Trump et Luther: consonances

Les commentateurs se perdent en conjectures face à l’attitude du nouveau président des USA. Il transcende les catégories des partis traditionnels, il a commencé par les Démocrates, qui sont la gauche américaine pour passer chez les Républicains, qui sont à droite. Mais il s’est imposé comme candidat contre la direction de son propre parti. Il a arraché les votes des blancs pauvres et ouvriers, alors qu’il est un milliardaire dont le nom s’étale au sommet de gratte-ciels orgueilleux. Comment comprendre les contradictions qu’il semble accumuler?

C’est assez simple, il faut écouter son discours d’investiture. D’abord le style, pas de texte, pas de téléprompteur, la rhétorique d’un prédicateur: l’index levé, le ton menaçant, les foudres lancées contre les élites corrompues, l’exploitation des pauvres, les médias trompeurs. Il tient un discours de rupture et annonce un renouveau moral. On croit entendre le langage des vieux prophètes bibliques. D’ailleurs Donald Trump a prononcé son serment au-dessus de deux Bibles, l’une du président Lincoln (je suppose que c’est la King James Bible, d’inspiration calviniste), la deuxième, qui est celle de sa grand-mère, doit être une Bible luthérienne. Celle-ci donne en effet l’orientation profonde du nouveau président. De surcroît, Donald Trump n’a nullement dissimulé ses convictions religieuses: invocation de Dieu au cours du discours, demande de la bénédiction divine sur le pays à la fin: «God bless America».

Cela se remarque surtout dans son programme, d’abord l’éthique du travail. Chez Luther, vocation et profession s’expriment par le même mot: Beruf. Par opposition au moine, le chrétien laïc se sanctifie par son travail. Celui qui ne gagne pas sa vie par un dur labeur croit échapper aux conséquences du péché originel et rêve de pouvoir continuer à vivre dans un paradis terrestre. C’est l’illusion du socialisme, pense Trump, que la prétention de réaliser le paradis sur terre grâce à l’égalitarisme et à la distribution des revenus. Le communisme l’a démontré. En plus, c’est une désobéissance directe à la volonté divine, qui réclame l’engagement personnel.

Il faut donc remettre le peuple au travail pour lui permettre de gagner sa vie et faire la richesse et la grandeur de la nation. Cela implique de combattre les élites oisives et corrompues, les vendeurs de drogue, les immigrés violeurs et fainéants. Il faut rapatrier les usines dans le pays, taxer les importations et garder les emplois aux USA. On reconnaît là des traits de l’éthique luthérienne du travail qui a profondément marqué la mentalité industrielle  germanique.

L’acharnement de Trump et des Républicains contre l’assurance maladie d’Obama dissimule  également un élément religieux: la question du salut. C’est par sa foi personnelle que le croyant est sauvé et non par l’intercession de l’Eglise ou de l’Etat. C’est l’individu qui doit porter la responsabilité de sa vie, dans l’heur ou le malheur, dans la maladie comme dans la santé. Il est sauvé par la foi seule. Les systèmes politiques qui veulent masquer les différences sociales abrogent en fait les décisions divines fondamentales, celles de l’élection ou de la réprobation. L’histoire est déterminée par la volonté divine et la prédestination des humains, selon la théologie augustinienne dans laquelle Luther a été formé. Les différences de fortune sont un indice d’élection selon cette théologie, comme Théodore de Bèze l’a montré.

La dimension nationaliste consonne aussi avec celle du Réformateur. Dans sa révolte contre Rome, un des reproches importants de Luther à la cour papale est celui de s’enrichir par l’exploitation des dons venant d’Allemagne. C’est un des éléments du succès de la critique du Réformateur contre le trafic des indulgences.

La pensée de Donald Trump, car c’en est une, provient du fondamentalisme augustinien qui, de surcroît, au travers du puritanisme des Pères fondateurs de la Constitution américaine, reste une structure déterminante de la pensée politique nord-américaine. Cela explique le ton accusateur et moralisateur du 45e président. Ses écarts de parole et ses manières provocatrices ne doivent pas surprendre dans ce contexte. Il se place sur ce plan également dans une tradition luthérienne. Qui a lu les propos de table du Réformateur et ses polémiques contre les Juifs et les papistes ne s’en étonne guère. Donald Trump n’aurait pas détonné parmi ces hôtes.

Jean-Blaise Fellay | 26.01.2017

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