L'Unité pastorale Saint-Joseph, à Fribourg, vient en aide aux étudiants de Kirkouk, en Irak

«La génération belliqueuse qui ensanglante l’Irak doit se convertir à la paix. Avec votre expérience de la démocratie, votre respect des différences ethniques, culturelles et religieuses, vous pouvez nous aider!», lance à Fribourg Mgr Yousif Thomas Mirkis, archevêque chaldéen de Kirkouk et de Souleymanieh.

Le religieux dominicain irakien, qui était de passage dans  le chef-lieu fribourgeois samedi 14 janvier 2017, a fortement impressionné la centaine de personnes présentes à l’église Saint-Pierre.

A Kirkouk, ville pétrolière multiethnique du nord de l’Irak, peuplée d’Arabes sunnites et chiites, de Kurdes et de Turkmènes, convoitée par la région autonome du Kurdistan, Mgr Yousif Thomas Mirkis prône la réconciliation à temps et à contretemps. Et de rappeler au public qu’il ne faut pas faire d’amalgame, car les musulmans, pour une grande part, souffrent également des actions des fanatiques qui les prennent en otages. De plus, souligne-t-il, cette idéologie djihadiste menace le monde entier: «Il y a partout des cellules dormantes, 10’000 combattants de Daech viennent d’Europe, et certains sont déjà revenus des théâtres d’opération. Vous n’avez pas le droit de fermer les yeux, car des attentats peuvent être commis chez vous demain, comme c’est déjà arrivé à Paris, Nice, Bruxelles ou Berlin…»

«Il faut que les vengeances s’arrêtent»

«Nous avons besoin dans notre pays d’un Nelson Mandela, d’un Gandhi, d’un Martin Luther King; il faut que les vengeances et les fanatismes cessent», a insisté le religieux dominicain, invité à Fribourg par l’abbé Philippe Blanc, curé-modérateur de l’Unité pastorale Saint-Joseph.

Pour ce faire, Mgr Yousif Thomas Mirkis, docteur en théologie de l’Université de Strasbourg – qui s’est également frotté à l’ethnologie à l’Université de Nanterre – s’est engagé à soutenir les étudiants réfugiés de Mossoul et de la Plaine de Ninive fuyant la terreur des djihadistes de Daech. Et il veut contribuer à ce qu’ils restent sur place. «Je suis personnellement contre l’émigration des forces vives de notre pays… Du million de chrétiens qui vivaient en Irak il y a quelques années encore, il n’en reste plus qu’un tiers. Mais ceux qui se rendent en Occident, dans une société post-moderne, ont de grandes difficultés d’adaptation, leur culture est tellement différente de la vôtre. Et pour la société irakienne, c’est dangereux, c’est une perte de richesse culturelle, de substance».

Conscient de nager à contre-courant

Cette année, Yousif Thomas Mirkis, qui est également journaliste – il fut rédacteur en chef du magazine irakien «Al-Fikr Al-Masihi» (La Pensée chrétienne) – va soutenir financièrement 668 étudiants, dont 312 étudiants et 356 étudiantes. «Nous ne faisons pas de prosélytisme, ce sont tout simplement nos hôtes: 434 sont de confession chrétienne, 212 appartiennent à la minorité yézidie, 21 aux communautés musulmanes sunnites et chiites et une à la communauté mandéenne».

Le religieux dominicain, né à Mossoul un jour de juin 1949, est bien conscient de nager à contre-courant en voulant offrir un avenir sur place à la jeunesse de son pays déchiré par le communautarisme et le tribalisme. Il reconnaît qu’une majorité ne voit pas grand avenir en Irak, mais il reste persuadé qu’il faut former des ingénieurs, des professeurs, des médecins, des architectes, des avocats, pour reconstruire le pays dévasté par la guerre. Rien ne serait plus dangereux que de laisser continuer cette fuite des cerveaux, dont le pays a tant besoin.

Un message d’espoir

Et il veut véhiculer un message d’espoir, en estimant qu’il y a un avenir pour ceux qui restent au pays. «A Kirkouk, on vit ensemble sans grands problèmes. La ville, qui comptait avant les derniers événements 1,2 million d’habitants, a accueilli 700’000 réfugiés en deux ans. Imaginez ce que cela signifie en termes de logements, d’infrastructures… Le gouverneur a accepté les étudiants qui fréquentaient l’Université de Mossoul avant que la ville ne tombe aux mains des djihadistes. On a pu les absorber; les cours sont donnés le matin, le midi et le soir».

