APIC – Reportage
Depuis une semaine, des cloches catholiques sonnent à nouveau à Moscou
Georges Scherrer, Agence APIC
Moscou, 30novembre(APIC) L’officier de l’ex-KGB – les anciens services
secrets soviétiques sont toujours logés dans le sinistre complexe de la
Loubianka – lève la tête, surpris. Un son inhabituel le fait sursauter, il
le connaît bien de ses activités d’agent secret: une sonnerie de cloches.
Il regarde le calendrier: dimanche 22 novembre.
Le fonctionnaire de l’ancien KGB autrefois tout-puissant s’avance vers
la fenêtre et s’arrête devant le téléobjectif avec lequel il a photographié, durant les années du régime communiste, les fidèles qui fréquentaient
la messe en l’église de Saint-Louis des Français, en plein coeur de Moscou.
La seule église catholique alors ouverte dans la capitale soviétique. Le
fonctionnaire ouvre la fenêtre: l’entrée de l’église de style néoclassique
est largement ouverte et les cloches sonnent à l’intérieur de la nef. Le
curé de Saint-Louis salue les fidèles qui entrent; c’est un Français, l’assomptionniste Bernard Le Leannec.
Pour la première fois depuis la Révolution d’Octobre, les cloches de
Saint-Louis battent à nouveau le rappel des fidèles. Les vieilles cloches
du XIXe siècle sont muettes, et les nouvelles ne sont pas encore dans les
deux tours. Mais le religieux français est pourtant fier de ce renouveau et
remercie la généreuse donatrice d’Annecy qui a permis le financement de ces
cloches fondues à Moscou. Sur la plus grande des cloches, « Lucie », qui pèse
700 kilos, on peut lire cette inscription: « Vivos voco mortuos plango fulgura frango ».
La foule se presse à la messe
Le curé de Saint-Louis a du pain sur la planche et les cloches de
l’église vont devoir sonner tout le dimanche. Les Moscovites, si habitués à
faire la queue pour trouver du pain et un peu de lait, font aujourd’hui la
file pour participer à la messe. Les messes ici ne sont pourtant pas rares,
elles se suivent immédiatement l’une après l’autre! A peine le Père Le
Leannec a-t-il ôté sa chasuble que les fidèles entament les chants de la
liturgie suivante, tandis que ceux qui veulent sortir doivent se faufiler
entre ceux qui se pressent à l’entrée.
Entre 20’000 et 30’000 catholiques à Moscou
Le religieux assomptionniste est certes curé de Saint-Louis, mais il
doit partager son église avec de nombreuses autres communautés de Moscou
qui ne disposent pas de lieux de culte. On estime qu’il y a à Moscou entre
20’000 et 30’000 catholiques: des Russes, des Français, des Allemands, des
Polonais, des Coréens et bien d’autres encore.
Avant la Révolution de 1917, les catholiques de la ville pouvaient utiliser trois églises. Il y avait la puissante église en briques de l’Immaculée Conception, appartenant à la communauté polonaise, Saint-Louis-desFrançais et l’église Saint-Pierre-et-Paul. La seule qui soit restée ouverte
durant le régime communiste est Saint-Louis, réservée évidemment aux hôtes
étrangers.
Pas question pour les catholiques autochtones d’assister à la messe,
sous peine de tracasseries administratives, voire de mesures répressives
plus graves… Et pour pouvoir photographier les visiteurs, le KGB était
aux premières loges: Saint-Louis est entouré de bâtiments de l’ex-KGB. Aujourd’hui, les Moscovites de tous âges, dont de nombreuses familles et des
jeunes, n’ont plus peur d’entrer dans l’église et de s’agenouiller devant
l’autel. Ils communient comme dans le temps à la lumière d’un cierge.
Les soucis du Père Le Leannec, comme ceux de l’archevêque Tadeusz Kondrusiewicz, administrateur apostolique pour la Russie d’Europe, avec siège
à Moscou, sont les mêmes. Dans la capitale russe manquent des lieux de culte pour les fidèles catholiques russes et les autres communautés non russophones. Ainsi, l’église Saint-Pierre-et-Paul est encore occupée par des bureaux qui ont été construits sur plusieurs étages dans la nef. L’Immaculée
Conception est dans le même état, bien qu’elle ait été restituée. A l’entrée, une petite chapelle provisoire a été aménagée, mais derrière l’autel
commence l’enchevêtrement des bureaux et des escaliers qui encombrent toujours l’église. Tout devra être démoli et vidé.
L’archevêque – le seul qui n’ait pas sa propre église, souligne-t-on à
Moscou – montre fièrement à la délégation de l’ »Aide à l’Eglise en Détresse »(AED) conduite par le Père Werenfried van Straaten les machines de chantier qui attendent d’intervenir. Il s’agit de rendre ce lieu de culte à sa
destination première. Mais ce n’est pas là le seul problème qui préoccupe
Mgr Kondrusiewicz, lui-même Lituanien d’origine : il y a certes des prêtres
catholiques à Moscou, mais ils ne sont pas russes. Il est donc essentiel de
former des prêtres russes afin que les Moscovites aient leurs propres
pasteurs.
Touché par la profondeur de l’âme russe
Le Père Le Leannec, de son côté, s’est bien acclimaté dans sa paroisse.
Il y a trois ans, il ne parlait pas un mot de russe, mais la profondeur de
l’âme russe l’intéressait vivement. C’est ainsi que lors de son arrivée en
1989 à Moscou, il ne s’installa pas directement dans sa future paroisse,
mais fut accueilli au monastère de la Trinité Saint-Serge, à Zagorsk – aujourd’hui Sergueiev Posad – comme un simple séminariste. Dans ce monastère
fondé par Serge de Radonège, l’assomptionniste français a pu connaître la
Russie à partir du « coeur de l’orthodoxie » et « commencer à les aimer tels
qu’ils sont ». A la Trinité-Saint-Serge, le Père le Leannec s’est fait beaucoup d’amis parmi les orthodoxes.
En attendant, le curé de Saint-Louis espère résoudre quelques problèmes
bassement matériels: la restitution des 2’000 m2 qui appartenaient autrefois à la paroisse – restitution qui a été certes décidée, mais d’ici
qu’elle soit réalisée, c’est une toute autre histoire! – et la recherche
d’une grue pour pouvoir installer ses cloches dans les deux clochers de
l’église. Elles pourront alors appeler les fidèles à la prière. « Les cloches de Saint-Louis vont chasser le KGB des bâtiments qu’il occupe encore »,
plaisante le religieux français. (apic/gs/be)
Des photos de ce reportage peuvent être commandées à l’agence APIC
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