Mgr Mouché à Lausanne: Trop tôt pour les chrétiens de rentrer à Qaraqosh libérée de Daech

«Il est encore trop tôt pour les chrétiens chassés de leurs villages de la Plaine de Ninive de rentrer chez eux. Il faut encore que la ville de Mossoul et toute la région soient totalement débarrassées des djihadistes… Nous avons besoin de garanties de sécurité, d’être protégés par la communauté internationale», tonne Mgr Yohanna Petros Mouché, de passage à Lausanne le 10 novembre 2016.

L’archevêque syro-catholique de Mossoul, de Kirkouk et du Kurdistan irakien a certes pu se rendre dans sa ville saccagée de Qaraqosh, aux portes de Mossoul, où il célébré la messe le dimanche 30 octobre dernier dans une cathédrale de l’Immaculée Conception très endommagée. Les terroristes de Daech n’avaient pas pu la détruire complètement, faute de temps. La ville étant pour le moment sans services publics, sans eau ni électricité, il est toujours réfugié, avec une partie de ses fidèles, à Erbil, au Kurdistan, depuis le 6 août 2014, date à laquelle les djihadistes se sont emparés des villages chrétiens de la Plaine de Ninive.

Les minorités ont besoin de sécurité

Invité par l’association française Fraternité en Irak, jeudi soir 10 novembre, Mgr Mouché a évoqué la «souffrance et l’espérance des chrétiens d’Irak» devant une foule compacte réunie dans la grande salle de la paroisse St-Etienne à Lausanne. Dans son témoignage poignant, il a rappelé le besoin de sécurité de ses fidèles, mais également de toutes les minorités vivant en Irak, notamment celles qui étaient là avant l’arrivée de l’islam.

Dans un français impeccable, appris à l’époque du séminaire auprès des Dominicains de Mossoul, Mgr Mouché confie à cath.ch que son diocèse ne compte plus que 23’000 fidèles en Irak, sur 50’000 avant l’arrivée de Daech. «Ils sont réfugiés au Kurdistan. Ceux qui ont obtenu un visa sont en France, au Canada, certains en Allemagne. Les autres sont réfugiés au Liban, en Jordanie, en Turquie…», souligne l’évêque né en novembre 1943 à Qaraqosh.

Depuis la chute de Saddam, toutes les minorités sont visées par les fanatiques

Mais, rappelle-t-il, les problèmes pour les minorités, notamment pour les chrétiens, ont commencé avec le renversement de Saddam Hussein, qui était certes un tyran, mais qui empêchait les fanatiques d’agir au grand jour. «Sous Saddam, on n’osait pas bouger, mais sa chute a provoqué un grand vide, permettant aux fanatiques de causer des troubles: des prêtres ont été assassinés, des évêques kidnappés, beaucoup de chrétiens ont été tués ou menacés. Nombre d’entre eux ont pris peur, des gens pacifiques qui ne veulent pas avoir de problèmes, et ils ont alors quitté la ville».

Mais l’exode total a commencé, à Mossoul, avec la prise de la ville les 9 et 10 juin 2014 par ce qui était alors l’Etat islamique en Irak et au Levant, devenu l’Etat islamique (EI) ou Daech, selon son acronyme en langue arabe. La majorité des chrétiens ont à ce moment-là cherché refuge dans les villages chrétiens de la Plaine de Ninive.

La «fuite honteuse» des soldats irakiens

Mgr Mouché déplore au passage «la fuite honteuse» des soldats irakiens lors de la prise de Mossoul par les djihadistes de Daech, leur abandonnant toutes leurs armes lourdes, et laissant la population civile sans protection.

«Au début, dans les premiers jours, des chrétiens qui étaient restés ou ceux qui étaient revenus ne se sentaient pas mal. Il n’y avait au début ni voitures piégées ni assassinats. Mais petit à petit Daech a révélé son vrai visage, et a imposé ses lois islamiques. Les chrétiens n’avaient que le choix de se convertir à l’islam, ou de payer une taxe spéciale, la «jizya», dont doivent s’acquitter les non-musulmans, être en fait des esclaves, sinon ils devaient quitter la ville en abandonnant tous leurs biens. En cas de refus, c’est la mort!»

La conversion à l’islam ou la mort

Les djihadistes d’obédience sunnite ont peint sur les maisons des chrétiens la lettre «noun» – qui signifie «Nazaréens», terme utilisé pour désigner les chrétiens – pour faire comprendre aux «infidèles» qu’ils devaient se convertir à l’islam ou s’en aller, sous peine d’être tués.

Les chrétiens réfugiés à Qaraqosh ont été protégés par les peshmergas kurdes. «Leur arrivée nous a rassurés. Massoud Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan, nous a affirmés à plusieurs reprises que nous étions, face à Daech, dans le même bateau».

Fin juin 2014, les peshmergas ont défendu Qaraqosh qui était attaquée. Mgr Mouché a joué le rôle de médiateur pour faire cesser les combats. «Daech disait alors qu’il n’avait rien contre les chrétiens, mais qu’il voulait seulement chasser les Kurdes. Après trois jours, la bataille étant terminée, nos fidèles sont rentrés chez eux. Mais le 6 août, fête de la Transfiguration, Daech a une nouvelle fois attaqué».

Mgr Youhanna Petros Mouché, archevêque syro-catholique de Mossoul, de passage à Lausanne (Photo: Jacques Berset)

Partis sans rien

Il y a eu des morts, trois enfants et une femme, ainsi que des blessés. Les peshmergas ont soudainement quitté la ville, et les habitants ont pris la fuite. «Quelques personnes sont restées, par négligence ou naïveté». La plupart des habitants de cette ville de 50’000 habitants sont partis sans rien, car ils pensaient revenir le lendemain. Mais ils sont partis sur les routes, comme les 120’000 chrétiens de la Plaine de Ninive.

