Pour ou contre une Eglise «décorative»?

«Qu’ils s’occupent de remplir leurs églises, ce qui n’est pas gagné, et qu’ils laissent après les partis politiques gérer les affaires publiques». C’est ainsi que le vice-président du Front national, Louis Aliot, a commenté les récentes prises de position des évêques de France concernant des questions telles que le sens de la politique ou l’immigration. Ces propos ne viennent que confirmer la tendance, un peu partout dans le monde, de certaines forces politiques ayant le vent en poupe, à vouloir «atrophier» le discours de l’Eglise.

L’institution est perçue par ces nouveaux dirigeants aux méthodes radicales comme une «épine dans le pied». C’est le cas notamment aux Philippines, où le nouveau président Rodrigo Duterte est en conflit ouvert avec l’Eglise catholique. Il n’apprécie en effet pas que les évêques locaux critiquent la «guerre» qu’il mène contre les narcotrafiquants, qui a déjà fait plusieurs milliers de morts, dont beaucoup dans des exécutions extrajudiciaires. Les prélats sont également en profond désaccord avec sa volonté de rétablir la peine de mort dans le pays. L’un des proches politiques du président, Pantaleon Alvarez, s’est ainsi permis de donner des leçons de morale à l’Eglise en la matière. «Et voilà que l’Eglise veut protéger les malfaiteurs. Pourquoi voulez-vous protéger le mal? Pourquoi voulez-vous que le mal triomphe sur le bien?», a déclaré le député en décembre dernier.

En France également, certains leaders d’extrême droite s’érigent en étendards de la «vraie foi» contre une hiérarchie catholique qui serait, selon les termes du député FN Gilbert Collard, «déconnectée de la réalité». Ce même député du Gard ose alors prétendre que les évêques «politiques» seraient des «adversaires de la foi».

Les Etats-Unis pourraient également bientôt être le théâtre du même genre d’affrontement. Les évêques catholiques du pays ont déjà à maintes reprises exprimé leur méfiance envers Donald Trump et sa politique. Des dissensions ont surgi entre le pape François lui-même et le nouveau président des Etats-Unis. Suite à sa visite au Mexique, en février dernier, le pontife avait fustigé la volonté du Texan de construire un mur à la frontière entre les deux pays. «Celui qui veut construire des murs et non des ponts n’est pas chrétien», avait martelé le pape. Donald Trump avait répliqué en estimant que le chef de l’Eglise catholique «ne comprend pas les problèmes de notre pays». Tout comme les représentants du FN en France, il s’était alors affiché en défenseur de la foi. «Je suis fier d’être chrétien et comme président je ne permettrais pas que la chrétienté soit constamment attaquée et affaiblie», avait-il lancé. Nul doute que s’il applique ses promesses radicales, notamment dans le domaine de l’immigration, l’Eglise américaine adoptera une attitude d’opposition.

La Suisse n’est pas épargnée par ce phénomène. L’affaire de la crèche de Bagnes, qui représente une famille de migrants, a mis en lumière les tensions entre ceux qui voudraient une Eglise purement «décorative», restant sagement dans son coin, et ceux qui estiment qu’elle doit s’impliquer dans le monde et dans la société. Le conseiller d’Etat valaisan Oskar Freysinger a ainsi jugé, par rapport à l’initiative de la paroisse de Bagnes, que «Noël ne doit sous aucun prétexte être instrumentalisé au nom de la politique. C’est une façon honteuse de désacraliser cette fête». Ce à quoi le chanoine José Mittaz avait répondu: «En le politisant, Oskar Freysinger prend lui-même en otage le message de la crèche».

Il apparaît ainsi que, de manière de plus en plus marquée, deux visions différentes du rôle de l’Eglise émergent dans plusieurs pays. Les évolutions actuelles au niveau mondial exacerbent les divergences sur ce point. L’institution doit-elle seulement s’efforcer de «remplir les églises» comme le voudraient certains, ou doit-elle se profiler comme une force de changement dans le monde et la société? Si l’on considère la vie de Jésus et son message, on ne peut pas réellement croire que l’Eglise a pour unique dessein de survivre et de prospérer. Dans un élan sans nul doute inspiré de l’Esprit saint, le pape François l’a appelée maintes fois à aller vers les périphéries et à sortir d’elle-même. Il était prévisible que cela ne plaise pas à tout le monde, mais comme José Mittaz l’a intelligemment souligné dans l’affaire de Bagnes: «Force est de constater que 2000 ans après, le Christ continue de déranger. Ce n’est pas un mal en soi».

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/blogsf/contre-eglise-decorative/