Au sanctuaire marial de Caacupé, la jeunesse paraguayenne secoue l'Eglise... et la société

Au sanctuaire marial de Caacupé, à l’occasion du XIXe Pèlerinage national de la Pastorale des jeunes du Paraguay, les porte-paroles de la jeunesse paraguayenne ont secoué l’Eglise… et la société, dénonçant la corruption qui gangrène tous les secteurs du pays.

Dans leur manifeste, sous les applaudissements frénétiques de la foule, ils ont exigé une «éducation de qualité», alors que 270’00 jeunes sont éjectés sans diplômes de l’école et restent sans travail. Ils ont aussi déploré «l’incohérence de la vie de certains pr­êtres,  religieux, formateurs et agents pastoraux» qui s’occupent plus de leurs intérêts personnels que de la communauté des fidèles».

Une dévotion pluricentenaire

Venus à pied, en bus, en voiture, à vélo, à cheval ou sur des chars à bœufs des quatre points cardinaux du Paraguay, malgré l’intense chaleur puis une pluie bienvenue, les pèlerins se sont rendus en masse au sanctuaire marial de Caacupé, à 50 km à l’est d’Asunción, la capitale du pays. Ils ont une nouvelle fois fêté la patronne de la nation et participé à la neuvaine qui s’est conclue par la messe solennelle du 8 décembre en l’honneur de «Nuestra Señora de los Milagros», Notre-Dame des Miracles.

La dévotion à Notre-Dame de Caacupé remonte au XVIIe siècle, lorsqu’un indien guarani converti sculpta sur bois une image de la Vierge. La dévotion populaire a fait, au fil des ans, croître la renommée du sanctuaire dédié à la «Virgencita de Caacupé», comme les fidèles appellent affectueusement Notre-Dame des Miracles. Ce sanctuaire est devenu le plus fréquenté de la nation: tout au long de l’année, près d’un tiers de la population paraguayenne (officiellement 7 millions d’habitants) s’y rend en pèlerinage.

Plus peur des policiers que des voleurs

«Nous avons davantage peur des policiers que des voleurs, à cause de policiers corrompus qui, au lieu de nous protéger, nous demandent de l’argent dans la rue pour ne pas nous impliquer dans des délits inexistants», ont lancé les représentants de la Pastorale des jeunes à l’issue de la messe des jeunes du samedi 3 décembre.

La soirée a rassemblé 15’000 jeunes dans une ambiance de JMJ survoltée. Ces derniers, après une joyeuse fête dans les prés du séminaire San José, se sont rendus à pied à la basilique de Caacupé, à trois kilomètres de là, rangés derrière une grande croix de bois, qui allait symboliser le lancement du «Trienio de la Juventud», trois ans de mobilisation de la jeunesse catholique du Paraguay.

Mgr Ricardo Valenzuela, responsable de la Pastorale de la jeunesse au sein de la Conférence épiscopale du Paraguay, a encouragé les jeunes à transformer la société, à rendre le Paraguay «plus humain», à prendre Jésus Christ comme la pierre d’angle de la société à reconstruire.

Reprenant les paroles du pape Jean Paul II sur la «civilisation de l’amour», l’évêque de Villarrica, au centre-sud du Paraguay, a dénoncé au passage les parlementaires qui se servent d’abord eux-mêmes et ne répondent pas aux besoins criants de leur peuple, alors qu’ils prétendent justement représenter le peuple.

«Jeune Paraguayen, lève-toi!»

«Jeune Paraguayen, lève-toi!», a-t-il lancé sous les applaudissements, en demandant aux jeunes de ne pas se laisser séduire par la violence pour changer la société injuste. Dénonçant sans ambages les maux qui rongent le pays, les porte-paroles des jeunes ont alors présenté leur manifeste. Ils ont ainsi fustigé les policiers qui protègent les narcotrafiquants, dénoncé une éducation prise en otage par «une politique sectaire», exigeant une «éducation de qualité», alors que les pouvoirs politiques dans le pays n’investissent que très peu dans l’enseignement.

«A peine 37% des jeunes Paraguayens terminent l’école secondaire, laissant les autres à la recherche désespérée de choix leur permettant à peine de survivre, victimes à de nombreuses reprises d’organisations criminelles, d’employeurs sans scrupules, des jeunes sans futur et  laissés seuls, quasiment sans outils de base pour affronter la vie», ont dénoncé les jeunes.

Rongé par la corruption à tous les niveaux, héritée en grande partie des 35 années de dictature féroce d’Alfredo Stroessner (1954-1989), ce pays situé entre le Brésil, la Bolivie et l’Argentine voit sa jeunesse,  sans grands débouchés, chercher son salut dans l’émigration vers les pays voisins et au-delà. Les jeunes sans aucun travail et ayant quitté l’école sans diplôme sont passés en un an de 235’000 à 270’000, selon les chiffres officiels. Ils seraient beaucoup plus nombreux, selon les évêques paraguayens.

«L’Etat doit se repentir, demander pardon»

«L’Etat doit se repentir, demander pardon», a lancé à Caacupé Mgr Mario Melanio Medina, en faisant référence à la foule des exclus du système éducatif, de l’économie et de la politique. «Cela signifie que nous préparons des délinquants pour tout le pays, situation que nous vivons déjà et que nous voyons tous les jours!»  L’évêque de San Juan Bautista de las Misiones a incité les jeunes à lutter contre la corruption et contre les abus, «contre tous les antipatriotes qui hypothèquent notre futur!» (cath.ch/be)

 

Ce reportage est le premier d’une série réalisée par cath.ch dans le cadre d’une visite des projets réalisés par l’oeuvre d’entraide catholique internationale Aide à l’Eglise en Détresse (AED, ou selon son acronyme international ACN, Aid to the Church in Need) en faveur de l’Eglise catholique au Paraguay (du 18 novembre au 5 décembre 2016)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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