10 ans après sa mort, la mémoire de l'Abbé Pierre reste vivante

On connaît sa silhouette: une cape noire, un béret basque, un visage émacié et une longue barbe blanche. Dix ans après sa mort, la haute figure de l’Abbé Pierre est encore bien présente dans les mémoires.

On a peut-être un peu oublié son charisme, ses messages d’amour et de solidarité, son action service des pauvres, des marginalisés, des cabossés de la vie. Témoin et prophète, l’Abbé Pierre a interpellé les nantis et la société, il a dérangé, crié et fustigé pour rappeler au monde que la lutte contre la misère est un combat de longue haleine.

«L’Abbé Pierre a fait tant de choses qu’il semble avoir vécu dix vies, ou qu’il y ait dix hommes en lui», rappelait un jour un compagnon d’Emmaüs. Né en 1912, Henri Grouès de son vrai nom, aura traversé la quasi-totalité du XXe siècle si chargé de violences et de misères. D’abord moine capucin, il fut ensuite prêtre, résistant, député au parlement français, fondateur d’Emmaüs, globe-trotter infatigable, auteur de nombreux livres.

Il a organisé le passage de juifs vers la Suisse pendant la 2e Guerre mondiale, créé des maquis, débattu avec Albert Einstein, défendu l’objection de conscience, obtenu que soient construits 12’000 logements d’urgence pour les victimes de la faim et du froid, défendu bien avant les autres l’écologie, le commerce équitable et le développement durable… L’Abbé Pierre a rencontré les grands et les puissants et leur a parlé des petits, des marginalisés et des exclus. Loin devant les stars du show-business et les hommes politiques, il a figuré pendant presque vingt ans en tête de liste dans le coeur des Français.

Une jeunesse bourgeoise et pieuse

Henri Grouès est né à Lyon le 5 août 1912 dans une famille bourgeoise aisée et pieuse: Son père est directeur des Fonderies du Rhône. Il est le cinquième de huit enfants. En 1925, il entre chez les scouts, ce qui comptera beaucoup dans sa formation humaine. A 19 ans, il décide d’entrer chez les capucins. Devenu Frère Philippe, il passe sept ans dans un monastère cloîtré, avant d’en sortir pour des raisons de santé. Ordonné prêtre en 1938, il rejoint, en 1939, le diocèse de Grenoble. Pendant la guerre, il vit la mobilisation comme sous-officier dans l’armée française. Il entre dans la clandestinité, participe à la Résistance contre l’occupation nazie dès 1942, dans les maquis de la Chartreuse et du Vercors, C’est à ce moment qu’il prend le pseudonyme d’Abbé Pierre pour éviter de se faire repérer par la police de Vichy et la gestapo. En mai 1944, il franchit clandestinement les Pyrénées pour rejoindre le général de Gaulle en Algérie.

Moine, prêtre diocésain, député, militant contre la misère et l’exclusion

Député de la Meurthe-et-Moselle en 1945, c’est en 1949 qu’il fonde à Neuilly-Plaisance, à l’est de Paris, la première Communauté Emmaüs, pour accueillir ceux qu’il appelle les «cabossés de la vie». Pas réélu comme député en 1951, l’Abbé Pierre, qui n’a plus ses indemnités parlementaires, manque d’argent. C’est le début du métier de chiffonnier: récupération et vente de matières premières et d’objets d’occasion. Pendant le dur hiver 1954, des milliers de familles dans la rue souffrent de la faim, des adultes et des enfants meurent de froid. C’est alors que l’Abbé Pierre, indigné par un tel drame, alerte l’opinion publique: c’est «l’insurrection de la bonté» qui le rendra célèbre.

Le Mouvement Emmaüs se développe ensuite rapidement dans le monde entier, au gré des voyages de l’Abbé Pierre, principalement en France, en Europe et en Amérique Latine. L’Abbé Pierre, avec sa secrétaire Lucie Coutaz, est à l’origine d’Emmaüs. Cependant, il n’en a jamais été un dirigeant opérationnel. D’un caractère spontané, il est peu porté vers l’organisation. Ainsi, il préférera toujours initier de nouveaux projets, créer de nouvelles structures, plutôt que de gérer celles qui existent. En 1969, la première Assemblée générale d’Emmaüs International se tient à Berne, en Suisse. Elle adopte le Manifeste universel du Mouvement Emmaüs.

Jusqu’à plus de 90 ans, l’Abbé Pierre continue de voyager dans le monde entier pour y défendre la cause des plus démunis. Il meurt le 22 janvier 2007, à l’hôpital du Val de Grâce, à Paris. Il est inhumé dans le cimetière du village d’Esteville, près de Rouen, au nord de la France aux côtés de nombreux compagnons d’Emmaüs. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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