité contre le laïcisme.

Défense de la laïcité contre le laïcisme

Penda Mbow, historienne et enseignante à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), a déploré «une volonté de pouvoir et de domination» religieuses au Sénégal. «Il y a environ 3’000 interventions de l’Etat en faveur de manifestations religieuses dans le pays. Aujourd’hui, l’essentiel des CRD (comités régionaux de développement) présidés par les gouverneurs de régions est consacré aux manifestations religieuses», a-t-elle encore regretté.

«Notre Etat (l’Etat du Sénégal) est accaparé par les logiques maçonniques et par les logiques confrériques. (…). Dans les chaumières se construisent des logiques hégémoniques les unes contre les autres», a dénoncé pour sa part le socio-anthropologue Abdou Ndukur Kacc Ndao.

Pas de religion imposée

Pour le sociologue Malick Ndiaye, enseignant à l’UCAD, «le consensus sénégalais s’est construit à partir du fait qu’on n’impose pas une religion», alors que son collègue historien, Babacar Diop, de la même Université, a estimé  que ce qu’il faut, en matière de laïcité, «c’est respecter, être ouvert vis-à-vis de toutes les sensibilités. Ce qu’on doit combattre, ce sont ces individus et groupes d’individus qui organisent des réunions dites religieuses toute la nuit, empêchant les autres de dormir», a-t-il fustigé, en référence aux chants religieux organisés dans les quartiers de Dakar, par les adeptes de confréries religieuses.

Makhtar Diouf, économiste, s’est montré lui aussi, tout aussi critique à l’égard des hommes politiques du pays. «Au Sénégal, a-t-il condamné, il y a une contradiction entre ce qui est écrit dans la Constitution et la pratique. Quand on voit les hommes politiques aller se prosterner devant les chefs religieux, et ces derniers intervenir régulièrement dans le débat public, on se demande où est la laïcité? C’est la Constitution qui est en porte-en-faux avec la réalité du pays». Makhtar Diouf a rappelé qu’au Sénégal, «les musulmans et les chrétiens n’ont pas attendu la Constitution de 1960 pour vivre en harmonie». (cath.ch-apic/ibc/be)

 

Jacques Berset

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