Pour le cardinal Koch, l’unité des chrétiens est une urgence face à la sécularisation

A quelques jours du voyage apostolique du pape François en Suède, du 31 octobre au 1er novembre 2016, pour la commémoration ›luthérano-catholique de la Réforme’, le cardinal suisse Kurt Koch a répondu le 26 octobre 2016 aux questions de l’agence I.MEDIA. Le président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens affirme que «les temps sont mûrs» pour avancer vers l’unité, même si de grands obstacles demeurent.

Pourquoi ce voyage aux accents particuliers, puisqu’il vise à ›commémorer’ la Réforme luthérienne?
Il s’agit de la commémoration du commencement de la Réforme, en 1517, à l’époque où Luther était encore catholique. C’est aussi l’aboutissement de 50 ans de dialogue intensif, puisque les luthériens ont été les premiers, en 1967, avec qui nous avons entrepris des discussions bilatérales. Par ailleurs, 2016 aura été une année très œcuménique pour le pape François. Il y a eu Cuba avec le patriarche Cyrille de Moscou, puis le patriarche de Constantinople, Bartholomée, à Lesbos, la Géorgie, Assise, et enfin la rencontre avec Justin Welby et les anglicans à Rome…

Comment expliquer cette volonté d’avancer urgemment vers l’unité des chrétiens chez le pape François ?
Il y a en fait une grande continuité sur cette question chez les papes, depuis Jean XXIII, Paul VI, jusqu’à Jean Paul II qui avait espéré l’unité pour l’an 2000, et Benoît XVI.

Ensuite, il semble que les temps sont devenus mûrs pour un rapprochement plus important, face aux grands défis que sont la sécularisation, spécialement en Europe – et en France… – la grande crise des réfugiés qui est une crise d’abord européenne, et enfin la grande persécution des chrétiens dans le monde. Ce dernier point était le motif principal de la rencontre à Cuba, de la part du patriarche orthodoxe de Moscou Cyrille. Rappelons que 80% des personnes persécutées dans le monde sont des chrétiens, quelle que soit leur confession.

Le terme retenu pour parler de l’événement est ‘commémoration’. Pourquoi l’avoir choisi plutôt que ‘célébration’?
Dans la récente déclaration commune avec le pasteur Martin Junge, secrétaire général de la Fédération luthérienne mondiale, nous affirmons notre gratitude d’avoir découvert, en 50 ans, beaucoup de points communs dans notre foi, et l’espérance que cet événement portera des fruits dans le chemin vers l’unité.

«Il y a eu un grand changement dans les relations œcuméniques»

Mais par ailleurs, après la division entre catholiques et protestants, des guerres confessionnelles horribles ont transformé l’Europe de ce temps en une mer rouge de sang. Que peut-on dès lors célébrer? Il s’agit plutôt de pénitence et de lamentations. Voilà pourquoi nous parlons d’une ‘commémoration’.

Vous dites aussi dans cette déclaration que «ce qui nous rapproche est plus important que ce qui nous divise». Pouvez-vous préciser ?
La référence en la matière est une autre déclaration commune en 1999 sur la justification. Catholiques et luthériens se sont mis d’accord pour confesser ensemble que ce ne sont pas nos œuvres seules, mais la grâce de Dieu, qui donne le salut.

Vous parlez aussi avec le pasteur Junge des ›dons’ que Luther a apportés. Quels sont-ils?
Au centre de la théologie de Luther, il y a d’abord la centralité de la question de Dieu: comment puis-je recevoir sa miséricorde ? Ensuite, il ne s’agit pas d’un Dieu quelconque, mais du Dieu qui s’est montré en Jésus-Christ: il y a donc un christocentrisme chez Luther. Enfin, pour arriver à rejoindre Dieu, il y a la découverte de l’importance fondamentale de sa Parole. C’est un troisième aspect.

«J’espère que le prochain pas sera une nouvelle déclaration commune sur l’Eglise»

Ce qui nous divise, ce sont les questions morales. Comment cela est-il intégré dans le dialogue?
Cela ne concerne pas que l’Eglise luthérienne, mais il y a eu de fait un grand changement dans les relations œcuméniques: dans les années 80, on disait que ›la foi divise, l’action unit’, aujourd’hui c’est presque l’inverse. Les tensions et différences se situent davantage au niveau éthique, sur les questions bioéthiques (commencement et fin de vie, avortement et euthanasie), et sur celles liées au mariage, à la famille et à la sexualité, avec le leitmotiv du gender. Cela divise les Eglises et il nous faut approfondir ces questions, parce que si les Eglises en Europe ne parviennent pas à se prononcer d’une seule voix sur des questions fondamentales de la vie de l’homme, la voix chrétienne risque de devenir de plus en plus faible en Europe. Il y a une autre question qui préoccupe l’Eglise catholique: la décision de l’Eglise luthérienne d’ordonner des femmes évêques. C’est un nouvel obstacle à la reconnaissance mutuelle des ordinations, car pour l’Eglise catholique, ce n’est pas possible.

Après la Déclaration commune entre luthériens et catholiques de 1999, il y a eu Dominus Iesus en 2000, qui a réaffirmé que l’Eglise du Christ ›subsiste’ dans l’Eglise catholique. Quelle cohérence y a-t-il entre cela et le rapprochement entre confessions chrétiennes?
Avec Dominus Iesus, il y a eu beaucoup de malentendus. Ce document de la Congrégation de la doctrine de la foi affirme que les Eglises nées de la Réforme ne sont pas des Eglises au sens où l’Eglise catholique l’entend. Ce qui ne veut pas dire qu’elles ne sont pas des communautés ecclésiales. C’est donc une invitation à entrer dans un dialogue approfondi sur le concept d’Eglise, et c’est encore un grand obstacle à l’unité.

J’espère donc que le prochain pas sera une nouvelle déclaration commune sur l’Eglise, sur l’eucharistie et les ministères ordonnés. En Finlande et aux Etats-Unis, nous discutons déjà de ces questions. Mais pour l’instant, l’intercommunion n’est pas possible car elle est pour moi le signe d’une communauté ecclésiale déjà constituée. (cath.ch-apic/imedia/ap/rz)

 

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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