APIC-Interview
Propos recueillis par Bernard Bavaud
Le Sri-Lanka, dans la guerre et dans l’espoir
Un Suisse découvre un pays attachant
Lausanne, 13août(APIC) Pour beaucoup de Suisses, le Sri-Lanka évoque peu
de choses. Probablement un pays d’Asie. Peu savent qu’il s’agit de l’ancienne Ceylan, une île proche de l’Inde. Certains ont vaguement entendu
parler de la longue guerre civile qui s’y déroule. D’autres ont appris que
c’est la patrie des Tamouls, réfugiés en nombre relativement important chez
nous. Renato Haüsler, un suisse de 33 ans, est tombé amoureux de la « perle
de l’Ocean indien ». Depuis trois ans il vit alternativement dans le canton
de Vaud et au Sri-Lanka. Marié à une Sri-lankaise, il nous décrit avec chaleur mais objectivité la situation politique, militaire, sociale et religieuse de cette île d’Asie.
Comme pour le Liban, il y a quelques années ou comme pour la Yougoslavie
aujourd’hui, certains haussent les épaules et disent: « qu’il est difficile
d’y voir clair avec ces rivalités, ces guerres qui n’en finissent pas, ces
tueries réciproques. » Lassitude, indiférence. Contre ces mots qui tuent la
solidarité, APIC-Interview nous aide à comprendre et veut nous dire pourquoi des peuples différents sur une même île, souffrent et espèrent en des
jours meilleurs.
APIC: Comment voyez-vous l’évolution du conflit entre les Tamouls et le
gouvernement ?
Renato: Après plusieurs voyages au Sri-Lanka , attentif aux différents
communiqués de part et d’autre, et en écoutant aussi la population tamoule
ou cinghalaise, je dois dire à l’évidence que la situation militaire s’enlise. Aucune des deux parties qui se font face et s’affrontent par les armes n’arrive à imposer par la force des défaites définitives à l’adversaire. D’un côté, l’armée ski-lankaise n’est pas suffisemment forte et équipée
pour battre la guérilla tamoule et surtout pas assez motivée. « Les Tigres »,
pour leur part n’ont pas suffisemment de force de frappe militaire pour occuper le pays entier. Ils n’en ont d’ailleurs pas l’intention. Selon moi,
ils sont capables de tenir le coup pour défendre leur territoire, mais leur
idéal politique manque de précision. Leur force militaire est évidente et
leurs coups d’éclats sont parfois d’une violence terrible, ce qui entame,
par contre coup, leur crédibilité morale dans la population.
APIC: Pourtant en 1970, au début de l’insurrection, les « Tigres » n’apparaissaient-ils pas comme les garants de l’indépendance tamoule et n’ont-ils
pas eu, à certaines époques, l’appui massif de la population du Nord de
l’île ?
Renato: Il est vrai que la population voyait à travers les « Tigres »,
comme envers les autres mouvements de guérilla, la possibilité que leurs
droits bafoués soient enfin reconnus par l’Etat. Lorsque le gouvernement,
pour rétablir un certain équilibre – autrefois les Tamouls ceylanais sachant mieux tirer profit de la colonisation que leurs compatriotes cinghalais avaient acquis des postes de fonctionnaires importants – a pris des
mesures qui ont amemé rapidement à un déséquilibre inverse, il a fait naître un sentiment de discrimination parmi les Tamouls. En particulier l’impossibilité pour les Tamouls d’origine indienne d’obtenir la nationalité,
le refus d’accorder au tamoul le statut de langue officielle, les critères
raciaux pour l’admission aux Universités à la fonction publique et au secteur privé, le déplacement de populations cinghalaises à l’est, toutes ces
mesures ont crée dans la population tamoule un sentiment de frustration et
de révolte. D’autre part, le vieillissement puis la disparition des leaders
politiques tamouls modérés, l’inefficacité des luttes parlementaires, l’apparent échec des campagnes non-violentes désorientent les jeunes générations qui se lancent dans la lutte armée. Les différents mouvements de guérilla, dont le mouvement principal « Liberation Tigers of Tamil Ealam »
(LTTE), avaient à l’époque un but commun: la création d’un Etat tamoul indépendant.
APIC: Vous parlez à l’imparfait. Le but d’indépendance nationale seraitil abandonné?
Renato: Non, pas officiellement. Mais à mes yeux, les événements dramatiques qui secouent le pays depuis dix ans, font que la lassitude s’installe dans la population. Cependant, tout espoir de régler cette crise profonde n’est pas perdu. Une autonomie au sein d’un systéme fédéral, tel qu’îl
était déjà prôné par les leaders politiques modérés à l’aube de l’indépendance, serait une solution qui permettrait, outre le respect des minorités,
les meilleurs chances possibles de stabilité pour tous les Sri-lankais.
Pour expliquer ce sentiment de lassitude, ou cette aspiration à la paix,
il faudrait raconter tous les moments de la guerre civile, alternant avec
les négociations entreprises entre le gouvernement et la guérilla. Mais raconter aussi la reprise de la guerre, avec son cortège d’atrocités des deux
côtés. Un seul exemple: en juin 1990, le LTTE fait prisonniers des centaines de policiers aux environs de Batticola et certains sont abattus. Récemment dotées d’avions chinois, l’armée gouvernementale bombarde alors les
villes de l’Est et du Nord. Les opérations militaires entraînent un exode
de civils sans précédent. Sur trois millions de Tamouls, un million deux
cent mille cherchent refuge dans les campagnes ou dans la péninsule de
Jaffna. On estime à 250’000 ceux qui ont fui au Tamil Nadu (Sud de l’Inde)
et à 40’000 environ, ceux qui ont cherché refuge en Occident.