«Nos 12’000 familles sont désormais dispersées dans une soixantaine d’endroits au Kurdistan – à Ankawa (Erbil), Dohouk, Souleimaniye -, à Kirkouk, au Liban, en Jordanie, en Turquie, et au-delà. 2’500 de mes fidèles sont désormais en France. Mais pour eux, souvent, l’émigration est insupportable, ils attendent le retour dans leur foyer, car pour eux, le pays est très cher à leur cœur, surtout pour les habitants de Qaraqosh».

Dans des caravanes, des containers, des bâtiments en construction…

Pour empêcher ses fidèles de se disperser et de conserver une communauté – pour préserver leur foi, leurs coutumes et leur morale, précise-t-il – Mgr Mouché a demandé aux pays d’accueil en Europe et au Canada d’accueillir les réfugiés de façon groupée. «L’attitude des gouvernements a été négative, sous prétexte de ne pas former des ghettos… Pourtant, nous, les chrétiens, ne faisons pas de problèmes, nous sommes positifs, pacifiques, nous n’aimons pas les armes!»

Sur place, l’Eglise continue de célébrer les baptêmes, les mariages, les funérailles.  »Au Kurdistan, nos fidèles vivent dans des caravanes, des containers, des bâtiments en construction, des logements loués. Beaucoup sont sans travail. Nous avons installé des dispensaires, des églises dans des bungalows, des places de sport, des jardins d’enfants, des ateliers, grâce notamment à l’aide d’associations comme Fraternité en Irak, l’Œuvre d’Orient et d’autres sources de financement. Nous accueillons également des musulmans. Les réfugiés parlent arabe, alors que dans les hôpitaux publics, on parle le kurde. Pour certaines opérations, il faut aller dans des cliniques privées, et cela coûte très cher. J’ai épuisé l’argent que j’avais, pour payer des médicaments, des opérations…»

«Nos voisins musulmans ont pillé nos maisons»

Quant au retour tant espéré, il sera difficile: «Nos voisins musulmans ont pillé nos maisons, leur ont mis le feu…» Sur les murs de la ville saccagée de Qaraqosh, Daech a inscrit: «Nous aimons la mort comme vous aimez la vie», en reprenant ce slogan de Ben Laden, souvent repris par les terroristes islamiques. Pas de quoi susciter la confiance, «même si tous les musulmans ne sont pas méchants, certains ont été victimes de Daech, d’autres complices. Il ne faut pas jeter tout le monde dans le même panier, mais distinguer les bons des fanatiques».

Et de mettre en garde les nations occidentales, qui doivent être vigilantes, car parmi le flot des réfugiés pourraient s’infiltrer des terroristes de Daech. Mgr Mouché relève que les fanatiques – et il en existe également chez les chiites – puisent leur idéologie dans le Coran, «qu’on ne peut pas changer, mais qu’on peut expliquer autrement».

«Si on trouve un islam modéré, on pourra vivre ensemble en paix, mais tant qu’il y aura cette mentalité chez les fanatiques, ce ne sera pas possible. Il y a la guerre contre Daech avec les armes, et il y a une autre guerre, idéologique, celle qui doit changer les mentalités, enlever le fanatisme de la tête de ces gens. C’est aux musulmans eux-mêmes d’éradiquer cette idéologie fanatique».

«Ce fanatisme n’a pas toujours existé»

L’évêque irakien rappelle que ce fanatisme n’a pas toujours existé. Enfant, il vivait dans un village musulman, et c’étaient des jeunes musulmanes qui le berçaient. «Je mangeais dans la maison des musulmans, il y avait de la confiance entre les gens. C’est cela qu’il faut regagner. On a vécu ensemble pendant des siècles, en paix, et ils se sont retournés contre nous en quelques instants !»

Mgr Mouché estime qu’il y a quelque chose qui reste dans le fond de gens peu cultivés, facilement manipulables. «Il faut les former pour que change cette mentalité. Nous n’avons rien contre eux, et comme chrétiens, nous pouvons avoir l’audace de pardonner, mais les autres doivent aussi changer leur mentalité et nous respecter! Il doit y avoir chez eux un réveil de la conscience, une conversion. Si on peut garder nos droits, conserver notre foi et nos mœurs, si nous avons un gouvernement solide qui peut nous protéger, alors nous pouvons vivre avec tout le monde».  JB

Des étudiants solidaires du peuple irakien

L’idée de la création de Fraternité en Irak est née en 2009 au sein d’un groupe d’étudiants français marqués par la situation des réfugiés irakiens en Syrie. A l’époque, ils cherchent un moyen de leur venir en aide. C’est la sanglante attaque terroriste de la cathédrale syriaque-catholique de Sayidat al-Najat (Notre-Dame du Perpétuel secours), le 31 octobre 2010, qui a coûté la vie à une cinquantaine de fidèles à l’heure de la messe, dont des femmes et des enfants, et deux jeunes prêtres Wassim, 27 ans et Taher, 32 ans, qui les a poussés à l’action.

La rencontre avec le patriarche des chaldéens Mgr Louis Sako, alors archevêque de Kirkouk, va leur permettre de concrétiser leur solidarité avec le peuple irakien. Fraternité en Irak était née, et les statuts de l’association sont déposés à la préfecture de Police de Paris le 5 mai 2011. Le but est d’aider les minorités religieuses d’Irak (chrétiens, yézidis, shabaks, mandéens, kakaïs) à rester dans leur pays et à y vivre dignement. (cath.ch-apic/be)

 

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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