Encore trop d’enfants au travail en Afrique (150792)
Fribourg, 15 juillet (APIC) Entre 150 et 200 millions d’enfants dans le
monde sont au travail, et une proportion croissante de ces enfants travaillent dans des conditions dangereuses pour leur santé, leur éducation et
leur moralité. « En termes de pourcentages dans les classes d’âge, il y a
davantage d’enfants au travail en Afrique qu’ailleurs et cela va sans doute
très certainement aller en augmentant », estime M. Michel Bonnet, consultant
du BIT, qui a participé récemment à un séminaire sur ce thème organisé à
Dakar (Sénégal) pour l’ensemble des pays d’Afrique francophone.
» Cependant précise M. Bonnet dans une interview à » Regards sur
l’Afrique », les cas de travail très durs, dangereux pour les enfants, sont
moins fréquents en Afrique qu’en Asie, par exemple. Ce qui m’a frappé au
fur et à mesure que je découvrais le continent africain, c’est que la relation familiale est encore très forte, même si elle ne passe pas toujours
par un lien direct entre les parents et l’enfant. Cela passe par des amis,
par un clan, une tribu, par des relations de cousins, mais on sent que la
famille surveille l’enfant de loin, c’est-à-dire qu’au bout d’un an, deux
ans, elle va se demander ce qui se passe; le lien est là et l’enfant en a
conscience ».
D’où vient l’exploitation, le fait que l’enfant ne peut se développer à
cause du travail?
On va lui demander de mener une activité qui dépasse ses forces. Evidemment, c’est lié au fait que la plupart du temps les personnes qui occupent
des enfants sont à la tête de petites entreprises qui éprouvent bien des
difficultés à survivre. Ils font tout ce qu’ils peuvent non pas pour avoir
du profit, mais pour que leur petite entreprise survive, et ils poussent
l’enfant au maximun de ses capacités. Or, pour un enfant, c’est dangereux
parce que si on ne le retient pas dans sa vitalité, il va aller trop loin
et s’abîmer.
Quels types de problèmes un enfant peut-il encourir quand il travaille
au-delà de ses forces?
D’abord des problèmes physiques. Il va avoir une fatigue telle, accumulée jour après jour, qu’au bout de quelques années cela peut être très grave. On peut observer, par exemple des déformations du squelette ou des muscles, ou des altérations du système nerveux. Ensuite il y a tous les dangers liés au travail avec des machines trop hautes pour l’enfant, trop
lourdes, trop dangereuses aussi parce que trop rapides. On emploie également de plus en plus de produits chimiques. Ainsi, dans l’orfèvrerie ou
tous les travaux du métal, au lieu de passer des heures à polir un objet,
une bague par exemple, on va le traiter avec un acide pour aller plus vite.
C’est l’enfant qui va le faire; il ne connaît pas le danger de cet acide et
il peut se blesser. Dans l’agriculture, on utilise de plus en plus d’engrais, de pesticides, d’insecticides auxquels l’enfant n’est pas du tout
préparé et contre lesquels son système de défense ne joue pas. Quand au domaine de l’insertion sociale, l’enfant va s’habituer à se taire, à accepter
les conditions dans lesquelles il doit vivre et, de ce fait, il risque de
ne pas devenir un citoyen actif dans la construction de son pays. A la limite, il risque de devenir un esclave par résignation, parce qu’il sait que
c’est sa condition : il est pauvre, il est analphabète, il ne pourra jamais
s’en tirer.
Tant qu’il y aura la pauvreté, le travail des enfants subsistera?
Oui, cela est clair, tant qu’il y aura un processus de détérioration de
la vie des gens. Or, ce qui marque la pauvreté depuis 1984 ou 1985, au
moins en Afrique francophone, c’est que chaque année ça va plus mal que
l’année précédente, au niveau des familles comme au niveau des pays. Pour
enrayer cette dégradation en quelque sorte pour empêcher l’enfant de couler
avec le bateau, on l’enlève du bateau et on le met au travail en se disant:
« peut-être que là, dans une entreprise, en ville ça ira mieux ». Voilà à
quoi les familles sont acculées.
Comment le BIT lutte-t-il contre le travail des enfants?
Le BIT a le souci des enfants pour deux raisons principales: d’abord
parce que si un enfant est au travail, cela va influencer toute sa carrière, son emploi futur. L’objectif du BIT est d’arriver à élever au maximun
l’âge officiel d’entrée au travail qui est, selon les pays, très différent.
Aujourd’hui on souhaiterait, un travail léger entre 12 et 14 ans, mais jamais en-dessous de 12 ans. Après 14 ans et jusqu’à 18 ans, une grande vigilance vis-à-vis des travaux dangereux. La convention no 138 de l’OIT accepte que les limites d’âge se mettent en place progressivement. En Afrique se
pose un problème particulier: l’âge de l’enfant n’est pas très bien défini;
cela complique l’application des textes, mais ce n’est pas un obstacle insurmontable.
Pensez-vous que, pour essayer de mieux protéger les enfants, l’opinion
publique a un rôle à jouer?
Il est capital. D’abord parce que les parents, les amis, les gens ordinaires peuvent avoir énormement d’influence sur les conditions de travail
concrètes de l’enfant. Il est très facile d’aller voir un employeur, de
discuter avec lui et de lui expliquer que » cela est trop dangereux ». Lorsque l’opinion publique a le souci de quelque chose, les gouvernements en
tiennent compte. Si les opinions publiques en Afrique se faisaient autant
de souci pour le travail des enfants que pour la coupe d’Afrique de football, les gouvernements réagiraient de façon totalement différente.
Et les enfants, c’est important…
Bien évidemment, les enfants d’aujourd’hui sont les citoyens de demain:
ne pas en tenir compte, c’est compromettre l’avenir de toute la société.
(apic/ak)
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