Lors d’un de mes voyages à la fin 90, en arrivant à Jaffna, j’avais de
la peine à m’orienter dans la ville défigurée. Certains endroits m’étaient
pourtant familiers. La région du Fort et le centre ville étaient détruits à
40% au moins, certains quartiers complétement déserts. Incapable d’occuper
le terrain, l’armée n’opérait que par voie aérienne, sans cibles militaires
précises, uniquement dans le but d’affecter les populations civiles.
Voilà pourquoi je prétends – ce qui n’est pas propre au seul Sri-Lanka!
– que la poursuite de la guerre ne fait que retarder une solution politique
acceptable – et que la population aspire tellement à la paix.
APIC: Que faites-vous concrètement pour ce pays que vous aimez?
Renato: Etre une voix en Suisse pour essayer d’expliquer un peu ce qui
se passe dans ce pays et pourquoi des réfugiés tamouls sont chez nous. A
travers le groupe « Non-violent Direct Action Group » (NVDGA), relayé en
Suisse par le Mouvement International de la Réconciliation (MIR), j’essaye
aussi soutenir sur place les actions mises en place par la solidarité internationale. Entre novembre et février 1992, j’ai participé , souvent dans
des conditions difficiles à la première étape d’un projet d’atelier pour
handicapés (boulangerie, vannerie, batik, confection de poudre dentaire et
de bâtons d’encens) . Mais aussi continuer le programme de réhabilitation
des réfugiés ou pour maintenir le parrainage de 100 enfants ayant perdu
leurs pères. De petites gouttes dans la mer, mais qui permettent à des
Suisses aussi de se montrer solidaires de ce pays attachant, qui devient
aussi peu à peu mon pays.
J’aime la simplicité et la spontanéité des gens , leur sens de l’accueil. Je me sens des affinités avec ce peuple. Avec eux, je vois aussi la
manifestation de Dieu dans tout qui vit. Raison de plus pour lutter, dans
ma petite mesure, pour ce que les plus anciens perçoivent avec nostalgie:
La possibilité de l’existence d’un pays harmonieux. Comme autrefois, sans
nier les crises latentes qui ont conduit à la guerre d’aujourd’hui, en retrouvant le respect de peuples différents qui ne se feraient plus la guerre. Les religions bouddhiste (70% de la population), hindoue (20%), musulmane (10%), chrétienne (10%) essayent, comme c’est là leur mission, de
trouver des chemins de réconciliation et de paix. Mais comme partout dans
le monde, c’est un chemin lent et difficile. La voie de la non-violence
enseignée par le Gandhi de l’Inde voisine inspire aussi des Ski-lankais.
Pourquoi ne pas espérer qu’ils apporteront aussi leur pierre à la paix civile? Etre un pont entre la Suisse et le Sri-Lanka et dire pourquoi des
gens de ce pays se réfugient chez nous, c’est aussi une petite chance donnée à la tolérance, à la joie de vivre et à la rencontre. Quand je suis làbas, travailler avec ceux recherchent ardemment la paix et la réconciliation. Une façon d’être déjà heureux. (apic/ba)
Encadré
Né à Zürich, APIC-Interview a 33 ans. Depuis trois ans, il habite alternativement le canton de Vaud et le Sri-Lanka, ce qui explique son lien avec
l’île asiatique.
Entre 1988 et 1989, il était veilleur dans un centre d’hébergement pour
requérants d’asile en Suisse romande. Il fait alors la connaissance de nombreux réfugiés tamouls. Des liens d’amitié se tissent rapidement. Fin 1989,
l’un d’entre eux lui parle d’un projet de construction de latrines, dans le
cadre d’un plan d’assainissement, dans un village près de Jaffna. L’idée
germe d’aller sur place. En même temps, en janvier 1990, il rencontre Marianne et Raymond Juillerat, de Marly, membres du Mouvement international de
la Réconciliation (MIR) et responsables depuis 1984 du jumelage avec le
« Non Violent Direct Action Group » (NVDAG) au Sri Lanka. Le couple Juillerat
demande alors à Renato s’il ne pourrait par la même occasion rendre visite
au NVDAG . En mars-avril 1990, un séjour dans l’île lui permet de rendre
visite aux membres du NVDAG et de découvrir leurs nombreux programmes
d’éducation et de développement. Renato fera encore plusieurs voyages au
Sri-Lanka. Mieux il épouse une Sri-lankaise, ce qui lui donne une raison de
plus pour aimer ce pays et pour nous décrire, le plus objectivement possible, la situation politique, militaire, sociale et religieuse de ce pays
d’Asie, peu connu des Suisses, du moins avant que de nombreux réfugiés tamouls en Suisse ne viennent éveiller (quelque peu!) notre curiosité…(apic/ba)
Des photos du Sri-Lanka , spécialement de Jaffna et de ses environs, peuvent être obtenues auprès de Renato Haüsler, Ch. du Noirmont 5, 1004 Lausanne. Tél. 021 / 24 67 86
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