Les chrétiens de la Plaine de Ninive, réfugiés au Kurdistan, ne parlent pas le kurde, alors ils viennent à Kirkouk. «Ils ne peuvent pas attendre que la paix revienne pour reprendre leurs études. Alors j’ai loué des maisons pour accueillir ces étudiants, qui ne sont pas tous chrétiens. Les chrétiens ne doivent pas se mettre au service des seuls chrétiens, mais ils doivent aider tout le monde, sans arrière-pensée. Nous rejetons tout prosélytisme: le Bon Samaritain n’a rien exigé en contrepartie de son aide. Tous sont reconnaissants que l’Eglise les soutienne, car la plupart n’ont pas le sou. Nous avons pour cela reçu l’appui du gouverneur et les autorités nous montrent un grand respect, car nous ne faisons aucune discrimination».

«Les chrétiens chaldéens, ceux de ma communauté, ne forment qu’un petit pourcentage de ceux que j’aide. Je les aide à la seule condition qu’ils travaillent; en 2015, ces étudiants ont eu 100% de réussite; en 2016, un seul a échoué aux examens».

Une action coûteuse

Son action en faveur de la formation intellectuelle et professionnelle de cette jeunesse irakienne est cependant coûteuse : 200 francs suisses par mois, 2’000 francs par année académique. «Les parents ne peuvent pas aider, ce sont des réfugiés chassés de leur maison. Certains dorment encore sous tente… Alors je compte sur l’aide extérieure».

Il reçoit déjà des soutiens de l’Œuvre d’Orient, à Paris, de la Conférence des Evêques de France (CEF) et de l’association alsacienne «Aux porteurs de Lumière- solidarité IRAK», une équipe d’une dizaine de professionnels dirigée par Bernard Geyler, un chef d’entreprise à la retraite, fervent admirateur de Maurice Zundel. Il partage d’ailleurs cette admiration avec Mgr Yousif Thomas Mirkis, qui a fait traduire en langue arabe un des ouvrages du théologien suisse.

L’espérance chrétienne n’est pas un vain mot

Avec humour, le religieux irakien, pour qui l’espérance chrétienne n’est pas un vain mot, souligne que malgré les difficultés, il ne faut pas quitter ce pays, «car Dieu nous a mis là-bas comme les brebis parmi les loups, mais les brebis vont essayer d’être plus fortes que les loups!»

L’archevêché à Kirkouk prend en charge logement, subsistance, frais universitaires, avec une seule exigence: «réussir les études!». Pour le religieux dominicain, c’est par l’ouverture culturelle de sa jeunesse que pourront s’établir le dialogue et la réconciliation entre les diverses composantes ethniques et religieuses de l’Irak.

Convaincu par la démarche de l’archevêque de Kirkouk, l’abbé Philippe Blanc a déjà pu verser la somme de 4’600 francs pour soutenir l’œuvre de Mgr Thomas Mirkis en faveur des étudiants irakiens réfugiés dans sa ville. «Je vais prochainement proposer aux conseils de chacune des quatre paroisses de l’UP (Saint-Laurent à Givisiez/Granges-Paccot, Saint-Pierre à Fribourg, Saints-Pierre-et-Paul à Villars-sur-Glâne et Sainte-Thérèse à Fribourg) de prendre en charge les frais d’au moins un étudiant. 2’000 francs de parrainage, pour une paroisse, c’est faisable!»


Mgr Thomas Mirkis rappelle le sauvetage de ses étudiantes rescapées de Daech

71 étudiantes vivant dans quatre maisons louées pour elles par l’archevêché chaldéen ont pu échapper aux djihadistes de Daech qui s’étaient infiltrés à Kirkouk le 21 octobre 2016 et qui s’étaient cachés dans leurs habitations. Ces étudiantes chrétiennes, musulmanes sunnites ou chiites, yézidies et sabéennes, ont pu  être exfiltrées au risque de leur vie par Imad Matti, qui s’occupe des étudiants et des personnes déplacées dans le diocèse.

Dans le but de faire diversion, alors que la ville de Mossoul est en train d’être libérée par la coalition anti-Etat islamique, Kirkouk a été attaquée ce jour-là par un groupe de 100 à 120 terroristes qui visaient le gouvernorat et les édifices de la police et de la sécurité. Mais compte tenu de la forte résistance des troupes de sécurité, les terroristes s’étaient  réfugiés dans les maisons environnantes. Dans une des chambres, des filles s’étaient cachées pendant huit heures sous les lits, enroulées dans des couvertures, alors que les terroristes étaient sur les lits. Toutes ces filles ont pu être sauvées grâce au courage d’Imad. Peu de temps après la fuite des filles, les terroristes se sont fait exploser dans la chambre. «C’est un miracle: aucune fille n’a été blessée malgré la pluie de balles, et Imad s’est comporté en héros. J’ai obtenu pour lui une bénédiction papale», relève Mgr Yousif Thomas Mirkis, qui «rend grâce au Seigneur» pour cette protection. (cath.ch/be)

Jacques Berset

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