Du séminaire à la caméra: la vocation de Martin Scorsese

Silence, de Martin Scorsese, sera diffusé sur les écrans romands le 8 février prochain. A cette occasion, le réalisateur américain revient sur sa quête spirituelle qui l’a conduit, durant ses jeunes années, à franchir la porte d’un séminaire new-yorkais.

La réalisation de Silence a pris du temps. Il sort en salles 27 ans après que l’ancien archevêque de New-York ait offert au réalisateur le roman à l’origine du film. Et plus de 60 ans après qu’un prêtre ait ouvert chez le jeune Scorsese une brèche spirituelle qui ne s’est jamais refermée.

«La vocation, c’est quelque chose de très spécial», affirme le réalisateur aux multiples oscars, dans un article publié par l’hebdomadaire anglais Catholic Herald. Chez lui, elle s’est déployée à travers différentes expériences, à commencer par la rencontre de Frère Principe, un prêtre du Lower East Side – un quartier de l’arrondissement de Manhattan, longtemps habité par une population ouvrière et défavorisée. «Il a exercé une grande influence sur ma vie entre 11 et 17 ans, ainsi que sur celle de beaucoup d’autres jeunes. Il nous a offert des livres de Graham Greene et Dwight Macdonald, et bien d’autres encore. Il a ouvert mon intelligence», se souvient Martin Scorsese.

«Une vocation doit-elle forcément être cléricale?»

Ce qui marque plus encore l’adolescent de l’époque, c’est l’investissement caritatif du prêtre auprès de la population défavorisée de Lower East Side. «Il s’occupait de ces personnes avec beaucoup de compassion et de courage. Il fallait beaucoup de ténacité, tant la vie dans la rue était rude. Je voulais devenir comme lui, confie-t-il. Alors, je suis entré au séminaire pour me préparer à faire ce qu’il faisait».

Devenir prêtre

Scorsese a 14 ans, lorsqu’il franchi la porte du Cathedral College Seminary. Il y restera une année. «Je ne savais pas ce qu’était une vocation à l’époque, mais j’ai rapidement compris que la vocation doit être personnelle. Tu ne peux pas appeler ‘vocation’ le fait de vouloir devenir quelqu’un d’autre que toi».

«Je ne suis finalement pas devenu prêtre, explique-t-il. J’ai été évincé du séminaire». Motifs: il est trop indiscipliné et trop jeune pour s’engager dans une voie sacerdotale. Un expérience qui fait réfléchir l’adolescent: «Une vocation doit-elle forcément être cléricale? Ne peut-on pas agir selon certains principes ou certaines croyances sans forcément revêtir une soutane? C’est une question laquelle j’ai eu maille à partir durant toute ma vie».

La foi à l’écran

La foi a marqué Scorsese de manière indélébile. «Elle est toujours en moi, reconnaît-il. Ma quête spirituelle ne m’a plus quitté dès lors que j’ai commencé à réfléchir à la manière dont elle devait s’incarner dans mes actes quotidiens».

Elle imprègne quelques unes de ses oeuvres: Mean Streets (1973), Taxi Driver (1978), Raging Bull (1980) ou encore La dernière tentation du Christ (1988). Cette dernière réalisation remue l’archevêque new-yorkais de l’époque, Mgr Paul Moore. Il invite Scorsese chez lui. «Nous avons eu une profonde discussion sur la foi et sur la vie». Le prélat lui parle d’un livre qu’il souhaite lui offrir. «Deux jours plus tard, je recevais Silence dans ma boîte aux lettres. Dès que j’ai terminé cette lecture, j’ai su qu’il fallait que j’y revienne. C’était un moyen d’aborder avec plus de profondeur les questions spirituelles qui me donnaient du fil à retordre».

Les questionnements d’un croyant

L’intrigue de ce roman écrit par Shusaku Endo se déroule dans le Japon du XVIIe siècle, à l’époque où les chrétiens étaient torturés et mourraient en martyr. Deux jésuites portugais choisissent librement de braver cette persécution pour retrouver un de leur confrère disparu. En filigrane, c’est une histoire de la foi chrétienne, du combat qu’elle implique et des difficultés de croire.

«Shusaku Endo a compris le conflit entre le besoin de croire et la voix de l’expérience qui presse sans cesse le croyant à adapter ses croyances au monde dans lequel il vit, affirme Scorsese. Les questionnements peuvent entraîner une profonde solitude, mais s’ils coexistent avec la foi, ils peuvent aboutir à une joie profonde. C’est ce passage douloureux, paradoxal, de la certitude au doute et de la solitude à la communion, qu’Endo comprend si bien et rend avec tant de beauté dans Silence«.

Cette analyse a mis du temps à mûrir. Plus de vingt ans. «Je pensais avoir compris le propos d’Endo, mais les premières fois que je tentais d’écrire le script du film, tout était confus». Pour saisir ces réalités, Scorsese a dû les vivre lui-même. «Mois après mois, je notais mes découvertes spirituelles dans un carnet. Les choses se clarifiait petit à petit». Un carnet qui a finalement donné naissance à son dernier film, Silence. «Lorsque j’ai pu inscrire le point final du script, ce fut comme la fin d’un pèlerinage». (cath.ch/pp)


Silence, de Martin Scorsese. En salles dès le 8 février 2016.

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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