Jean Guitton évoque ses contacts avec Paul VI (290388)

Rome, 29 mars (APIC/CIP) « Ainsi me parlait Paul VI »: sous ce titre, l’hebdomadaire catholique italien « Il Sabato », publié par le mouvement « Communione e Liberazione », publie une interview du philosophe français Jean

Guitton, de l’Académie française. Ce dernier a entretenu des relations avec

Paul VI durant 27 années et aborde avec lui, rappelle-t-il, des questions

fondamentales.

Inquiet, pas pessimiste

Le philosophe évoque particulièrement sa dernière rencontre avec le pape

Paul VI. « Un grand désarroi règne actuellement dans le monde et dans

l’Eglise, ou la foi est en jeu, lui déclara le pape. Je me pose aujourd’hui

la question du Christ dans l’Evangile de Luc: « Quand le Fils de l’Homme reviendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre ? » (Lc 18, 8)… Je relis

parfois ce que dit l’Evangile à propos de la fin des temps, et je constate

que les signes de cette fin sont aujourd’hui présents. La fin serait-elle

donc proche? (…) Ce qui me frappe dans le monde catholique, c’est le fait

que semble parfois dominer au sein du catholicisme une mentalité qui n’est

pas catholique. Il est bien possible que celle-ci finisse par l’emporter

définitivement. Pourtant, elle ne sera jamais représentative de l’Eglise.

Il est nécessaire que subsiste un petit troupeau, fût-il infime. »

« Quand Paul VI m’a dit cela, raconte Jean Guitton, j’ignorais que nous

en étions à notre ultime rencontre. Paul VI touchait ici du doigt une

question fondamentale, à savoir l’évangélisation du monde, le sort de la

foi dans l’humanité aujourd’hui et demain. » Une question qui intéresse tout

chrétien, mais plus encore un pape, qui se sent responsable de toute la famille humaine et aux yeux duquel une seul chose compte: la foi en Christ.

« Paul VI était très intelligent et, comme tout homme intelligent, il

n’avait pas peur d’affronter la réalité, poursuit l’académicien français…

Il recherchait la vérité. Et celle qui venait au jour était dure. Pourtant,

Paul VI n’était pas pessimiste. Son espérance prenait le pas sur le pessimisme. C’était une espérance surnaturelle. Il triomphait de son angoisse

grâce à une foi totale. »

Oui au dialogue, mais pas à n’importe quel prix

A propos de la mentalité contemporaine qui inquiètait Paul VI, Jean

Guitton affirme que ce pape, après un Concile qui avait mis en évidence

l’image d’une Eglise de dialogue, estimait opportune la rencontre avec les

non-chrétiens. Et le philosophe d’ajouter : « Il y a de bons et de mauvais

dialogues. Un dialogue est bon quand il rend les non-chrétiens plus proches

de la source de la foi. Paul VI devait pourtant constater que c’est le contraire qui se produisait. Les chrétiens étaient entrés en dialogue avec

deux hommes exceptionnels: Freud et Marx. Et ceux-ci ont dominé la période

post-conciliaire. Freud et Marx ont influencé la mentalité catholique. Paul

VI a pris conscience de ce phénomène, et cela le tracassait. A partir de

1969, il m’a dit: « Jamais une telle confusion n’a régné au sein même de

l’Eglise, sans que l’on s’en rendre compte. » Paul VI qui voyait venir

l’avénement d’une société athée, s’est laisser guider, dans son attitude

face au monde moderne, par Henri de Lubac, qui avait publié en 1946 son

livre « L’humanisme athée ». Henri de Lubac, qui a été créé cardinal par le

pape actuel, avait traité du drame de cette époque: le nouvel humanisme, un

humanisme sans Dieu. »

Paul VI, selon Jean Guitton, a vu ce drame dans sa réalité chez tant

d’hommes qui vivent et aiment les autres en niant Dieu. « Paul VI, ajoute-til, craignait que cet humanisme ne mine le coeur de l’Eglise, mais il continuait à croire au dialogue, mais alors un dialogue qui satisfasse à des

conditions déterminées, ou l’on ne capitule pas sur la question de Dieu, du

pape en tant que vicaire du Christ et successeur de Pierre, et de l’eucharistie, qui est davantage qu’un rite ordinaire. L’essentiel est que l’on

reste prêt à donner sa vie pour tout cela. Ou – pour reprendre ce verset de

Paul que Paul VI aimait beaucoup: « Qui nous séparera de l’amour du Christ »

(Rm 8, 35), un amour qui nous rend plus fort face à la dérive de l’Eglise

et du monde. » (apic/cip/bd)

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